Hiro’a n°163 – L’oeuvre du mois : Les tiki de la sagesse
L’œuvre du mois
Centre des Métiers d’Art (CMA) – Pu ha΄api΄ira΄a toro΄a rima΄i
Rencontre avec Mira Tchen, enseignante en arts numériques au Centre des métiers d’art. Texte et photos : Lucie Rabréaud – Mira Tchen
Les tiki de la sagesse
Mira Tchen sculpte avec son esprit grâce aux nouvelles technologies. Un art numérique exigeant et absolument fascinant !
Après avoir enseigné au lycée professionnel de Saint-Joseph à Pirae (aujourd’hui le lycée Don Bosco), Mira Tchen a rejoint l’équipe du Centre des métiers d’art en 2017 comme enseignante des arts numériques. Dans sa salle, pas de ciseau à bois, de gouge, de couteau ou de micromoteur portable*… mais des ordinateurs. Ses outils pour déployer sa pensée et faire vivre son inspiration sont des logiciels. « Je dois tout penser et concevoir avec les nouvelles technologies. Je préfère dire que je suis au service de l’art en tant que technicienne, j’ai du mal encore à me dire artiste », explique-t-elle.
Le directeur du CMA, Viri Taimana, qui n’est pas du même avis, la pousse à créer. Il y a quatre ans, elle lui explique qu’elle ne sait pas modéliser (utiliser des logiciels 3D). « Tu vas apprendre », lui répond-il. Ce qu’elle fait : elle se forme seule sur plusieurs logiciels (SketchUp 3D, 3D Builder et AutoCAD) jusqu’à les maitriser parfaitement et réussir à réaliser concrètement ce qu’elle imagine : « Je sculpte avec mon esprit. » La matérialisation de l’œuvre dépend ensuite du message qu’elle souhaite faire passer mais aussi du matériel disponible : impressions numériques, toiles canvas, fichiers 2D à graver, impressions 3D, ou encore fichiers imprimés sur des feuilles puis calqués sur du carton.
Pour cette œuvre de trois tiki se couvrant l’un la bouche, l’autre les yeux et le dernier les oreilles, elle s’est inspirée des trois singes de la sagesse. « J’ai transposé cette façon de penser des pays asiatiques ici et j’ai choisi le tiki marquisien car tout le monde le connait. » Cette « maxime picturale » (nom donné à une œuvre formée de plusieurs objets) reflète notre société : « Je fais le constat de ces personnes qui ne veulent rien dire, rien voir ou rien entendre. Il faut briser les tabous. C’est un message fort contre la violence conjugale, la maltraitance des enfants au sein d’un foyer, le harcèlement moral ou physique… En résumé, les non-dits. »
Tout d’abord photographiée sous tous les angles, l’œuvre est ensuite transposée dans ses logiciels pour le travail de modélisation, puis envoyée sur un slicer (logiciel de tranchage) afin de déterminer la qualité de la matière utilisée par l’imprimante 3D et la vitesse à laquelle la machine doit travailler. « Ce sont tous ces paramétrages qui vont jouer sur la qualité de l’œuvre. » Enfin, l’impression est lancée sur plusieurs heures et il faut croiser les doigts pour qu’aucun bug informatique ou coupure de courant n’arrête le processus, sinon il faudra tout recommencer. Au moment de l’interview, ces tiki étaient encore à l’état de maquette, imprimés avec du PLA composé de bois, mais Mira projetait de les imprimer dans une matière transparente avec un fini ressemblant au verre pour intriguer les spectateurs.
Aujourd’hui, après de longues années de travail, elle est heureuse de maitriser la modélisation et peaufine son art en choisissant des matières plus complexes ou l’impression d’objets plus élaborés comme cette déesse des Australes finement gravée (tout en impression 3D). Avouant « s’éclater » mais aussi appréhender le regard des artistes et artisans qui sculptent la matière directement, Mira est impatiente d’avoir leurs avis.