Hiro’a n°172 – Dix questions à : Emmanuel Kasarhérou, président du Musée du quai Branly et président du jury du Fifo 2022
172
Dix questions à Emmanuel Kasarhérou, président du Musée du quai Branly et président du jury du Fifo 2022
« J’attends de ce fifo des découvertes »
Propos recueillis par Jenny Hunter – Photo : D.R
Pour sa troisième participation au Fifo, Emmanuel Kasahérou endosse la casquette de président du jury. Le président du Musée du Quai Branly se dit prêt à accueillir l’inattendu pour cette nouvelle édition.
Cette année, le Fifo vous accueille pour la troisième fois au sein de son jury ; en revanche, c’est la première fois que vous en prenez la présidence. Qu’en pensez-vous ?
« Je suis très heureux et très honoré de cette présidence mais je mesure aussi la difficulté d’être un bon président de jury, particulièrement en période de pandémie. Mes expériences précédentes m’ont beaucoup apporté tant du point de vue de la découverte que des rencontres. L’ambiance créée par les organisateurs lors des festivals contribuent à en faire une expérience culturelle inoubliable et enrichissante. »
Quel président de festival voulez-vous être ?
« J’aimerais être un président à l’écoute des différents points de vue, capable, par la discussion, de les faire converger vers des choix communs. J’apprécie de découvrir des points de vue ou des sensibilités qui ne sont pas les miennes et rechercher les points de convergence. »
Vous êtes le seul homme à figurer dans ce jury, que pensez-vous de cette composition quasiment féminine ? Est-ce un plus selon vous ou pas ?
« J’ai été assez surpris d’apprendre que je serai, pour cette édition du Fifo, le seul homme. Je ne connais pas les raisons qui ont abouti à cet état de fait mais je tenterai de défendre malgré tout une sensibilité masculine en espérant que la majorité féminine du jury y sera attentive. »
Des membres du jury ne seront malheureusement pas en présentiel à cause de la pandémie, cela va-t-il être un frein pour vous ?
« Je suis vraiment désolé que certains membres du jury ne puissent pas assister en présentiel en raison de la pandémie. Le jury est une expérience collective qui ne se borne pas aux échanges formels mais aussi à tous les autres, plus informels et souvent importants. C’est évidemment plus difficile d’organiser l’expression et le débat dans de telles conditions et ce sera un challenge à relever ! »
Au Fifo, vous ne visionnerez que des documentaires. Selon vous, qu’est-ce qu’un « beau » documentaire ou un documentaire « réussi » ?
« Un documentaire beau/bon/réussi est un documentaire qui touche d’abord le public dont je fais partie. C’est dans l’idéal un film où la forme sert le fond et où la narration vient lier les deux harmonieusement. C’est banal à dire mais très difficile à faire, d’autant que cela nécessite une parfaite maitrise de la technique. Il arrive que la forme l’emporte sur le fond et que le rythme de l’image et celui du son finissent par se suffire à eux-mêmes. On est, dans ce cas, plus près d’une œuvre de vidéaste que d’un documentaire. Je me souviens avoir vu de très beaux films de ce type au festival mais qui n’ont pas été primés pour cette raison. Le respect du réalisateur et sa retenue par rapport à son sujet sont aussi des points importants. »
Vous êtes un fin connaisseur du Fifo, quels documentaires vous ont-ils le plus marqué ?
« Je n’ai pas en tête tous les noms des films que j’ai pu voir grâce au festival. Au hasard de mes souvenirs, me reviennent des images ou des séquences comme dans ce film singulier de Gilles Dagneau : Les horizons chimériques en 2015. Mais on peut aussi ne pas s’attacher uniquement au palmarès si beau soit-il, et j’ai encore de belles images de films que j’ai eu la chance de visionner grâce à ma participation au jury. »
Cette année, les documentaires pourront également être visionnés sur la Toile, est-ce un réel atout pour faire rayonner l’Océanie selon vous ?
« C’est un avantage certain que les documentaires puissent être également visionnés sur la Toile, mais pour moi, rien de tel que l’émotion d’un grand écran avec le public. La sensation est très différente. »
La production audiovisuelle océanienne a été très impactée par la crise sanitaire. Dix films ont été rejetés par le comité de présélection car hors sujet. Aucun film polynésien ne se trouve dans la catégorie reine, huit hors compétition traitent du fenua dont certains produits en France. Doit-on se faire du souci pour la filière ?
« Je suis désolé d’apprendre qu’aucun film polynésien ne soit présent dans la compétition. Nous vivons avec la pandémie une époque de bouleversements importants qui met à mal les filières de production et de diffusion culturelles. J’imagine qu’ici comme ailleurs, des mesures de soutien sont à l’œuvre pour soutenir la filière, d’autant que paradoxalement, la pandémie offre une plus grande disponibilité du public audiovisuel et une demande pour de nouveaux contenus. »
Qu’attendez-vous de ce Fifo ?
« J’attends de ce Fifo des découvertes. L’inattendu est parfois au coin de la rue ou derrière la palme d’un cocotier ! »
Enfin, selon vous qu’est-ce qui fait la richesse de ce festival et qui vous a poussé à en prendre la présidence ?
« Le Fifo s’est imposé au fil de ses éditions comme un rendez-vous incontournable pour le film dans le Pacifique et je voudrais saluer ici le courage et la persévérance des organisateurs qui, malgré la période difficile que nous vivons, font l’effort incroyable de maintenir ce festival. La richesse du Fifo est d’abord de révéler aux Océaniens la formidable richesse de notre “mer d’îles” comme le disait si bien l’écrivain et penseur tongien, le regretté Epeli Hau’ofa, pour désigner notre continent maritime. C’est aussi de favoriser son expression et de la rendre intelligible pour les autres continents. C’est une belle aspiration qui, plus que jamais, doit être poursuivie. » ◆