Hiro’a n°159 – 10 questions à : Mark Eddowes, archéologue
10 questions à Mark Eddowes, archéologue.
Propos recueillis par Pauline Stasi – Photos : Mark Eddowes et Pauline Stasi
L’incivisme détruit le marae Maha΄iatea
L’archéologue néo-zélandais Mark Eddowes lance un appel au civisme pour sauver le marae Maha΄iatea, situé à Papara au bord de l’océan et victime de plusieurs effondrements. Le spécialiste demande à la population de ne plus monter sur la plateforme (ahu) de ce marae, le plus grand de toutes les îles de la Société.
À quoi sont dus ces effondrements ?
Depuis 2016, date où nous avions débuté les travaux de restauration du marae, nous n’observions que très peu d’effondrements de l’ahu, environ un par an. Mais depuis quelques semaines, nous avons constaté quatre effondrements sur le côté ouest, à l’arrière de l’ahu, côté mer. Cela est dû à l’incivisme des gens qui grimpent dessus, parfois il peut y avoir vingt personnes d’un coup. Cela est déjà arrivé qu’une personne balance des pierres. Il faut aussi laisser les arbres, les fougères, car leurs racines aident au maintien de l’ahu.
L’incivisme cause-t-il d’autres dégâts ?
Oui, les gens jettent des saletés, on trouve vraiment de tout. Ils déplacent les pierres, ils ont fait une sorte de chemin pour gravir dessus. C’est vraiment dommage, car c’est un site sacré.
Quels travaux réalisez-vous face à ces effondrements ?
La consolidation n’est pas une option pour une structure archéologique faite de pierres sèches et de corail cassé. Mettre un grillage ou du ciment liquide ne peut pas convenir. On est en train de stabiliser la partie arrière de la plateforme au niveau du sol en plaçant les pierres et le corail déjà tombés en couches. Faisant office de talus naturel, ces couches permettent de capter les pierres qui tombent. Lorsqu’il est humide à cause de la pluie ou des embruns, le corail va, par un processus naturel quand il devient sec, se cimenter.
Que comptez-vous faire pour empêcher que cela se reproduise ?
Il faut absolument passer par l’éducation. On va mettre en place différents panneaux en français, en anglais et en tahitien. Il y aura des panneaux explicatifs sur l’histoire du marae, son importance, son côté sacré, les fouilles réalisées. Il y aura aussi des panneaux montrant des chutes de pierre.
À quoi ressemblait ce marae ?
On connait très bien le marae, car il avait été décrit par le botaniste Joseph Banks en 1769, venu à bord du navire du capitaine Cook, l’Endeavour. Il existe aussi une gravure de l’ahu réalisée en 1797 par les missionnaires du navire Duff. Ce marae ressemblait à une grande pyramide rectangulaire composée de onze gradins. C’est la seule pyramide du Pacifique sud. Son architecture était très aboutie, vraiment très fine.
À qui était dédié ce marae ?
Ce marae était sacré, il était dédié au célèbre dieu ΄Oro.
Quelles étaient ses dimensions d’origine ?
Il avait des dimensions extraordinaires. C’est la plus grande structure, au niveau de sa taille, des îles de la Société. Selon la description de James Cook, sa base mesurait 81 m par 26,50 m, le gradin du sommet mesurant 54 m par 2,13 m. Les onze gradins de 1,20 m chacun correspondent à une hauteur de 13,50 m.
Quand a-t-il été bâti ?
Il a été édifié dans les années 1760.
Dans quel contexte a-t-il été construit ?
Au départ, les grands chefs de Tahiti étaient tous d’accord pour bâtir ce marae dédié à ΄Oro dans la tribu de Amo, le grand chef de Papara. En voyant ce magnifique édifice se construire, sa femme Purea a voulu se l’accaparer pour y faire consacrer leur fils Teri΄irere i outu rau na To΄oara΄i afin qu’il soit perçu comme le chef suprême de Tahiti. Naturellement, les autres chefs mécontents n’ont pas été d’accord et ont déclaré la guerre. Le marae est alors laissé à l’abandon en 1768.
Quelle est son histoire ensuite ?
À la fin du XIXe siècle, le gouverneur des Établissements français de l’Océanie, Étienne Théodore Mondésir Lacascade, originaire de Guadeloupe a pris un arrêté pour que les pierres du marae puissent servir de carrière. Le corail de l’ahu a été brûlé dans un four à chaux. Les pierres ont été déplacées, disséminées, dont beaucoup sur l’ancienne plantation de Atimaono. Au fil des années, le site a été très endommagé. En 2016, on a commencé les fouilles archéologiques, elles nous ont permis de révéler la façade est, qui était toujours intacte jusqu’à la quatrième rangée d’origine. On a pu retrouver les éléments qui nous permis de déterminer avec certitude l’orientation du marae. Puis à partir de 2017, nous avons commencé les travaux de restauration.