Hiro’a n°183 – L’œuvre du mois
L’œuvre du mois – Centre des métiers d’art (CMA) – Pu ha΄api΄ira΄a toro΄a rima΄ī
Utiliser la terre de Tahiti pour fabriquer de la céramique
Rencontre avec Hihirau Vaitoare, enseignante en sculpture au CMA, et Céline Janczak, designer spécialisée en céramique. Texte et photos : Lucie Rabréaud
Designer spécialisée en céramique, Céline Janczak a animé un workshop expérimental autour de la céramique pour le Centre des métiers d’art. Une expérience vécue par les enseignants et certains élèves comme une opportunité de connaitre un nouveau matériau.
Céline Janczak est encore en train de prendre des notes sur son carnet quand Océane, une étudiante en DN Made, arrive avec un panier rempli : « Je t’ai ramené des algues, des hibiscus séchés et du kere. » Elle pose tout ça sur la table, sous les yeux ravis de Céline. Pendant quinze jours en décembre, des étudiants de DN Made et des enseignants du Centre des métiers d’art ont participé à un workshop expérimental autour de la céramique, animé par Céline Janczak, designer spécialisée dans ce domaine. Cette initiative a commencé un peu plus tôt dans l’année quand l’artiste a débarqué à Tahiti pour des vacances et cherché l’école d’art du coin. Arrivée au CMA, elle y retrouve Viri Taimana, le directeur et son ancien professeur alors qu’elle était étudiante aux Beaux-Arts. Immédiatement, Viri Taimana lui propose de parler de la céramique aux élèves, qui auront droit à son récit de toute l’histoire de Vallauris, haut lieu de renaissance de cet art. Tous ont alors envie de tester les terres de Tahiti et de faire un four au Centre des métiers d’art pour y cuire leurs nouvelles créations, mais le temps manque à Céline Janczak qui doit rentrer. Le rendez-vous est pris, elle reviendra. Nous sommes en décembre 2022 et elle est enfin là pour tester concrètement la terre tahitienne et apprendre les bases de la céramique aux élèves volontaires du CMA, ainsi qu’aux enseignants. La céramique connait aujourd’hui de multiples applications : on imagine bien sûr les tasses, la vaisselle, mais elle est également utilisée pour les prothèses auditives, des pièces des navettes spatiales, des innovations thermiques pour le bâtiment… Bref, le champ des possibles semble illimité.
Découverte de techniques
Pendant cet atelier, les participants ont découvert la matière et les différentes techniques de façonnage. « Le cœur de l’atelier réside dans l’hybridation des gestes, des techniques et de l’expérimentation de la matière, terre collectée en Polynésie française. Il s’agit de questionner la matière pour répondre aux enjeux sociaux écologiques et économiques. » Toutes les terres ont des propriétés distinctes et donc des utilisations différentes. Quelles seront celles des terres trouvées sur Tahiti, c’est toute la question de cette expérience. La terre a d’abord longuement séché puis a été réimbibée d’eau afin de ne récupérer que ce qui est intéressant, puis mise à sécher à nouveau… « Toutes ces étapes permettent d’éliminer les cailloux, les végétaux et d’arriver à une matière molle et maniable. » Ces tests sont déjà une indication sur les qualités de la matière première. Il s’agit ensuite de la travailler pour en faire une pièce. C’est le bol à trois pieds, avec couvercle, qui a été choisi. Plusieurs bols sèchent à l’abri des regards, sous des tissus, dans l’atelier de sculpture, transformé pour l’occasion en atelier de céramique !
Une fois le modelage terminé, il faut passer à la décoration avec la fabrication d’engobes à partir des terres collectées, sorte de peinture ou de vernis recouvrant la pièce et permettant d’en cacher la couleur. Céline Janczak leur enseigne la technique de la terre sigillée : un engobe composé des plus fines particules de l’argile qui vont se vitrifier à la cuisson. Une décoration en émail est également réalisée avec une bouteille de bière pilée ! Les plantes ramenées par Océane serviront à fabriquer des « émaux de cendre » pour obtenir des couleurs à poser sur les pièces. Et évidemment, de la gravure pour imprimer des motifs aux bols.
Trouver la bonne recette
Une fois cette partie terminée, les participants ont construit le four et cuit leurs pièces. Un moment délicat car les températures de cuisson varient entre 1 020 et 1 260 degrés, pendant 8 à 10 heures ou 10 à 12 heures selon les catégories de pièces (terre cuite, faïence, grés ou porcelaine). Tout peut arriver : « Ça peut éclater, fissurer… Sur dix pièces en porcelaine, seules deux ressortent réussies », explique Céline Janczak. Il y a effectivement eu de la casse mais cela fait partie de l’expérience. « L’objectif de cet atelier est de donner une base de technique traditionnelle et l’expérimenter ici avec ce que nous offre Tahiti. La céramique répond à des techniques très normées, il fallait donc des bases solides avant d’aller plus loin. On entend dire que la terre de Tahiti n’est pas exploitable pour ce genre d’objets, moi je pense que c’est possible mais cela nécessite peut-être beaucoup de travail. » Et des essais, des tests, jusqu’à trouver la bonne recette. Pour les enseignants du CMA, c’est aussi une occasion « d’acquérir de nouvelles compétences en mettant en avant les produits locaux », précise Hihirau Vaitoare, enseignante en sculpture. « C’est la continuité d’un travail déjà commencé avec des expériences. Nous souhaitons faire entrer ce nouveau savoir-faire dans les enseignements du CMA. » ◆
HT
Solène Blanc, étudiante en DN Made
« Je suis étudiante en DN Made, mention fibre textile, héritage polynésien, processus innovant et écoresponsable. Je suis styliste de formation et après avoir participé à deux Tahiti Fashion Week avec ma marque Maaki, la logique d’acheter du tissu pour créer mes vêtements, ne me correspondait plus. J’avais envie de fabriquer mes propres matières, à partir des ressources locales et essayer de retrouver des choses peut-être un peu perdues au fil du temps. Cet atelier autour de la céramique avec Céline Janczak permet de mettre les mains dans la matière et j’adore ça ! C’est une opportunité d’acquérir de nouvelles compétences. Cette expérience, c’est comme un cadeau.
La céramique offre de nouvelles possibilités comme la fusion entre l’argile et la fibre pour des solutions thermiques dans la construction ou des ustensiles de tous les jours. Avec ces nouvelles idées, mes projets se démultiplient ! Je ne sais pas encore quel métier je souhaite exercer mais j’aime les choses simples, manuelles, authentiques, écologiques. J’aime toucher à tout et je verrai, à l’issue de ma formation, ce qui m’intéresse le plus ! »