Hiro’a n°181 – Pour vous servir
Direction de la culture et du pa trimoine (DCP) – Te Papa h.ro ’a ‘e Faufa ’a tumu
Rencontre avec Mark Eddowes, archéologue. Texte : Cl Augereau – Photos : Mark Eddowes
Arahurahu : la restauration du marae interroge son origine
C’est l’un des plus beaux sites historiques de Tahiti et un arrêt incontournable pour tous les touristes à Paea… Suite à un éboulement survenu en août, l’archéologue Mark Eddowes a été missionné par le ministère de la Culture pour restaurer la partie endommagée.
« Après de fortes pluies, il est possible que de légers éboulis arrivent. Cependant, lorsque j’ai constaté l’effondrement de la partie sud du ahu du marae Arahurahu, qui englobait les trois gradins et le mur d’enceinte, soit une hauteur de 2,50 m sur une largeur de 3 m, je me suis dit que c’était prévisible… En effet, ce site, construit selon la technique des pierres sèches, n’est pas fait pour que les gens montent dessus. Autrefois, c’était un lieu hautement tapu. Avec l’usure du temps et l’engouement touristique et culturel du lieu, c’est prévisible qu’il s’abime… », explique Mark Eddowes, archéologue néo-zélandais et chercheur reconnu dans le domaine de l’anthropologie polynésienne.
Un mois de chantier pour restaurer…
Toutes les pierres éboulées ont été triées et rangées par taille. La matière servant de remblai a fait l’objet de la même attention. Aidé par trois jeunes de Papara, en formation archéologique, Mark Eddowes a utilisé la technique ancestrale de maçonnerie à pierre sèche, qui consiste à mettre les pièces les plus importantes à l’intérieur puis à ajouter des cailloux plus petits et enfin, à verser des graviers de rivière mélangés à un peu de terre argileuse humidifiée afin de colmater l’ensemble et consolider l’édifice. Le chantier a duré un mois. « Il a fallu faire bien attention à l’ordre des pierres, chacune a été taillée à la main et possède une forme différente. Nous avons recréé l’aspect ancien, tout en étant obligés d’harmoniser avec les restaurations précédentes qui ont mélangé les cailloux de différents formats. Autrefois, les plus grandes pierres à bossage (arrondies) étaient toujours placées dans la première rangée, de par leur fort symbolisme. Elles représentent le crâne humain et celui de la tortue, symboles liés au culte du dieu ΄Oro. »
… Et se poser des questions quant à son origine
En observant ce marae, restauré à plusieurs reprises, notamment par les militaires dans les années 1950 dans le cadre de la mise en valeur de sites culturels touristiques, puis par les scouts sous l’égide d’Eugène Doom et enfin, dans les années 1970, le spécialiste s’interroge : le marae Arahurahu est-il un site ancien ou bien une structure plus récente relocalisée ? « Dans un premier temps, j’ai regardé attentivement son architecture par rapport aux témoignages des deux grands anthropologues américains, Edward Smith Craighill Handy et Kenneth Pike Emory, qui ont été les premiers à étudier ce site dans les années vingt. Leurs descriptions situent le marae “à environ 3 miles dans la vallée”, beaucoup plus loin que l’emplacement actuel. Ce que confirment les riverains, qui me disent tous : “Dans mon enfance, le marae était à l’intérieur de la vallée.” Si c’est vraiment le cas, alors comment ont été transportées toutes ces pierres ? »Ce premier questionnement s’ajoute à d’autres observations qui interpellent le spécialiste :« Lorsqu’on s’intéresse à sa structure, là encore des interrogations demeurent : il ne semble pas y avoir de logique. Si on retrouve la technique de la pierre sèche, l’agencement ne correspond pas. Autrefois, on posait deux pierres arrondies côte à côte, et on venait mettre la troisième au-dessus, entre les deux, afin de former un Y et consolider la construction. Pour la taille des pierres, on partait du très gros, au plus petit au encore plus petit. À Arahurahu, les pierres de différentes tailles sont les unes sur les autres, et il n’y a pas d’ancrage en Y. C’est d’ailleurs pour cette raison que cela ne tient pas et que c’est inévitable qu’un jour, cela s’effondre… » Autre point, les pierres de soubassement du ahu, taillées à la main dans des blocs de corail, sont, elles aussi, mal positionnées car, non seulement leur côté lisse n’est pas toujours tourné vers l’extérieur, mais certains blocs ont été mis à la verticale au lieu d’être à l’horizontale, créant ainsi un déséquilibre.
Et de conclure : « Pour ma part, je pense qu’il existait un marae à cet endroit mais tellement abimé qu’il a été restauré notamment avec des pierres des marae voisins. Aujourd’hui, le site menace de s’effondrer parce que les restaurations n’ont pas respecté les techniques anciennes de construction. Il faudrait tout démanteler pour le réédifier correctement et là, nous pourrions découvrir si ce sont des vestiges originaux. »