Hiro’a n°174 – L’œuvre du mois

Gambier 4a

Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Fare Manaha

 

Rencontre avec Titouan Lamazou, artiste. Texte de Valentine Livine – Photos : Titouan Lamazou

 

Les Gambier croqués par Lamazou

 

Quarante ans après sa première visite aux Gambier, Titouan Lamazou est revenu y croquer l’archipel. Sous ses pinceaux, trois thématiques se dégagent, révélant le lourd tribut payé par les habitants de ces îles. Entre essais nucléaires, évangélisation fanatique et aujourd’hui pollution plastique due à l’activité des fermes perlières, les Gambier ont une force de résilience peu commune.

 

« Les Gambier, j’y suis allé aux côtés d’Éric Tabarly, il y a quarante ans. En 1977, nous étions une bande de jeunes gars fougueux et aventureux qui faisions la fameuse croisière transpacifique. Nous avons été choqués de ce que la population et les militaires nous faisaient découvrir », se souvient Titouan.

L’artiste-peintre avait donc en tête de montrer les Gambier post-CEP, mais sans se baser sur ses souvenirs, dont il dit se méfier. « Je considère que les souvenirs ne sont pas très fiables. Souvent, soit on les sublime, soit on s’approprie ceux des autres après avoir parlé avec eux. Je suis ainsi parti aux Gambier avec un esprit ouvert, sans m’encombrer des vestiges de ma première escale. »

 

La gentillesse des habitants

« Aux Gambier, j’ai reçu un accueil à nul autre pareil. Les gens sont d’une gentillesse incroyable. J’ai eu des accueils chaleureux partout où je suis passé, mais rien de comparable aux Gambier », relate Titouan Lamazou.

Des portraits, l’artiste a pu en peindre plusieurs : Yves Salmon, militant anti-bombe de la première heure, Bruno Schmidt, infirmier et archéologue amateur passionné, un jeune Pascuan aujourd’hui veilleur des sépultures des tupuna sur Agakau-i-tai, Mémé Karo, gardienne de la cathédrale Saint-Michel à Rikitea… « Je suis venu aux Gambier pour retranscrire la nature, le vivant, les humains. Contrairement à mon séjour aux Tuamotu, je n’ai pas réalisé de toiles sous-marines. Le temps passé aux Gambier était agréable, bien qu’assez étrange aussi, car en pleine crise du Covid et, là-bas, l’ambiance était détendue avec des personnes sans masque. Rien à voir avec ce qui se vivait aux îles du Vent par exemple ! », explique le peintre.

 

Un archipel unique

« Ce qui m’a marqué, raconte Titouan, c’est l’impression d’arriver aux Caraïbes. Les Gambier ont une ambiance latino, une ambiance d’Amérique du Sud, mais avec des paysages uniques. C’est aussi ce que j’aime de la Polynésie : chaque île, chaque archipel est unique, avec une végétation propre, une ambiance singulière, poursuit-il. Depuis un point de vue exceptionnel du mont Duff, j’ai pu peindre les rares plantes endémiques qui subsistent. » Sur les tableaux de Titouan, on retrouve ainsi le merei, le nioi, le pukamaga. Ces plantes survivent aux espèces importées invasives grâce à l’investissement et à la dévotion de passionnés de botanique.

Ce qui rend les Gambier uniques, ce sont aussi les tatouages, particulièrement représentatifs de l’archipel. « Tanavai, l’adjoint au maire des Gambier, arbore fièrement des tatouages mangaréviens traditionnels. Ces motifs ont presque été anéantis par cent quatre-vingts ans d’évangélisation », explique Titouan Lamazou.

 

Bombe, évangélisation et fermes perlières

Le nucléaire était une des thématiques que Titouan Lamazou savait qu’il traiterait en arrivant aux Gambier. Des portraits et des témoignages nous plongent directement au temps du CEP et des essais, de la démesure, de l’inconscience, de la confiance de la population en l’État français, du militantisme aussi…

L’évangélisation, quant à elle, est un thème qui s’est imposé de lui-même tant l’histoire de l’archipel a été marquée par l’Église. « Le père Laval, un fanatique on peut le dire, a relaté dans un livre référence en matière d’anthropologie, la vie aux Gambier dans les années 1840. Ce livre est précieux car documenté, précis, et l’un des rares, sinon le seul ouvrage sur la vie des Gambier à cette époque. Une fois son observation faite, il s’est appliqué à tout exploser avec acharnement ! », conte l’artiste. Les bâtiments religieux sont omniprésents et en quantité comparativement au nombre d’habitants et d’îles. Titouan Lamazou les peint merveilleusement, rendant également hommage à Mémé Karo, gardienne de la cathédrale Saint-Michel érigée sur l’île de Mangareva. L’évangélisation drastique, violente, laisse place aujourd’hui à une atmosphère particulière où se mélangent les cultes occidentaux et les traditions des Gambier.

Enfin, Titouan Lamazou nous éveille au monde frénétique de la culture perlière. Les Gambier sont nettement impactés et payent un lourd tribut environnemental : bouées qui se décrochent et dérivent, filins qui s’effritent dans le lagon, nacres tuées par le microplastique généré par l’effritement desdits filins… Avec le Covid, les greffeurs d’origine asiatique n’ont pu repartir chez eux et sont bloqués à Mangareva principalement. « Il y a une centaine de fermes premières autour de Mangareva, c’est assez impressionnant. C’est une véritable industrie que les habitants subissent malgré eux. Le plus dur, c’est sûrement toute cette pollution engendrée et les microplastiques dans la mer. » Après la bombe évangélique, la bombe nucléaire, les Gambier pourraient bientôt voir exploser la bombe environnementale. Heureusement, la population a conscience du besoin de préserver la nature et agit en ce sens, ce qui laisse de l’espoir.

 

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Pratique

L’exposition « Escales en Polynésie » dure jusqu’au 4 juin au Musée de Tahiti et des îles.

Horaires d’ouverture : de 9h00 à 17h00.

Visites guidées de l’exposition : les 9, 23 et 30 avril. Elles seront suivies de 11h30 à 13h par des séances de dédicace des livres et signature des lithographies. Maximum : 20 personnes.

 

Légendes photos

Gambier 0

Une représentation de guerriers mangaréviens lors de l’arrivée d’Européens.

 

Gambier 1

Les plantes endémiques des Gambier immortalisées par Titouan Lamazou.

 

Gambier 2

Les églises sont partout, vestiges d’une évangélisation drastique et violente.

 

Gambier 3 et 3a

La culture perlière est particulièrement active et implantée autour de Mangareva.

 

Gambier 4, 4a, 4b et 4c

Des portraits vivants et émouvants d’habitants des Gambier, dont les témoignages se retrouvent dans le livre Escales en Polynésie.

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