Hiro’a n°159 – L’oeuvre du mois : « Ti’i et généalogie »

 L’œuvre du mois

Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Fare Manaha

Rencontre avec l’artiste Here, ancienne élève du Centre des métiers d’art. Texte : Vaea Deplat – Photos : Herenui Garbutt Mai, Vaea Deplat

 

« Ti’i et généalogie »

 

Here est une artiste issue du Centre des métiers d’art qu’elle a quitté en 2019 avec les félicitations du jury pour sa spécialité gravure. Ce qui frappe, dans sa production, c’est la profusion : des symboles, des mots, des idées, des expositions et des projets. Et la qualité de ses créations. Parmi les vingt-deux artistes sélectionnés pour l’exposition « Fa΄aiho, ta΄u tufa΄a, regards d’artistes contemporains » ouverte jusqu’en avril 2021 au Musée de Tahiti et des îles, elle y présente deux œuvres : NaTi΄i Here, le lien d’amour et ΄AufaufēTi΄i, généalogie.

 Pour l’exposition « Fa΄aiho, ta΄u tufa΄a », trait d’union entre art traditionnel issu des collections du Musée et approches artistiques contemporaines, Here propose deux œuvres créées spécialement pour l’occasion : une toile et un collier. Parmi les quatre thèmes, l’artiste, par le biais de ti’i, a choisi celui de la généalogie, un thème central dans son travail depuis sa participation au « Pūtahi 5 » en juin 2017 jusqu’à l’exposition collective « Mana΄o ano΄ite » à la Maison de la culture en octobre, en passant par l’événement des quarante ans du Centre des métiers d’art en février dernier. Son travail luxuriant se décline « en toute sincérité » : « Si je ne m’implique pas, je ne m’applique pas », confie-t-elle. Très sensible au symbolisme, Here s’attache également aux titres de ses créations qui sont « toujours des jeux de mots ». Et cette poésie retentit également dans ses œuvres. L’artiste est aussi prolifique que généreuse dans son travail.

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Le lien d’amour à l’échelle d’une vie

Le thème travaillé en profondeur fait son succès puisque la toile intitulée NaTi’i Here, le lien d’amour (2020, 100 x 100 cm) a déjà été vendue sur catalogue. Les techniques mixtes (acrylique, pastels et feutres à l’huile) y rejoignent le caractère puissamment intime et familial de l’œuvre : « J’aime l’idée de rendre hommage aux personnes de leur vivant. Pourquoi attendre pour les remercier ? Je voulais leur accorder la place centrale qu’ils occupent aujourd’hui dans ma vie », explique Here. Ainsi, la pléthore de ti’i (pas moins de quarante-deux !) représente les proches de l’artiste, réunis autour du couple qu’elle forme avec son mari, au centre de la toile. Telle une constellation, à l’image d’une nébuleuse brillante située au voisinage d’une ou de plusieurs étoiles dont elle réfléchit la lumière. « Mes parents et beaux-parents, mes frères et sœurs, mes amis, les proches du CMA, sans oublier mes animaux. Chacun est proportionnel à sa taille réelle. » Et lorsqu’on s’y penche, on découvre le goût prononcé de l’artiste pour l’anecdote et le détail. « La couleur choisie pour chaque ti’i vient de ce que je ressens lorsque je pense à la personne. Chaque symbole sur chaque proche représente mon histoire avec lui ou elle ; et les bulles, les bières ou le champagne partagés avec chacun d’entre eux. »

 

Les perles-ti’i mémorielles 

Mais la première pièce conçue est ΄AufaufēTi΄i, généalogie : un choker – ou ras-de-cou – de vingt et une perles de nacre reliées par du nape. L’inspiration de la créatrice prend sa source dans le viriviri, cet aide-mémoire utilisé aux temps anciens par les ΄ōrero. Conçu sur le lieu même de la déclamation, porté au poignet gauche, cet objet patrimonial, en forme de poche prolongée par de multiples longueurs de nape avec des nœuds, servait à déclamer la généalogie, en partant de Ta΄aroa ou de Ti΄i jusqu’au ari΄i servi par le ΄ōrero. Chaque nœud représentant une famille. Here confie avoir découvert le viriviri en 2012 grâce à la pièce de théâtre Tavi roi et la loi, signée John Mairai. « Sur ma proposition contemporaine, on retrouve de la nacre, et le nape, la matière première originelle du viriviri. Chaque perle est composée de morceaux de nacre collés qui, reconstitués, offrent une forme de ti΄i. Les perles évoquent la notion de transmission. Chaque ti΄i est gravé différemment, ce qui rend les perles uniques : comme chaque membre d’une même famille, tous faits de la même matière mais pas agencés pareil. » Viriviri que le Fare Vāna’a traduit par « ornement des pirogues indigènes, dépendance du marae ». Un symbole supplémentaire s’il en est, la navigation étant l’un des quatre thèmes proposés pour l’exposition…

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La formation au CMA, une expérience fondatrice

« La peinture représente pour moi la détente, le plaisir, le défouloir, tandis que la gravure, beaucoup plus le côté technique et culturel. Peindre, c’est comme proposer une chanson : il faut trouver la mélodie qui transformera les éventuelles fausses notes en un air harmonieux », précise Here, qui reconnaît par ailleurs tout l’intérêt de ses apprentissages au sein du Centre des métiers d’art. « Le CMA est un élément déclencheur dans nos parcours d’artistes. Par exemple, au début, je ne me sentais pas compétente en dessin. La leçon du Centre est de nous inciter à lever nos barrières et à ne pas avoir peur d’essayer. Pour comprendre quelque chose, tu fais. On y apprend autant à entretenir les machines qu’à monter des expositions. » L’artiste qui a noué des relations fortes à Rarotonga ou en Aotearoa grâce aux différents Pūtahi est formelle : « Toutes ces expériences et ces rencontres nous forgent. »

Le public aura la chance de (re)découvrir à foison son univers artistique peuplé de ti΄i bien reconnaissables jusqu’en avril 2021. Une année qui s’annonce prolifique pour cette artiste dont le travail résonne fort au cœur de la culture polynésienne.

 

Pratique

 Exposition « Fa’aiho, ta’u tufa’a, regards d’artistes contemporains »

Jusqu’au 25 avril, Musée de Tahiti et des îles

Retrouvez 22 artistes rassemblés autour de 4 thématiques et des collections du Musée de Tahiti et des îles : A’amu, Alexander Lee, Carine Thierry, Cronos, Gaya, Gotz, Here, HTJ, Jean-Paul Forest, Kala’i Shigetomi, KNKY, Libor Prokop, Ninirei Temaiana, Omaira Tuihani, Patricia Bonnet, Robert Toa, Sébastien Canetto, Stéphane Motard, Tahe, Teva Victor, Tvaite, Yvenka Klima.

Ouvert du mardi au dimanche, de 9 heures à 17 heures

Visite guidée tous les vendredis à 15 heures pour des groupes de 5 personnes maximum, mais uniquement sur réservation préalable à [email protected] ou au 87 790 797

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Instagram here_artiste

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