Hiro’a n°181 – Le saviez-vous ?
Direction de la culture et du patrimoine (DCP) – Te Papa hiro’a ‘e Faufa’a tumu
Le pïfao ou muti, jeter de sort ou magie noire
Texte : Natea Montillier Tetuanui- Direction de la culture et du patrimoine
On trouve des indications sur le pïfao ou muti, l’acte de jeter un sort, grâce aux témoignages oraux ou écrits, aux légendes ; en langue polynésienne, des termes anciens, des constructions de phrases, des formules de narration, des terminologies archaïques sont autant de références à des us et coutumes, des savoirs et savoir-faire anciens qui ont pu ou non se maintenir dans les îles de Polynésie.
Selon les anciens Polynésiens, il y a te ao (le monde des vivants) et te pō (le monde des esprits et des dieux, appelé aussi Havai’ï, Tonofiti). Sur les marae, on rendait hommage aux esprits qu’on nommait, et aux dieux. Selon les croyances, dieu envoyait les maladies, la guérison et la mort.
Jeter un sort
Quelqu’un de vivant ou un mort pouvait jeter un sort à un vivant avec ou sans l’aide d’un tahu’a (spécialiste) ; pour jeter un sort, il faisait des incantations demandant l’appui d’un esprit, d’un tāura (esprit protecteur de famille), d’un dieu ; quand il prononçait des phrases magiques, l’ordre et la place des mots importait au point qu’une inversion pouvait rendre funeste une incantation bénéfique.
Les tahu’a utilisaient des tupu (support pour jeter un sort) : des cheveux, de la salive, des ongles, un tupumoea (natte ou morceau de natte) et ce, pour faire enfler un organe, rendre malade, faire mourir la personne à qui appartenait ces objets. Les tahu’a conservaient ces objets dans un pua-roa
(panier des tahu’a). Pōti’i-tārire était le dieu des tahu’a et Roa celui que les apa priaient pour contrer le tahu’a et les siens.
Conjurer un sort
On espérait que le tāura ou esprit ou dieu invoqué apprécie les offrandes, les prières et agisse de sorte à rétablir le patient, le libérer de son entrave en annihilant l’effet du sort jeté à son encontre.
Un ou plusieurs tahu’a organisaient le tūro’o (cérémonie) pour un mort afin que celui-ci ne jette pas de ’aiea (sort) aux vivants ni de ’aiora (sort mortel). Si la famille pensait que la personne souffrait ou mourait d’un sort, les tahu’a prononçaient un tahurere (prière) pour le malade ou le défunt avant de jeter un sort à son ennemi. Dans ce cas les tahu’a étaient appelés ta’ati’i (qui conjurent). Si leur sort entrainait la mort de la personne ciblée, on les appelait alors rahu-pohe (qui sèment la mort). La première personne détruite par un tahu’a s’appellait tapoa.
Les tahu’a qui conjuraient un terero (sort ; mar. kaha) tressaient le ’aha (cordelette sacrée en bourre de coco), c’est pourquoi on les appelait aussi natinati-’aha. Si les conjureurs avaient des visions ou des dons, on les disait tahutahu (magiciens) ou hi’ohi’o (voyants).
Pour se protéger pendant les rituels, les tahu’a portaient un heretī (ceinture de Cordyline fruticosa) car les feuilles de tī sont réputées avoir une vertu sacrée et magique.
Lorsqu’un malade semblait être victime d’un sort, le tahu’a devait le paipai (exorciser) afin de chasser le ihoihoā (esprit
qui inflige la maladie ou la mort aux vivants) ou le ’oromatua (esprit aux dispositions malveillantes qui provoque la maladie). Pour cela le tahu’a prononçait un tupua, haetupua
ou matahiti (charme pour rompre un sort).
L’expression ’aitoa ! ou kaitoa ! qui signifie littéralement « mange le guerrier ! » était aussi un charme pour rompre un sort mais on observe un glissement sémantique au cours des derniers siècles, aujourd’hui elle signifie davantage : « Bien fait ! ».
Le autahu’a (ensemble des prêtres) pouvait décider de prier ou d’agir à l’unisson pour amplifier la portée de leur sort pour contrer et punir, d’une part l’attaquant, et d’autre part pour que leur protégé atteigne le moria (guérison d’une maladie grave).
Les tahu’a aux aguets se fiaient beaucoup à la manifestation des symptômes de la maladie et aussi aux mata-a-ta’o (présages) extérieurs tels que le cri d’un ’ōtare (fauvette) au-dessus de quelqu’un, présage de mort.
La coutume veut encore, selon les anciens, que lorsqu’une personne sent la présence indésirée d’un esprit, que les cheveux se dressent sur sa tête, que la chair de poule court sur son corps ou qu’elle sent une présence ou voit une apparition, elle injurie l’esprit en utilisant la formule ’aitoa !,
le chasse et retrousse son pāreu pour lui montrer son séant et le faire fuir. ◆
Références bibliographiques
• BSEO : bulletin de la société des études océaniennes
• D. Darling, 1834 aux Marquises, 1955, n°113 pp. 476-480
• A. Leverd, 1923, n°7 pp. 8-18
• Cpt Brisson, légende de Muna-nui,1928, pp. 11-14
• Ioane Mamatui, Vieille légende de Magareva, n°26, 1928, pp. 99-101