Hiro’a n°193 – Dix questions à
Magali Constant, responsable adjointe du département des archives publiques et privées, chargée de la conservation préventive et curative des archives au Service du patrimoine archivistique audiovisuel (SPAA) – Te Piha Faufa’a Tupuna
Magali Constant, une passionnée aux petits soins pour notre patrimoine
Propos recueillis par Lucie Ceccarelli – Photo : Lucie Ceccarelli
À près de 27 ans, Magali Constant est depuis juillet 2022 la responsable adjointe du Département des archives publiques et privées (DAPP), mais aussi la plus jeune employée du service. Seule diplômée en restauration et conservation du patrimoine actuellement au fenua, Magali est spécifiquement chargée de la conservation préventive et curative de l’ensemble des archives. Plus qu’un métier, il s’agit pour la jeune femme d’une véritable passion, qu’elle aime partager.
Vous êtes chargée de la conservation préventive et curative des archives, en quoi cela consiste-t-il ?
« Je fais essentiellement des constats d’état de toutes les archives que l’on conserve ici, donc cela me prend beaucoup de temps car, pour la majorité d’entre elles, cela n’a jamais été fait. Cela consiste à étudier leur provenance et leur histoire, puis d’en faire un bref descriptif. Ensuite, je constate leur état général, avec toutes les altérations qu’il peut y avoir, déchirures ou oxydation par exemple. Enfin, je fais des préconisations, au niveau de la restauration si l’archive est vraiment détériorée, ou bien au niveau de son reconditionnement pour une meilleure conservation. »
Comment conserve-t-on des archives ?
« D’abord, je les classe en deux catégories : celles qui vont demander de la restauration et celles qui vont juste avoir besoin de conservation préventive ou curative. La conservation curative, c’est vraiment à la limite du très mauvais état, c’est-à-dire que si on fait un bon nettoyage et qu’on reconditionne bien, on peut repousser la restauration de quelques années. Il y a également des archives en parfait état, qu’il suffit de ranger dans telle ou telle boîte de conditionnement. Cela dépend vraiment de l’archive que j’ai sous la main. »
Quels sont les paramètres à contrôler ?
« On contrôle l’humidité, qui doit rester entre 50 et 60 %. Pour la température, j’ai dû m’adapter au climat humide tropical. Je ne l’ai pas mise à 16 °C, comme en France, mais plutôt à 18 °C. Il fait donc très froid dans les magasins. Avant mon arrivée, ils étaient plutôt climatisés à 20 ou 21 °C, donc le changement a été ressenti par l’équipe ! Côté conditionnements, il faut qu’ils soient en pH neutre, c’est-à-dire sans acidité, pour ne pas jaunir ou attirer les poissons d’argent, des petits insectes qui adorent la cellulose. »
Quel a été votre parcours scolaire pour en arriver là ?
« J’ai suivi un parcours un peu atypique. J’ai obtenu un bac STMG en 2015. Comme j’étais passionnée d’histoire, j’ai suivi une première année de licence d’histoire-géographie à l’Université de la Polynésie française, mais les cours ne m’ont pas vraiment plu. Au second semestre, j’ai effectué deux stages d’assistante de conservation au Musée de Tahiti et des îles avec Théano (Jaillet, NDLR), l’ancienne directrice. Elle m’a transmis sa passion et c’est grâce à elle que j’ai voulu travailler dans la conservation et la restauration du Patrimoine. Je suis donc partie en France poursuivre mes études. J’ai intégré l’École de Condé, à Lyon, pour y suivre un Bachelor Préservation du patrimoine, avec une spécialisation en restauration des peintures. Ces trois années n’ont pas été faciles, le rythme en France est bien plus soutenu qu’ici, mais c’était vraiment sympa et j’ai pu faire plusieurs stages dans des ateliers de restauration, mais aussi en dorure afin d’apprendre à restaurer les cadres anciens. »
Qu’avez-vous fait à votre retour à Tahiti ?
« En revenant ici, j’ai voulu monter un atelier de restauration de peinture, mais c’était assez compliqué, du coup, j’ai suivi une première année de master en Sciences de l’éducation, pour avoir un plan B au cas où, avant de prendre une année sabbatique. À l’issue de celle-ci, j’ai répondu à une annonce pour un poste de responsable adjointe au DAPP (Département des archives publiques et privées, au sein du Service du patrimoine archivistique et audiovisuel, NDLR). Ce n’était pas forcément ma spécialité, mais j’ai été acceptée. Pour un premier travail, c’était une énorme charge ! J’occupe ce poste depuis un an et demi. J’ai ensuite passé le concours de rédacteur de catégorie B, que j’ai réussi. »
Vous avez donc été recrutée en tant que responsable adjointe du DAPP, pouvez-vous présenter ce département et ses missions ?
« Le DAPP gère les archives de services, établissements publics et autres organismes publics ou dotés d’une mission de service public, donc tout ce qui a trait à l’administration de la Polynésie française uniquement, pas les archives de l’État. On exerce le travail d’archiviste, c’est-à-dire qu’on gère les versements, le traitement, le tri, le reconditionnement et la numérisation permettant de faciliter la recherche. Je travaille sous l’autorité de la responsable du département, Esmeralda Faaruia. Elle s’occupe davantage des aspects juridiques et de l’administration, et moi du management de l’équipe. J’encadre cinq personnes. J’avoue que cela n’a pas été facile au début, car je suis la plus jeune du département, il a donc fallu que je montre mes capacités et mon savoir pour me faire accepter. Du fait de mon diplôme, après avoir été recrutée en tant qu’adjointe, on m’a chargée de la conservation de toutes les archives, donc je gère également les constats d’état du Département du patrimoine audiovisuel multimédia et Internet. »
Qu’est-ce qui vous plaît dans ce travail ?
« En premier lieu, d’avoir accès à l’histoire, à un trésor auquel peu de gens parviennent. Je me sens privilégiée et cela me donne davantage envie de protéger ce patrimoine culturel, de le préserver pour le transmettre aux générations futures. »
Y a-t-il des documents qui vous ont particulièrement marquée ?
« J’ai adoré faire un constat d’état sur d’anciens journaux datant des années 1800 et 1900, qui rapportaient notamment la vie de la reine Marau à Paris. Je les ai lus en entier, j’avais l’impression d’y être ! C’était assez drôle de voir également les pubs de l’époque, comme celle proposant de conserver sa beauté en utilisant du mercure… »
Et par rapport aux techniques utilisées, y a-t-il des archives plus originales que d’autres ?
« J’ai un jour travaillé sur un document écrit avec de l’encre de fē’ī, c’est la première fois que j’en voyais. Cette encre était utilisée par les Tahitiens au début, la première Bible a été écrite avec. Cela donne une coloration violette, comme la sève du fē’ī dont elle est issue, et elle tient bien dans le temps. Le document datait de fin 1700 ou début 1800 et l’encre n’était pas oxydée, la couleur était toujours présente. Une autre anecdote, c’est que j’utilise de la colle de poisson pour fixer mes boîtes neutres, qui sont normalement maintenues par des agrafes inoxydables. Mais ici, avec l’air marin, même les agrafes censées être inoxydables s’oxydent ! Et la rouille risque de ronger les archives qui se trouvent à l’intérieur de la boîte. Plutôt que d’utiliser une colle chimique, j’ai choisi la colle de poisson, plus durable dans le temps que celle d’amidon. Mais ce n’est pas fait avec du poisson local (rires) ! »
Pour conclure, avez-vous un conseil à donner aux étudiants qui souhaiteraient se lancer dans cette voie ?
« Qu’ils n’abandonnent jamais si c’est leur passion, même si leur entourage leur dit qu’ils n’y arriveront pas car les études sont trop dures. J’ai moi-même entendu ce genre de discours. Et aujourd’hui, je vis de ma passion, je n’ai même pas l’impression de travailler, j’arrive tous les jours de bonne humeur. Mais il ne faut pas lâcher, même si c’est dur et que les autres nous découragent. Réussir, c’est la plus belle façon de leur prouver qu’ils ont eu tort. » ◆