Hiro’a n°174 – Le saviez-vous ? : Air Tahiti Histoire
Service du patrimoine archivistique et audiovisuel (SPAA) – Te Piha faufa΄a tupuna
Soixante-dix ans de transport aérien polynésien
Encadré
Les médias ont récemment relayé l’émergence prochaine de nouvelles compagnies aériennes domestiques dans le paysage aéronautique polynésien à même de venir concurrencer la compagnie aérienne historique Air Tahiti. Le Service du patrimoine archivistique et audiovisuel s’est penché sur ses ressources archivistiques concernant ce secteur d’activité clé du désenclavement de nos îles, facilitant le lien entre les populations polynésiennes, avec le souhait de nous en faire redécouvrir quelques pages essentielles.
TFTN compte dans ses rangs un féru d’histoire, lequel a officié pendant plus de trente-et-un ans dans l’administration des transports aériens de la Polynésie française. Il fut aussi, avec le graphiste de renom Jean-Louis Saquet, auteur de L’Aviation à Tahiti, le commissaire d’une exposition dédiée avec la compagnie Air Tahiti à 60 ans de liaisons interinsulaires : « Les ailes des îles ». Et, Jean-Christophe Shigetomi connait bien les ressources archivistiques du SPAA pour les avoir explorées et nous en livrer des pièces maitresses.
Vous êtes particulièrement familier de nos archives. Quelles sont ses ressources écrites ?
« J’ai eu le privilège de consulter le 48 W ou « Fonds gouverneur » dans lequel de nombreux fichiers renvoient aux balbutiements de l’aéronautique militaire mais aussi civile de la Polynésie française. Les notes et les rapports de ce fonds, souvent rédigés à l’attention du gouverneur, sont riches en informations de tous ordres. »
Le SPAA dispose de quelques ressources iconographiques. Laquelle reflète le plus l’histoire aéronautique d’hier de la Polynésie française selon vous ?
« Pour moi, c’est la photo d’un Twin Otter 300, véritable 4×4 de la desserte des îles. En effet, cet aéronef est de type Stol – short take off and landing – c’est-à-dire qu’il peut se poser sur des pistes courtes. Il fut le véritable avion-pionnier des îles éloignées de la Polynésie française avec le Britten-Norman.
Si vous deviez nous conseiller des ressources audiovisuelles, quelles seraient-elles ?
« Le SPAA dispose de rushs et de films documentaires anciens qui nous renvoient aux prémices de l’aviation en Polynésie française. Le premier de ces films est notamment : Tahiti, l’enchanteresse. Ce film amateur reversé aux archives de la Polynésie française nous fait nous envoler de l’aérodrome parisien d’Orly dans les années 1950 à bord de la TAI pour gagner d’abord la Nouvelle-Calédonie qu’il visite, puis l’île de Bora Bora où il se pose. L’îlot motu mute (les Américains disaient muri muri. Ce nom sera adopté par les îliens de Bora Bora) a accueilli la première des pistes de l’Océanie française. Elle a été construite en 1943 par les forces américaines alors en station dans l’île. En connexion avec le DC6 de la TAI, un Goose venu de Tahiti amerrit à son tour dans le lagon de Bora Bora. Une petite vedette appelée Bosco transfère à son bord les voyageurs internationaux à destination de Tahiti. Le Goose redécolle pour se poser dans le lagon de Papeete. Une aventure riche en couleurs et en musique tahitienne d’époque. Le fonds Alain Mottet dispose aussi de ressources intéressantes. Mais le film culte est bien sûr le film documentaire réalisé par A. Sylvain, L’avion du bout du monde, qui raconte toute l’épopée d’Air Polynésie devenue depuis Air Tahiti.
Le décor archivistique ainsi posé, pouvez-vous nous raconter l’épopée des premières ailes commerciales tahitiennes. En vous écoutant, on comprend qu’Air Tahiti, la compagnie historique de la Polynésie française n’a pas toujours été Air Tahiti, mais que surtout Air Tahiti dans son premier envol n’était pas la compagnie d’aujourd’hui.
« Effectivement, Air Tahiti dans son premier envol n’était pas la compagnie que nous connaissons aujourd’hui : Te natira’a o te mau motu. »
Tout commence dans les années 1950 à l’heure où Tahiti ne dispose pas encore d’aérodrome. L’aérodrome de Fa’a’ā ne sera ouvert à la circulation aérienne publique qu’en 1961. Des membres fondateurs de l’Aéro-club d’Océanie : Marcel Lasserre, concessionnaire de la marque Citroën, le Dr Tourneux et Jean Arbelot, contremaitre aux chantiers Walker, ont l’idée de créer une compagnie aérienne pour desservir les îles. Ils sont rejoints dans leur entreprise par monsieur Hollande, le directeur de l’ancien cinéma Bambou (situé à l’emplacement de l’hôtel Mandarin et restaurant Le Plazza, rue du Père Collette), pour créer le 1er juillet 1950 la première compagnie aérienne locale : Air Tahiti.
Une jonction avec les vols transpacifiques
Cette première compagnie est sans rapport avec l’actuelle Air Tahiti. Les capitaux réunis leurs permettent d’acquérir un premier aéronef amphibie d’occasion, un Grumman J4F Widgeon afin de relier les Îles Sous-le-Vent et faire notamment la jonction avec les vols transpacifiques utilisant la piste de Bora Bora, construite par les Américains et première piste de l’Océanie française. Le Widgeon dessert aussi ‘Aitutaki aux Îles Cook pour l’acheminement du courrier international avec la TEAL, compagnie familière de la célèbre Route du Corail. Plusieurs anciens pilotes de la défunte compagnie Trapas, dont Joseph Pommier, René Allais et Diard, coutumiers de cette ligne, rejoignent la compagnie Air Tahiti. Pour mémoire, la Trapas ou Transports Aériens du Pacifique Sud, est une compagnie créée en 1946 par Henry Dewez pour organiser des liaisons aériennes au départ de Nouméa. Son fils Jacques démobilisé avec une licence de l’Us Navy sur hydravion opte pour une flotte de type Catalina PBY 5A pour desservir Auckland, Sydney, Wallis et Tahiti. La compagnie aérienne d’après-guerre détenue à 51% par Air France est liquidée le 22 janvier 1952.
D’Air Tahiti à la RAI…
La flotte d’Air Tahiti se renforce avec un second aéronef amphibie pouvant transporter dix passagers : un Grumman G-73 Mallard. Son achat est réalisé par le gouverneur pour le compte des Établissements français de l’Océanie (EFO). Il sera loué à Air Tahiti.
La première enseigne Air Tahiti va cependant disparaitre pendant quelques années avec l’émergence, sous l’impulsion des pouvoirs publics, de la Régie aérienne interinsulaire (RAI), filiale de la TAI (Transports Aériens Intercontinentaux). Le Grumman Mallard est alors retiré de la location à Air Tahiti. La RAI se dote de deux Catalina PBY-5. Le 1er janvier 1958, la Régie devient la RAI ou Réseau Aérien Interinsulaire, pour poser le socle de l’actuelle compagnie Air Tahiti.
… avant le retour d’Air Tahiti
En 1967, lorsque l’île de Mo’orea se dote d’un aérodrome, la RAI voit émerger à son tour la concurrence d’une navette aérienne de Tahiti qui est opérée par une compagnie, Air Moorea, créée par Georges Ravel. Air Moorea opère au moyen de deux Piper Cherokee VI. En 1968, le notaire Marcel Lejeune rachète la raison sociale Air Tahiti. La compagnie de Me Lejeune débute une activité de travail aérien au moyen d’un Cessna 206 et d’un Piper Aztec. La nouvelle compagnie acquiert deux Britten-Norman Islander et prend option sur deux autres. La compagnie Air Tahiti rachète ensuite la compagnie Air Moorea et ses deux aéronefs. L’enseigne Air Moorea est gardée en réserve. Lorsque l’enseigne Air Tahiti réceptionne ses deux premiers Britten, les trois Piper sont revendus. La compagnie propose alors des vols à la demande et organise une navette aérienne entre Tahiti et Mo’orea. Elle renforce sa flotte de Twin Otter et d’Aztec.
En 1970, la filiale de la TAI devenue UTA prend le nom d’Air Polynésie. En 1974, l’ancien DC4 de la RAI est remplacé par deux Fokker 17-200 puis progressivement trois F-27 A et un Fairchild Fokker 227H. Des Twin Otter et un Britten-Norman complètent la flotte d’Air Polynésie. Ces aéronefs vont faire son histoire au fur et à mesure que les pistes s’ouvrent dans les archipels et les îles éloignées.
Outil de désenclavement
Au début des années 1984, la Polynésie française voit ses compétences statutaires renforcées qui vont fortement influencer l’organisation des transports aériens intérieurs. La Polynésie française dispose désormais d’un réseau aérien bien structuré, lequel constitue un outil clé du désenclavement et du développement économique des archipels et des îles éloignées, mais aussi le lien permettant le maintien des relations socioculturelles traditionnelles entre les populations polynésiennes. En 2022, la Polynésie française compte 47 aérodromes ouverts au trafic commercial et plusieurs aérodromes privés, dont celui de l’atoll de Teti’aroa.
Ainsi, depuis 1979, Air Polynésie ne dispose de la part des autorités locales compétentes que d’autorisations à durée limitée. Cette précarité de droits de trafic ne favorise pas le renouvellement de sa flotte de Fokker 27 vieillissante. Le capital d’Air Polynésie, filiale d’UTA, devient polynésien. L’un des chantiers prioritaires de la compagnie polynésienne est celui du renouvellement de sa flotte et le choix de l’aéronef le plus adapté aux contraintes opérationnelles et aéroportuaires du réseau.
Face au jet de la gamme Fokker 28 : le turbopropulseur de la gamme ATR, l’ATR 42 l’emporte.
Pour accompagner ce mouvement de l’organisation des transports aériens interinsulaires, la Polynésie française devient aussi l’actionnaire majoritaire de la compagnie Air Tahiti de Me Lejeune. Celle-ci est alors sujette à de lourdes pertes d’exploitation induites par une concurrence notable du secteur maritime sur la relation Tahiti-Mo’orea. Sa recapitalisation permet à Air Polynésie de devenir son nouvel actionnaire majoritaire et d’acquérir le nom commercial de l’ancienne compagnie Air Tahiti qui devient Air Moorea.