Hiro’a n°193 – Trésor de Polynésie
Direction de la culture et du patrimoine (DCP) – Te Papa hiro’a ‘e Faufa’a tumu
Bora Bora se raconte à travers ses légendes
Rencontre avec James Tuera, responsable logistique à la Direction de la culture et du patrimoine. Texte : Lucie Rabréaud – Photo : DCP
La Direction de la culture et du patrimoine vient de publier le livret sur les légendes de Bora Bora : ‘Ā’ai nō Vāvau. L’auteur Edwin Onee Tupu, aujourd’hui disparu, souhaitait « raccommoder la natte inachevée des anciens récits et continuer à la tisser pour qu’elle devienne toujours plus grande ».
« Ô Espaces célestes, infinis… Ô Espaces terrestres, sans limites… Ô immensités océaniques, inexplorées… Ô ondes fuyantes, indomptées… » Ainsi s’adressait Ta’aroa Nui aux êtres de la terre, à nous, aujourd’hui. Dans les temps très anciens, se répandaient les aventures d’un héros, grand, fort ; il se nommait Ra’a-Mau-Riri ; et son histoire parvint jusque sur l’île de Vāvau ainsi qu’aux oreilles de deux femmes nobles de la lignée des chefs. » Ainsi commence la première légende racontée et écrite par Edwin Onee Tupu, né en 1953 et aujourd’hui disparu. Enfant de Bora Bora, ses parents adoptifs lui ont transmis les traditions culturelles de l’île, qu’il a complétées de ses lectures et des récits entendus des anciens. Des connaissances qui enrichissent ses savoirs et nourrissent sa créativité. « Trouvant l’inspiration dans la nature luxuriante et exubérante de son île, avec laquelle il communiait et dialoguait, il s’attellera sa vie durant à enluminer ce canevas culturel hérité de ses aînés, en réécrivant l’histoire de son île, s’aidant pour cela du premier dictionnaire qu’il avait à sa disposition en ce temps-là, le Livre sacré des Saintes Écritures ». Ainsi, il « raccommode la natte inachevée des anciens récits et continue à la tisser pour qu’elle devienne toujours plus grande » et la transmet aux générations suivantes pour poursuivre ces « tresses d’histoires sans fin » et raconter Bora Bora d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Tout le travail d’Edwin Onee Tupu a été remis à l’association culturelle, sociale et environnementale de Bora Bora, Te Fare Hiro’a nō Vāvau, pour qu’elle diffuse ces légendes. C’est la Direction de la culture et du patrimoine qui vient de le faire en publiant ce recueil : ‘Ā’ai nō Vāvau (Légendes de Bora Bora). « Cet ouvrage apporte la preuve que les traditions ne meurent jamais, que le patrimoine culturel d’un peuple s’enrichit de l’accroissement de ses connaissances, de l’évolution de ses pratiques et de sa création artistique. Ces textes inédits démontrent qu’il n’y a pas de démarcation entre tradition et modernité, sinon un trait d’union, qui donne naissance à la diversité culturelle », est-il écrit dans l’introduction du livret. Car c’était bien l’intention d’Edwin Onee Tupu, relier les traditions anciennes avec les préoccupations contemporaines. Mais aussi fusionner les textes avec la diversité culturelle de son temps : les illustrations montrent la créativité des artistes d’aujourd’hui et leur regard sur les légendes anciennes. « Chaque illustration est différente, elles content un peu leur île, ayant trait aux mythes et légendes, ou alors des éléments de l’histoire, des récits de vie, de la toponymie, ou encore des savoir-faire traditionnels », explique James Tuera, responsable logistique à la Direction de la culture et du patrimoine. D’ailleurs, c’est un des objectifs de la publication de ces livrets : « faire découvrir des histoires, des contes et des légendes par la peinture ».
On y découvre l’histoire de la pirogue ‘Aere, conçue et menée par deux femmes de la lignée des chefs qui partent à la rencontre du fameux guerrier du Grand Océan des Hīvā ; la destinée de l’enfant Nuanua qui doit sauver son peuple en se battant contre les armées de la nuit ; la légende effrayante d’une anguille éperdument amoureuse d’une jeune femme qui essaye de lui échapper ; le drame de la famille Mātahi ; ou encore le départ de Pere, déesse du feu, de son île natale pour rejoindre Hawai’i. Chacune de ces légendes parle des lieux traversés par les personnages, donnant les explications pour les noms des rivières, des vallées, des passes. Edwin Onee Tupu raconte également l’arrivée du pahu : « Ce grondement venait des vastes profondeurs de l’océan, du centre même de la terre ; c’était comme un bruit de martèlement, qui ressemblait aux battements d’un cœur, et qui indiqua aux Dieux qu’il s’agissait des battements de cœur qui donneraient la vie sur terre, la vie venue de l’autre monde, issue du Grand Tambour, qui n’est autre que la fondation de la terre, et façonné par le feu et modelé par les flammes. » Ou encore l’histoire de la pêche aux cailloux avec l’appel du chef, le rassemblement de la population, le départ des pirogues, la joie de la foule. Les trois dernières du livret concernent les vents, l’île aux sternes noires et la langue.
Avec ces publications, qui s’adressent avant tout aux enfants, la DCP souhaite développer la lecture et les connaissances sur la tradition orale. « Il nous a paru évident d’utiliser toutes les données à notre disposition et de les diffuser le plus largement possible. Dans ce cadre-ci, nous essayons si possible de garder dix légendes, pour faciliter la lecture, et de l’illustrer. Il n’y pas vraiment de choix spécifique, nous essayons simplement de permettre aux élèves de comprendre l’image mais aussi de l’interpréter », explique James Tuera. Après Teahūpo’o, Taputapuātea, Rurutū et Tautira, les prochains livrets concerneront Maupiti (début février) et Māhina avec une possible réédition du livret de cette commune au mois de mars. ◆
Trois questions à James Tuera
« La tradition orale est vivante »
Dans l’introduction, il y est écrit que Edwin Onee Tupu a voulu poursuivre les anciens récits, les continuer d’une certaine manière, est-ce dire que les légendes et les histoires ne sont pas figées, qu’elles continuent d’être inventées et racontées ?
Parfaitement, dans les recueils que les personnes sources nous transmettent, nous ne changeons rien. Plusieurs sources, ou l’auteur, fournissent des informations quasi identiques, ce qui suggère que l’information reste vraie et que la tradition orale est vivante et change avec le temps et les périodes données. Même si une minorité d’entre eux croit que tout est contingent, les gens préfèrent adopter n’importe quel sens plutôt que pas de sens du tout. Ensuite, tout est dans la façon de le regarder, de le percevoir comme vrai ou important. Il est donc primordial de distinguer les histoires, les légendes, eux-mêmes, et tout ce qui peut s’y ajouter et changer au fil du temps.
Il est aussi indiqué que plusieurs versions peuvent exister et précisé qu’elles sont respectées par l’auteur, il n’y a donc pas « une » vérité ?
Cette question de la croyance de la véracité des versions est à l’origine de toutes autres réflexions. Pour dire qu’il n’y a donc pas de vérité, je ne sais pas, mais il est certain que beaucoup s’appuient sur des récits anciens, la création est continue car il s’agit d’une parole mouvante par définition.
Pourquoi est-ce important de publier ce travail ?
Notre département des traditions orales est responsable des recueils, de la conservation, de l’étude et de la diffusion de tous ces documents et textes liés à la tradition orale et à la mémoire polynésiennes, qu’ils soient anciens ou récents. Notre équipe de la cellule des médias souhaite adresser et communiquer un maximum d’information aux enseignements du 1er degré, du 2e etc., car ces publications leur ont été adressées avant tout.