Hiro’a n°165 – Le saviez-vous ? C’est au CMA que « tout a commencé »
Rencontre avec Turina Esrom, diplômé du Centre des métiers d’art. Texte et photos : Lucie Rabréaud
Le jeune homme vient tout juste d’être diplômé du Centre des métiers d’art. Il est resté cinq années au CMA et a obtenu le CPMA et le BPMA. Après un parcours scolaire difficile, il a trouvé sa voie : la sculpture de la pierre.
Turina Esrom « revient de loin », comme il aime à le dire. Son parcours scolaire s’est arrêté en première où il suivait la filière STD2A (sciences et technologies du design et des arts appliqués). Il doit aider sa mère et commence à enchainer les petits boulots. Et puis la situation familiale se stabilise et on l’encourage à reprendre l’école. Ce sera la Mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS). Il y va avec son petit frère, également déscolarisé. Rapidement, il y est embauché en service civique en tant que surveillant. Mais ses amis et les tatoueurs qu’il côtoie, car il tatoue un peu également, l’incitent à tenter le concours d’entrée au Centre des métiers d’art. Il attend la fin de son contrat à la MLDS avant de se lancer.
« C’est là que tout a commencé », sourit-il. Au CMA, il se retrouve plongé dans la culture : « Pour moi, c’est comme un début, une renaissance. Ce n’est pas un endroit comme les autres ici. Je suis venu avec mes idées et je repars avec d’autres idées ! » Lui qui voulait devenir tatoueur a une révélation lors d’un cours sur la sculpture sur pierre. Désormais, quand il regarde une pierre, il voit tout de suite l’œuvre qui s’y cache. « Je sais tout de suite comment la couper et la travailler pour avoir ce que je veux. » Sa seule difficulté, ce sont les limites imposées par les machines à sa disposition. Il a dû renoncer à une première idée pour son diplôme car il n’avait pas les outils adéquats. Il a présenté des ti΄i « hyper stylisés ». Des blocs de pierre, à peine taillés et de formes géométriques où le spectateur peut lui-même décider de ce qu’il voit. « C’est un travail en interaction avec le spectateur car il lui est laissé un espace pour y projeter sa propre représentation d’un ti΄i. »
Son diplôme traite de la statuaire polynésienne contemporaine. « Dans mon travail, trois artistes m’ont inspiré : Zadkine, qui sculptait pour les générations futures, Xavier Veilhan avec ses sculptures à facettes triangulaires et Antony Gormley dont les œuvres traitent de la déconstruction du corps », déclare-t-il.
Il aime développer ses ti΄i ou tiki dans de nouvelles formes, présenter des choses inattendues. Il se souvient de ce rêve qu’il faisait enfant : il est derrière la fenêtre, tire le rideau et il voit un ti΄i sur une fontaine. Il se cache et quand il tire à nouveau le rideau, le ti΄i est en train de s’enfuir en courant. Ce rêve est soudain revenu alors qu’il feuillette un livre de Cook où il voit des dessins de Tupaia. Sur l’un d’eux, deux pirogues face à face s’affrontent et ce sont des ti΄i qui combattent. Les images de son rêve lui reviennent et l’idée de sculpter des ti΄i en mouvement ne le quitte plus : un genou à terre une main devant les yeux, les coudes écartés en train de danser, les mains aux hanches… Ils semblent si vivants et réels, presque humains. « Ils nous ressemblent », sourit-il, fier de son effet.
« Le ti΄i n’est plus une sculpture lointaine, figée, un objet entreposé, il se rapproche de nous. » Ses sculptures sont à l’opposé de ce qu’on a l’habitude de voir et surtout : « C’est mon univers ! » Une façon de voir qui ne fait pas l’unanimité : « On m’a parlé de blasphème, que je profanais l’image de ti’i, mais pour moi, je ne profane rien, et si Tupaia l’a fait avant moi alors j’ai aussi le droit de le faire. » Pour la suite, il s’imagine lancer son entreprise et créer pour exposer, pourquoi pas également travailler dans l’enseignement. « Je ne m’inquiète pas trop pour la suite. Après tout ce que j’ai fait ! Au moins, maintenant, je travaille dans ce que j’aime. » Il ne semble pas trop triste de quitter le CMA où il est resté cinq ans. « C’était bien ces années, mais j’ai hâte de me reposer et de me lancer ! » ◆
PRATIQUE
Turina Esrom
• Tél. : 89 501 761
Légende
Des ti΄i hyper stylisés.