Hiro’a n°171 – L’oeuvre du mois : La toponymie littorale marquisienne vue par Titouan Lamazou
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L’œuvre du mois – Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Fare Manaha
La toponymie littorale marquisienne vue par Titouan Lamazou
Rencontre avec Titouan Lamazou, artiste voyageur. Texte : DB – Photos : Titouan Lamazou
Titouan Lamazou raconte la Polynésie avec ses mots et ses pinceaux. Il aime, depuis toujours ou presque, travailler en étroite collaboration
avec des chercheurs lorsqu’il crée. La preuve avec ces trois tableaux du littoral marquisien visibles au Musée de Tahiti et des îles dans le cadre de l’exposition « Escales en Polynésie ».
Trois tableaux révèlent la beauté du littoral marquisien en introduction de l’exposition « Escales en Polynésie » qui se tient actuellement au Musée de Tahiti et des îles. Des pièces imposantes. Ceux qui décrivent Puamau à Hiva Oa et Vaitahu à Tahuata mesurent 2 mètres de long sur 76 cm. Celui qui montre une vue de Hanavavae et Omoa à Fatu Hiva mesure, lui, 6 mètres de long avec les deux croquis attenant sur 76 cm. Il représente toute la côte ouest de Fatu Hiva soit 12 kilomètres. Les mensurations de ce triptyque sont à la hauteur du travail dont ils sont le témoin.
Pour mettre en contexte son trio d’œuvres, Titouan Lamazou fait un bond en arrière. Les tableaux, qui avaient déjà été présentés lors d’une première exposition consacrée aux Marquises au Quai Branly fin 2018, début 2019, illustrent un travail de mémoire. « Une mémoire double », précise Titouan Lamazou. « Celle des Océaniens et celle des Popa΄ā. » Les Océaniens ont la mémoire des premiers hommes arrivés dans l’archipel. Les Popa΄ā, celle des années suivant ‘la découverte’ des Marquises par Alvaro de Mendaña en 1595. Des années de colonisation. Titouan Lamazou reprend l’idée d’Epeli Hau’ofa, écrivain et anthropologue fidjien d’origine tongienne, qui disait : « L’histoire pour nous commence avec l’arrivée de Cook et Bougainville, tout ce qui était avant n’est que préhistoire », puis il souligne le fait que « l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs ».
L’artiste voyageur est arrivé en Polynésie par la mer en 1977. Il a débarqué dans la baie de Taihoae, comme Herman Melville ou Jack London avant lui. « J’arrivais avec l’image de l’éden tropical véhiculée depuis toujours par les Occidentaux. Une image que Melville et London ont entretenue à différents degrés, une image qui a la peau dure puisqu’elle perdure sur les prospectus touristiques encore aujourd’hui. » Titouan Lamazou n’avait pas, alors, connaissance de ce qui s’était joué en ces terres. Il n’avait pas conscience de ce qui se jouait. « Cette année 1977, Ben, Toti et Étienne, des jeunes instruits de Ua Pou, fondaient l’association Motu Haka ! » Leur mission ? Retrouver les mythologies, chants, les motifs de tatouages, les danses, en somme les traditions perdues. « Ils ont initié le travail de mémoire. » Ils étaient soutenus dans leur démarche par Monseigneur Hervé Le Cléac’h dont l’archipel garde un souvenir ému. Plus tard, et grâce à Motu Haka, est née l’académie marquisienne, garante de la préservation de la langue et de la culture. Ensuite sont venus les travaux en collaboration avec des chercheurs.
Dans le cadre du programme Palimma (Patrimoine lié à la mer aux Marquises) lancé en 2013, un travail de toponymie a été mené dans l’archipel des Marquises. La toponymie étant une discipline linguistique qui étudie les toponymes, c’est-à-dire les noms propres désignant un lieu. Le programme a réuni Motu Haka, l’agence des aires marines protégées (AAMP) en Polynésie ainsi que des scientifiques du laboratoire PALOC (MNHN/IRD). Il a consisté en une série d’entretiens pour retrouver les noms originaux des baies, des pointes et autres endroits remarquables du littoral marquisien. « Chaque nom raconte, en marquisien, une histoire, une anecdote, un combat, il rend hommage à un dieu ou bien encore relève du pratique », explique Titouan Lamazou qui s’est intéressé de près au programme. Il a pour habitude de se nourrir du fruit d’études scientifiques pour donner du sens à ses œuvres, pour se débarrasser des poncifs qui l’encombrent.
Il s’approche de son plus grand tableau, celui qui montre Fatu Hiva. L’une des baies a été baptisée la Baie des verges par les premiers marins . « avec l’humour qu’on leur connait. » Les évangélistes ont préféré, eux, la Baie des vierges. Les Marquisiens avaient adopté le terme Hanavavae. « Cela signifie ‘Pars vite, ou bien prépare-toi à lever le camp rapidement’ car à chaque fois qu’il pleut, il y a un risque accru d’éboulement dans la baie qui porte ce nom. » Titouan Lamazou l’a fait figurer sur son œuvre comme tous les noms retrouvés grâce à Palimma. L’œuvre est un hommage à la mémoire retrouvée, celle des Marquisiens. Pour concevoir ses tableaux, en plus des informations du programme Palimma, Titouan Lamazou a sillonné les lieux. Il a choisi des sites d’observatoire pour s’imprégner de Puamau et Vaitahu. « De là, j’ai fait des croquis et pris des photographies. » Il a embarqué à bord d’un bateau et a photographié la côte ouest de Fatu Hiva « par tranches et pendant plusieurs jours à différentes distances du littoral ». Puis, il est rentré dans son atelier qui était alors à Paris pour composer ses tableaux et leur donner naissance, laissant alors son imagination à l’œuvre. ◆
PRATIQUE
• L’exposition durera jusqu’au 4 juin au Musée de Tahiti et des îles.
• Horaires d’ouverture : de 9 heures à 17 heures de mardi à dimanche.
Visites guidées
• Voici le calendrier des visites guidées de l’exposition : 12 février, 13 mars, 27 mars, 24 avril, 15 et 22 mai. Elles seront suivies de 11h30 à 13 heures par des séances de dédicaces des livres et signature des lithographies. Maximum 20 personnes.
Légendes
Hanavavae et Omoa, à Fatu Hiva. Triptyque.