Hiro’a n°189 – Un visage, des savoirs
Service de l’Artisanat traditionnel (ART) – Pu Ohipa rima΄ī
Rencontre avec Tautiti Koheatiu, artisane. Texte et photo SF
Tautiti Koheatiu, une artisane aux mille et un savoir-faire
More, mautini, coquillages… Plus rien n’a de secret pour elle. Tautiti Koheatiu est une artisane complète qui aime travailler différentes matières sur divers supports. Déterminée et créative, elle n’hésite pas à sortir des sentiers battus. Rencontre.
C’est d’abord une histoire de famille. Celle d’un savoir-faire qui se transmet de la grand-mère à la petite fille. Celle aussi d’une éducation et d’une culture partagées au quotidien. « Petite, je dansais dans un groupe, ma grand-mère confectionnait les costumes. Elle disait toujours : si vous voulez danser, il faut aller dans la vallée chercher et faire vos costumes ! », se souvient Tautiti Koheatiu, assise sur la table où ciseaux et fils se côtoient, installée devant les guichets d’entrée du musée de Tahiti et des îles. Elle fait partie des artisanes qui exposent dans l’établissement culturel. D’abord employée à l’hôpital puis dans une roulotte et dans une boutique, elle s’est lancée dans l’artisanat il y a près de vingt ans. C’était en 2005. Cette année-là, elle s’initie à la chorale au sein d’une association à Pueu, où elle vit. Rapidement, elle aide à confectionner les costumes pour les enfants. Partage, rencontre, création… Le plaisir est immédiat, très vite elle ne voudra plus s’en priver. Le savoir-faire transmis par sa grand-mère fera le reste. Tautiti commence par faire des taura more. Elle va dans la vallée chez elle, la vallée de Ahaavini, pour couper l’arbuste qui fait la base de ces more. Elle doit ensuite en retirer l’écorce et travailler sur sa blancheur. Il faut laisser fermenter pendant deux semaines. « Avant, on mettait dans la boue dans un petit ruisseau, et ensuite on nettoyait à la mer. J’habite dans la vallée, du coup, je les trempe dans un seau au fond et ensuite je les nettoie à la rivière. Une fois nettoyé et blanchi, on peut commencer le travail de confection ». Tautiti fait essentiellement des jupes pour le Heiva et des couronnes de tête, tout ce que sa grand-mère lui a appris. En travaillant avec les ciseaux, des idées viennent : pourquoi pas faire des fleurs à porter à l’oreille… Elle s’y attelle, le succès est immédiat. Ses fleurs se retrouvent sur les danseuses à To’ata, lors des Heiva.
Le coquillage, sous toutes ses coutures
Tautiti sait qu’il faut être polyvalente dans ce métier. Elle ne se donne pas de limites et explore des horizons encore inconnus. Attirée par le travail du coquillage, elle aime particulièrement les ras de cou et les belles parures portées par les femmes polynésiennes. Elle se rapproche donc d’une artisane d’un certain âge de Pirae. « Elle m’a montré comment faire en grappe, j’ai travaillé avec elle. J’ai appris en faisant. Au début ce n’était pas très joli mais au fur et à mesure je me suis améliorée ». Travailler le coquillage l’inspire, elle peut changer sa façon de faire et de créer : elle peut imaginer des colliers, des boucles d’oreilles, des bracelets… Elle aime travailler des grosses pièces. « Il y a une créativité qui s’anime. Je travaille principalement avec les porcelaines noires et blanches mais j’aime tous les coquillages ». La plupart d’entre eux viennent de Makemo, sa cousine vit sur cette île des Tuamotu connue pour la richesse et la variété de cette matière première. Elle commande aussi parfois des coquillages de Niau, les pupu niau. Ils sont rares et chers, elle en met peu dans ses créations pour les économiser, une bouteille peut lui faire des années. Tautiti erre aussi sur les plages de Papenoo, Hitia’a ou encore Tautira à la recherche de tous types de coquillages. Elle peut y rester des heures sans voir le temps passer. « J’aime ramasser les coquillages déjà travaillés par la mer et les cailloux. Je les trouve beaux, je suis fascinée. Moi, je suis juste là pour les embellir et embellir la femme avec… Je les utilise pour en faire des bracelets par exemple. Sur la plage, je prends le temps mais je trouve des trésors. »
Le mautini, un autre trésor
Tautiti a une autre spécialité : le mautini, la racine de potiron. C’est aussi un trésor mais d’un autre genre, et beaucoup plus complexe à travailler. Un travail qui est d’abord physique. Il faut aller dans les champs découper la racine puis la laisser tremper pendant une semaine dans un bac. Une fois bien nettoyé dans l’eau savonneuse et que le mautini devient tout blanc, il faut le mettre à l’ombre et le protéger du vent car il est très léger et peut rapidement s’envoler. Il faut ensuite le laisser sécher, ce qui prend généralement une journée. Le travail peut enfin commencer. « Avec le mautini, on fait des couronnes avec des frisettes et des fleurs. Ça prend beaucoup de temps. Je le fais au couteau ou avec le ciseau, le travail est minutieux, il faut faire preuve de patience. C’est la préparation le plus long. Au total, pour une couronne, il faut entre deux à trois semaines de travail. Tout ça je l’ai appris avec ma grand-mère, c’est un peu spécial chez nous à Pueu ». Ces couronnes, on les retrouve au Heiva, avant elles étaient posées sur les têtes des mariés pour les unir. Si le travail peut être éreintant, il n’en reste pas moins satisfaisant. « À la fin, ça me fait chaud au cœur car je suis fière de voir mon produit et de savoir que je l’ai créé moi-même, à la main sans l’aide de personne. On travaille tard dans la nuit et on se lève tôt pour réaliser ces œuvres, c’est fatigant mais c’est ça la vie d’artisanes. ». Une vie qu’elle ne changerait pour rien au monde. Elle essaie à son tour de transmettre à ses enfants et petits-enfants. Pas facile de nos jours, mais elle ne se décourage pas. « C’est très important car ce sont des matières qu’on a tout autour de nous. Tout ce qu’on a à Tahiti, on peut le transformer, il faut juste apprendre ».
Contact de Tautiti Koheatiu : 87.227.608