Hiro’a n°187 – Dix questions à
Here, artiste et ancienne élève du CMA, et Tokainiua Devatine, professeur au CMA
Deux artistes du CMA s’exposent en Nouvelle-Zélande
Propos recueillis par SF – Photos : Tokai Devatine et Here
Here et Tokainiua Devatine sont deux artistes polynésiens. La première s’est formée au Centre des métiers d’art avant de prendre son envol. Le second est un enseignant du CMA. Ensemble, ils participent à une exposition qui se déroule du 3 juin au 22 juillet 2023 à la galerie Fresh de Ōtara, galerie membre du Auckland Council.
Comment est venu l’idée de cette exposition ?
Here : « J’ai été contactée en juin 2022 par Aimee Ratana de Nouvelle-Zélande et Shane Andrew, des Îles Cook, qui se sont chargés de monter l’exposition sur la Nouvelle-Zélande. »
Avez-vous travaillé sur un thème en particulier ?
Here : « Le titre de l’exposition est “Taura Pito, Kaula Piko – Ancestral Ties That Binds Us”. J’ai travaillé sur les connexions à la nature et à soi qui, à mon sens, sont les plus importantes. Sur mes pièces, on peut retrouver les thèmes de la mer, la terre, le ciel, la joie et la spiritualité. »
TD : . Mes œuvres s’organisent autour d’une narration sur des questions qui sont pour moi liées à l’idée de “Te Taura Pito – Te Kaula Piko” (être lié au pito) qui participe à notre existence et à notre croissance : nos relations à l’océan ; nos relations avec l’action de faire et d’être en mesure de faire, de créer ; nos relations avec nos histoires, nos mythologies ; et enfin, nos relations à nos ainés, nos guides. Ces œuvres représentent pour moi ce qui nous lie (taura) aux autres mais d’abord à nous-même, à ce qui contribue à notre océanité, en tant qu’insulaires de Te moana nui a Hiva. »
Qu’y exposez-vous ?
Here : . Des bijoux en nacre bois et os : un plastron, deux pendentifs de type camée, trois bracelets et cinq impressions de dessins numériques sur plexiglas. »
TD : « J’ai proposé une douzaine d’œuvres dans différents médias allant de l’impression 3D à la sculpture sur bois en passant par la photographie et la peinture. »
Combien de temps vous a-t-il fallu pour réaliser cette exposition ?
Here : « J’y ai passé un mois environ pour la partie confection et plusieurs mois de réflexion entre mes commandes et autres projets. »
Quelle a été la partie la plus difficile dans votre travail ?
Here : « Je ne dirais pas qu’il y ait de partie difficile. Le plus contraignant dans mon travail est de gérer la faisabilité de mes idées dans le temps imparti. C’est une
question d’organisation et parfois, c’est limite limite… »
TD : « J’aime cette citation que l’on prête au sculpteur Constantin Brancusi : “Les choses ne sont pas difficiles à faire, ce qui est difficile c’est de nous mettre en état de les faire.” Réaliser une exposition n’est pas une mince affaire, il y a une part d’analyse du sujet, une autre de conception des œuvres, de production de celles-ci, de traitement post-production, de définition de la manière de donner les œuvres à voir, à comprendre et enfin, une part de mise en espace et d’installation. C’est un processus et tout cela s’organise au fur et à mesure. »
Quel a été le processus pour mener à bien ce projet d’exposition ?
TD : « L’envie ou la nécessité de faire cette exposition a germé lors de la pandémie de Covid et au moment des annonces de la réouverture des frontières. Le projet s’est construit à partir d’un collectif d’artistes océaniens issu des rencontres culturelles et artistiques nommées Pūtahi. Cette exposition-ci a été portée par deux artistes-commissaires d’exposition : Aimee Ratana et Shane Tuaeu Andrew. De nouvelles modalités de rencontres ont découlé des Pūtahi mis en place à partir de 2010 à Tahiti par Viri Taimana, Donn Ratana et moi-même et continuent de l’être. »
Il ne s’agit pas du premier échange avec le CMA mais pour toi, Here, oui…
Here : « C’est une première exposition en Nouvelle-Zélande mais ce sont aussi des retrouvailles avec les autres artistes qui participent à cette exposition collective. J’ai eu l’occasion de les rencontrer en 2017 lors du Pūtahi 5 au Centre des métiers d’art et ensuite, en 2018, lors du Pūtahi 6 aux Îles Cook. J’étais à cette époque en formation au CMA. »
En quoi est-il important d’avoir ce type d’échange et de partage ?
Here : « C’est à leur contact que je me suis rencontrée et que j’ai su que le chemin que je me trace est bien celui qui me convient. Ne ressortent de ces rencontres
que de la joie, du partage et l’envie de recommencer. »
TD : « Nos amitiés et cette exposition qui en est l’expression résultent de cette envie et se besoin de créer, de tracer ou plutôt de recréer et de retracer des chemins pour nous mais aussi pour les générations à venir en tant qu’Océaniens. Nous sommes des maillons d’une longue chaine et nous devons assurer le fait que demeure ce sentiment de continuité de nos histoires tressées, entrelacées dans le domaine artistique notamment. »
Qu’est-ce que ces échanges apportent ?
Here : « C’est toujours une belle expérience de partager avec les artistes du Pacifique. Échanger sur notre culture et nos créations me fait me rendre compte que nous sommes très similaires en dépit de nos différents moyens d’expression ou de langues. Je ressens comme une pensée et une mémoire collective lorsque nous échangeons. »
TD : « L’Océanie, c’est nous. L’Océanie est en nous, je paraphrase Epeli Hauofa. Nous devons reconstruire nos chemins, les uns vers les autres. L’Océanie, à travers ses artistes doit se lever, proposer une scène artistique de niveau international comme il en existe en Europe, aux États-Unis ou en Asie. Sa voix et son message, comme ceux de nos penseurs locaux de dimensions océaniennes et internationales, doivent être vus et résonner dans tous les espaces de notre océan, de nos îles, du fond de l’océan jusque dans l’espace aérien et au-delà. »
Quelle est la suite envisagée ?
Here : « Tenter de continuer ce genre de rassemblement et maintenir ce lien entre les peuples de l’océan. »
TD : « Nous avons discuté d’augmenter nos capacités à échanger, à créer, à évoluer et à exposer. Nous avons discuté de nombreuses possibilités à venir de nous rencontrer, à savoir la tenue d’un prochain grand rassemblement à Hawaii, à Tahiti ou en Nouvelle-Zélande Aotearoa ? Une semaine de workshop, suivie d’une exposition à Hawaii à l’issue du Festival des arts du Pacifique ? À Tahiti ? Un projet de rencontre à Rarotonga ? Une exposition itinérante à partir de Tahiti ?… » ◆
Légendes
Les artistes océaniens aimeraient multiplier les rencontres et les collaborations.
œuvres de Here et Tokainiua Devatine.
Première exposition en Nouvelle-Zélande pour Here.
Une œuvre de Tokainiua Devatine.
Tableaux de Shane Tuaeu Andrew.