Hiro’a n°185 – Trésor de Polynésie
Le costume du deuilleur de retour à Tahiti après 250 ans d’absence
Rencontre avec Tamara Maric, conservatrice au Te Fare Iamanaha – Musée de Tahiti et des îles et Marine Vallée, assistante de conservation. Texte et photos : Pauline Stasi
Inaugurée début mars, la nouvelle salle d’exposition permanente du Te Fare Iamanaha – Musée de Tahiti et des îles dévoile aux visiteurs de superbes objets. Parmi eux, une pièce tout à fait exceptionnelle : un habit de deuilleur collecté par Cook en 1774. Ce costume, en excellent état de conservation, a été prêté au musée polynésien pour trois ans par le British Museum.
Protégé derrière sa grande vitrine en verre, le costume de deuilleur, haut de 2,50 mètres, se remarque de loin avec ses multiples nacres aux reflets scintillants. Exposé depuis mars dans la toute nouvelle salle permanente du Te Fare Iamanaha – Musée de Tahiti et des îles – l’habit du deuilleur fait l’objet d’un prêt d’une durée de trois ans par le célèbre musée londonien, le British Museum. Si elle peut désormais émerveiller les visiteurs venus au Musée de Tahiti et des îles, la présence en Polynésie de ce costume magnifique, utilisé lors des rites funéraires dans les îles de la Société, est l’aboutissement d’un travail et d’une collaboration de longue haleine entre les équipes des deux musées. « Les premiers échanges de principe datent de 2018. Depuis, nous avons eu énormément de contacts, des centaines d’échanges de mails avec le British Museum. Une équipe du British Museum, à laquelle appartenaient notamment Julie Adams et Monique Pullan, était également venue à Tahiti en 2019 pour rencontrer l’équipe du Musée et échanger avec le public polynésien sur le costume lors de deux conférences », explique Marine Vallée, assistante de conservation au Te Fare Iamanaha – Musée de Tahiti et des îles.
Un ti΄i trouvé à l’intérieur
Deux expertes du British Museum se sont chargées du convoiement : mesdames Monique Pullan, restauratrice spécialisée en fibres et textiles, et Imogen Laing, Collection Manager, Textiles (sous la direction de Julie Adams, conservatrice responsable des collections d’Océanie au British Museum). Elles ont ainsi ramené il y a quelques semaines le costume du deuilleur sur la terre polynésienne, deux siècles et demi après qu’il l’a quittée. « Le costume avait été collecté par le navigateur James Cook lors de sa seconde expédition en Polynésie en 1774 puis il l’a ramené en Angleterre où il était resté depuis (…). Dans les années 1960, des équipes du British Museum ont trouvé, dans un ballot de tapa reposant sur le chevalet qui servait de support au costume, un ti΄i en bois », précise Tamara Maric, conservatrice au Te Fare Iamanaha, évoquant l’histoire passionnante et surprenante de ce
costume.
Une semaine pour l’installer
Très impressionné par les costumes de deuilleur, l’explorateur anglais avait essayé d’en collecter lors de son premier voyage en Polynésie, mais en vain. Lors de son second voyage en 1774, il offrit des plumes rouges qu’il avait ramenées de Tonga dont il connaissait la valeur à Tahiti. Il ramena au total une dizaine de costumes de deuilleur, dont celui exposé actuellement à Tahiti, certainement le plus beau d’entre eux. « C’est un habit absolument magnifique, il est composé de très nombreux éléments : une coiffe, un masque, un plastron, deux ponchos, un tablier… Il est confectionné avec de nombreux matériaux. Le costume comprend plusieurs couches de tapa, beaucoup de nacres, du bois, de la noix de coco, des plumes… qui sont des éléments fragiles. Initialement, la cape de plumes noires qui accompagne le costume ne devait pas faire partie du voyage pour cette raison, puis, après restauration et analyses, le British Museum a accepté de la prêter. C’est vraiment extraordinaire que ce costume soit ici, dans sa totalité », note Marine Vallée avec un enthousiasme non feint. Arrivé par avion de Londres à Papeete dans de grandes caisses, il aura fallu ensuite à l’équipe anglaise pas moins de cinq jours entre les constats d’état et le montage pour installer l’habit sur son mannequin dans la nouvelle salle d’exposition permanente du Musée. Ce costume est composé, entre autres, d’une coiffe en plumes de phaëton, d’un masque en nacre avec une minuscule ouverture pour les yeux, d’une magnifique cape en tapa aux couleurs encore vives, d’un plastron composé de plus de 1 500 petites nacres rectangulaires ou encore un tablier réalisé à partir de cercles sculptés dans la noix de coco : un savoir-faire qui suscite encore aujourd’hui l’admiration.
« Blesser ou tuer tout sur leur passage »
Si le costume impressionne les visiteurs du Musée aujourd’hui, au XVIIIe siècle, il devait effrayer ceux qui l’apercevaient. L’habit était revêtu par un prêtre lors des rites funéraires pratiqués à l’occasion du deuil d’un ari΄i, aux îles de la Société. « Après sa mort, le corps du ari΄i était placé sur le fare tūpāpa΄u, une plateforme surélevée, à côté du marae. Les prêtres procédaient ensuite aux rites funéraires, qui s’achevaient par la cérémonie du heva tūpāpa΄u, dirigée par un prêtre revêtu de ce costume. Armé d’une lance au tranchant en dents de requin, il parcourait le district, accompagné d’une troupe de jeunes hommes, les neva neva, grimés de peintures et exprimant le deuil par la folie. Le maitre de cérémonie portait également un tete, une sorte de claquoir en coquille d’huitre avec lequel il prévenait de son arrivée et faisait fuir les habitants. Le cortège pouvait blesser ou tuer quiconque se trouvait sur leur passage », explique Tamara Maric. Ces rites funéraires permettaient d’accompagner le processus d’accession des ari΄i décédés au statut d’ancêtres. Cette cérémonie durait plusieurs semaines, voire parfois plusieurs mois, jusqu’à ce que soit décidé la fin du deuil. ◆
Légendes
Le ti΄i trouvé à l’intérieur.
Le costume du deuilleur dans son intégralité.
La coiffe et une partie du plastron.
Le tablier avec des cercles sculptés dans la noix de coco.
Plastron.