Hiro’a n°180 – DOSSIER

Un schéma directeur pour tisser l’avenir de l’artisanat

Rencontre avec Vaiana Giraud, cheffe du Service de l’artisanat traditionnel. Texte Pauline Stasi. Photos : Archives ART – HIRO ’A – DR

À la demande de son ministère de tutelle, le Service de l’artisanat traditionnel a coordonné la réalisation d’un schéma directeur définissant les grandes orientations et axes à suivre pour le secteur de l’artisanat dans les dix prochaines années. Une volonté affichée : tout mettre en œuvre pour que l’artisan travaille et vive au mieux de son savoir-faire, de sa passion et que le secteur devienne plus fort économiquement et structurellement.

Des bijoutiers, des vanniers, des sculpteurs, des couturiers… quelque 1 500 personnes mettent leur savoir-faire au service de l’artisanat, fleuron de la culture polynésienne qui rayonne au-delà du fenua. « Chaque touriste ramène dans ses bagages un bijou, un objet, une sculpture, créés par un artisan local. L’artisanat est vraiment un marqueur très fort de l’identité polynésienne », souligne Vaiana Giraud, cheffe du Service de l’artisanat traditionnel.

Après avoir défini un nouveau statut pour les artisans en mai dernier (lire encadré), le service du Pays s’est donc attelé à un autre chantier de taille, la réalisation du schéma directeur du secteur de l’artisanat. Étudié en conseil des ministres, ce document présente la vision, les axes et orientations stratégiques visant à guider les actions pour le secteur de l’artisanat traditionnel au cours des dix prochaines années.

La vision retenue dans ce document majeur est celle de faire de l’artisanat une filière intégrée à l’économie polynésienne, valorisée, protégée et s’exportant à l’international. Pour y arriver, six grands axes ressortent, chacun décliné en plusieurs actions. Le premier est d’œuvrer pour une intégration économique et sociale formelle du secteur. Le second est de favoriser des revenus décents et une protection sociale pour les artisans. Il s’agit également de valoriser la filière, de travailler pour une meilleure performance de commercialisation, d’aider au développement par la formation et la transmission et enfin, de mettre en place un accompagnement de la filière optimisé.

Une vraie richesse pour la Polynésie

Pour les définir, le service a fait appel à un consultant spécialisé, qui a procédé en amont à un vaste état des lieux, une véritable cartographie du secteur (lire interview suivante), discernant ses forces et faiblesses et surtout les besoins et attentes de ses principaux acteurs : les artisans. « L’artisanat est une vraie richesse pour la Polynésie et si le savoir-faire de nos artisans est mieux reconnu, il pourrait représenter une part plus importante dans l’économie polynésienne. L’objectif de ce schéma directeur est entre autres d’améliorer la partie commerciale, de donner une meilleure visibilité au secteur et surtout d’améliorer la situation personnelle des artisans », insiste la cheffe du Service de l’artisanat traditionnel.

Si la mise en œuvre du schéma directeur s’étend jusqu’en 2032, certaines orientations en faveur des artisans ont déjà été programmées dès cette année, à l’instar de la délivrance d’une carte d’agrément, reconnaissant leur statut d’artisan traditionnel ou d’expert artisan. La mise en place de ce nouveau statut s’accompagne de tout un programme d’aides délivrées aux artisans patentés et aux associations d’artisans. Le Service de l’artisanat traditionnel a également déjà débuté plusieurs formations techniques sur le nī΄au, et la fibre de coco aux Tuamotu en juillet et août dernier. D’autres actions, comme la dispensation de formations générales en  communication, en technique de vente ou encore en gestion (lire ci-après) vont être proposées très prochainement par le service aux artisans afin de leur apporter des solutions concrètes aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans leur quotidien et ainsi optimiser les compétences de ces passionnés.

Des formations en communication, gestion et vente pour les artisans du fenua

Si les artisans détiennent un vrai savoir-faire dans leur domaine, ils doivent être de véritables couteaux suisses, leur métier impliquant aussi de savoir communiquer, vendre et gérer. Afin d’aider ceux qui le souhaitent à être plus performants dans ces secteurs, le Service de l’artisanat traditionnel a souhaité profiter de l’organisation des différents salons pour leur proposer des formations générales de quelques heures en comptabilité gestion, vente et communication. « L’artisan travaille généralement seul. Toute la complexité de son métier est qu’il doit être polyvalent. Outre son savoir-faire, il faut qu’il sache faire de la  communication, être visible sur les réseaux, il faut aussi qu’il soit comptable, qu’il sache vendre, faire un bilan, accueillir un client…, or il n’est pas forcément armé pour maîtriser tous ces domaines », note encore Vaiana Giraud. 

Partant de ce constat, le service a donc décidé de mettre en place des formations générales afin d’apporter une réponse précise à des besoins précis. Dispensée par des prestataires extérieurs spécialisés, chaque formation, gratuite et sur la base du volontariat, abordera ainsi pendant une durée de trois heures, les notions de base dans chacune des disciplines retenues. La première formation portera sur la thématique de la comptabilité gestion. Le formateur expliquera à l’artisan comment déterminer un prix, comment faire un devis, une facture, comment anticiper et maitriser son activité ou encore comment tenir un livre des recettes et dépenses. La seconde portera sur les techniques de vente. L’artisan sera sensibilisé à l’accueil, à l’attitude à avoir avec le client, aux différentes étapes de la vente, ainsi qu’à la mise en valeur des produits. Enfin, la troisième formation portera sur la communication. L’artisan y apprendra les bases de la photographie, mais aussi comment créer une page Facebook pro, communiquer sur les différents réseaux sociaux… « C’est difficile, car souvent les artisans hésitent à mettre leurs objets sur Facebook de peur d’être copiés, mais c’est important aussi de communiquer sur les réseaux. Ces formations devraient les aider à mieux appréhender certains outils », indique Vaiana Giraud.

Développer le panel de formations

Si ces formations doivent aider les artisans au quotidien dans leur activité, la difficulté résidait dans les moyens de les dispenser. Pour cela, le Service de l’artisanat a trouvé le moyen plutôt judicieux « de toucher » les artisans… « L’idée est de profiter de la venue des artisans des îles à Tahiti lors d’un salon et de leur dispenser les formations sur le lieu même où ils sont présents, c’est-à-dire directement sur les salons (…). Il faut juste que les inscrits trouvent quelqu’un qui puisse surveiller leur stand pendant les trois heures de temps que dure chaque formation. Les premières formations seront proposées au salon des Australes qui doit se tenir du 17 au 30 octobre à l’assemblée de Polynésie française. D’autres sont déjà programmées pour les salons suivants », détaille la cheffe du service, qui envisage à terme de développer le panel de ces formations pratiques à d’autres disciplines selon les besoins des artisans. « Certains aimeraient apprendre quelques notions d’anglais, cela pourrait les aider de connaitre quelques bases pour échanger avec les visiteurs », note Vaiana Giraud. That would be great ! ◆

PRATIQUE

Service de l’artisanat traditionnel

• Pour en savoir plus sur les dispositifs de cartes

d’agréments et aides proposés par le service :

• www.artisanat.pf

• 40 54 54 00

• [email protected]

HT1

Les nouveaux statuts d’artisan instaurés en février 2022

– Rima΄ī mā΄ohi :

La première carte d’agrément d’artisan traditionnel de Polynésie française est accessible aux personnes qui exercent le métier d’artisan traditionnel, patentées depuis au moins un an. Elle s’adresse également aux présidents d’associations, de comités ou de fédérations qui souhaitent bénéficier de subventions.

Pour obtenir cette carte, il suffit de faire une demande auprès du Service de l’artisanat traditionnel ou sur leur site. Si les conditions sont remplies, le demandeur obtient alors sa carte valable pour une durée de cinq ans. Cette carte permet d’accéder à des aides à l’équipement, à l’achat de matières premières et à des formations générales et techniques.

-΄Ihi rima ΄ī mā ΄ohi :

Cette carte s’adresse aux artisans traditionnels « experts » ; elle est attribuée après avis de la commission consultative de l’artisanat traditionnel. Le demandeur doit exercer en tant que patenté depuis au moins cinq ans ou depuis au moins trois ans s’il est titulaire d’un diplôme de niveau IV.

Cette carte permet d’accéder à des aides à l’équipement, à l’achat de matières premières, à la formation, ou encore à la prise en charge d’une partie des billets d’avion pour participer à des événements qui mettent en valeur l’artisanat traditionnel. Par ailleurs, ces artisans experts peuvent être sollicités par le service pour donner des formations techniques aux artisans qui veulent se former ou s’améliorer dans leur domaine.

HT2

Vaiana Giraud, cheffe du Service de l’artisanat traditionnel

Comment avez-vous réalisé ce schéma directeur ?

« Ce schéma directeur comprend un vaste état des lieux, une cartographie de l’économie du secteur réalisée par un consultant spécialisé. Pour cela, une soixantaine d’artisans issus des cinq archipels et des différentes professions ont été interrogés. Nous avons également multiplié les rencontres avec de nombreuses structures parties prenantes, comme les banques, la CPS, le Sefi, la CCISM… Toutes ces rencontres nous ont permis de mieux cerner les problématiques du secteur, ses forces et faiblesses, les attentes des artisans et leurs difficultés. »

En quelques mots, que reflète cette cartographie, qui sont les artisans polynésiens aujourd’hui ?

« On estime à 1 500 le nombre d’artisans en Polynésie ; 46 % d’entre eux sont concentrés aux îles du Vent et 54 % sont répartis dans les autres archipels. Les métiers les plus pratiqués sont ceux de bijoutier, vannier, sculpteur graveur et couturier. Les artisans sont en grande majorité des femmes, et 85 % d’entre eux ont plus de 40 ans. »

Quelles sont quelques-unes des difficultés du secteur de l’artisanat ?

« Elles sont multiples et variées. À commencer par les prix pratiqués qui ne permettent pas toujours aux artisans de se rémunérer au Smig. Les artisans ont aussi souvent un accès difficile aux matières premières en général à cause de l’augmentation des prix, des pénuries de matériaux en raison des intempéries. Ils n’ont pas toujours un atelier chez eux ou du matériel adapté, et disposent rarement d’un espace de vente fixe. On peut aussi noter un réel besoin de valorisation du secteur. »

Et quels sont les points forts de l’artisanat polynésien ?

« Ils sont nombreux également. C’est tout d’abord une pratique quasiment unique au monde, dans toutes ses expressions, et le fruit d’une transmission ancestrale, de génération en génération, qui lui donne ce caractère unique. De nombreux artisans n’hésitent pas également à créer et à mêler à ces savoir-faire une modernité très appréciée des acheteurs. Les matières premières sont de qualité comme la nacre, la fibre, les coquillages et constituent une vraie richesse. L’artisanat contribue à l’économie de la Polynésie et des archipels, et apporte un revenu à de nombreuses familles polynésiennes. C’est aussi une vraie voie, un vrai métier, avec des centres de formation qui proposent des cursus diplômants. Le plus connu est le Centre des métiers d’art (CPMA, BPMA, DN MADE). Afin de mettre en valeur tous ces aspects, il y a un projet de label qui est en cours, et qui permettra de valoriser davantage encore les artisans traditionnels et leurs produits. »

Comment voyez-vous l’artisanat dans dix ans, en 2032 ?

« Comme un secteur plus structuré, plus visible et plus fort, davantage présent dans l’économie du Pays. Car aujourd’hui, on parle beaucoup du poids des entreprises, de l’agriculture dans l’économie, mais moins de l’artisanat, qui a pourtant un réel poids économique. J’aimerais qu’il suscite encore de nouvelles vocations. »

Legendes

Tressage, la spécialité des Australes.

Le savoir-faire se transmet d’une génération à l’autre.

Savoir-faire des Australes.

Artisanat marquisien.

Aux Tuamotu, on travaille le coquillage. 

Le tīfaifai.  

Pierre fleurie de Ua Pou sculptée.  

Bois, pierre, os… sont les matières premières privilégiées des artisans marquisiens.