Hiro’a n°158 – Dossier : Une valise remplie de trésors pour le Musée de Tahiti et des Îles
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DOSSIER – Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Fare Manaha
Une valise remplie de trésors pour le Musée de Tahiti et des Îles
Rencontre avec Jean-Pascal Laffaille, donateur et Marine Vallée, assistante de conservation au Musée de Tahiti et des Îles. Texte : Pauline Stasi – Photos : Musée de Tahiti et des Îles, Pauline Stasi, Jean-Pascal Laffaille et la délégation de Polynésie française à Paris
Lettres manuscrites de la reine Pomare IV, menus de banquet, photographies, dictionnaire franco-tahitien, dessins…, le Musée de Musée de Tahiti et des Îles a reçu un cadeau merveilleux de la part d’un généreux donateur, Jean-Pascal Laffaille. Ce retraité, habitant à Paris, a profité du premier confinement pour fouiller une vieille valise remplie d’innombrables papiers rassemblés pour la plupart par son arrière-grand-père, le généalogiste Raymond Bellamy. Parmi eux, de nombreux documents ayant appartenu à Charles François Lavaud, gouverneur en Polynésie française de 1847 à 1850.
Pour occuper les longues journées du premier confinement, Jean-Pascal Laffaille, retraité à Paris, a profité de cette période particulière pour faire un peu de rangement dans la mansarde de son appartement parisien du IXe arrondissement… Un jour, il décide de s’attaquer à une grande et vieille valise, que son père lui avait donnée une trentaine d’années auparavant. « Mon arrière-grand-père était un généalogiste réputé, Raymond Bellamy. Il a transmis ses documents à son fils, qui les a donnés à mon père, qui me les a transmis ensuite à mon tour, étant le fils aîné. La valise m’a suivi lors de mes différents déménagements, mais je n’avais jamais pris le temps de fouiller ce qu’il y avait dedans », reconnait Jean-Pascal Laffaille.
Lorsqu’il ouvre la valise, l’homme n’est pas au bout de ses surprises… Une vraie malle aux trésors, remplie de pépites historiques ! En effet, Jean-Pascal Laffaille découvre de nombreux documents relatifs à la Révolution française, des lettres de comités de salut public, des assignats, un document signé par Louis XVI lui-même, mais également de très nombreux papiers de Charles François Lavaud, qui succéda à l’amiral Bruat, au poste de gouverneur en Polynésie française, de 1847 à 1850.
Parmi les trouvailles, des photographies de Tahiti en 1870, une cinquantaine de lettres manuscrites de la reine Pomare IV, de Pomare V, des photos du prince Teri΄itua Tuavira Pomare – baptisé Joinville Pomare –, de sa famille, de ses amis, un petit dictionnaire franco-tahitien ou encore de nombreux ordres d’affectation, de promotion, relatifs à la carrière du militaire, dont une nomination signée par l’empereur Napoléon III en 1857…
« C’était passionnant, un peu comme une sorte d’enquête »
« Je ne suis pas marin moi-même, mais je descends d’une famille de marins, c’est peut-être par ce milieu-là que mon arrière-grand-père, Raymond Bellamy, s’est procuré les pièces de ce gouverneur Charles François Lavaud, qui était dans la marine. Peut-être a-t-il eu l’occasion de le rencontrer, je ne sais pas », s’interroge le retraité. Pendant le confinement, l’homme a trié sans relâche pendant des jours et des jours, mettant de côté les papiers familiaux et regroupant par thématique, les autres documents qu’il découvre.
« Je n’avais jamais entendu parler de ce monsieur Lavaud »
Ensuite, il décide de les distribuer à travers le monde aux différents musées susceptibles d’être intéressés par ces trouvailles. « Je ne connaissais pas grand-chose de la Polynésie et je n’avais jamais entendu parler de ce monsieur Lavaud. Je me suis pris au jeu en fouillant la valise. C’était passionnant, un peu comme une sorte d’enquête, j’ai découvert la reine Pomare IV, une partie de l’histoire de Tahiti. Je me suis demandé ce que je pouvais faire de tout cela, à qui je pouvais en faire en profiter. Je me suis renseigné, j’ai vu que Lavaud n’avait pas eu d’enfants. J’ai demandé des conseils à une amie qui a enseigné en Polynésie, à Rurutu ; elle m’a dit que le Musée de Tahiti et des Îles était très sérieux. C’est comme cela que je les ai contactés par mail pour savoir s’ils étaient intéressés par mes trouvailles », raconte Jean-Pascal Laffaille.
Et forcément, la réponse du Musée ne s’est pas fait attendre. « C’était une découverte incroyable, en plein confinement, quand on a reçu ce mail. La directrice a répondu dès le lendemain. Une première authentification a rapidement permis de montrer la valeur de ces pièces », confie avec enthousiasmeMarine Vallée, assistante de conservation au Musée de Tahiti et des Îles.
En parfait état de conservation
Les documents ont été remis officiellement par Jean-Pascal Laffaille en mains propres à Caroline Tang, la déléguée de la Polynésie française à Paris le 20 mai dernier. Puis, il a fallu attendre la reprise du trafic aérien. C’est ensuite le ministre de la Culture, Heremoana Maamaatuaiahutapu, qui s’est chargé de convoyer ces trésors fin septembre dans leur nouvelle demeure polynésienne, le Musée de Tahiti et des Îles. « Les documents sont en parfait état de conservation. C’est une chance qu’ils aient ainsi été épargnés parle temps et l’humidité », se réjouit Marine Vallée, émerveillée à la vue de ces lettres écrites parfois en français, en tahitien ou dans les deux langues, de ces nouvelles photographies de la famille Pomare, à la lecture impressionnante des menus des banquets, où l’on s’aperçoit que la soupe à la tortue se servait à table. L’assistante de conservation scanne avec un soin méticuleux chaque document afin qu’ils puissent ensuite tous être analysés dans quelques mois par les spécialistes de la Polynésie, les historiens. Selon le Musée, plusieurs d’entre eux se sont déjà montrés très intéressés pour les étudier.
Heureux que ces documents aient une seconde vie hors de cette valise où ils étaient confinés depuis trop longtemps, Jean-Pascal Laffaille ferait bien la sienne aussi, de valise… : « Cette histoire me donne bien envie de découvrir la Polynésie », confesse le généreux donateur. ◆
Encadré 1
Des documents très variés
Parmi les nombreux documents remis le 20 mai dernier par Jean-Pascal Laffaille à Caroline Tang, déléguée de la Polynésie française :
– Un ancien petit dictionnaire abrégé tahitien-français ;
– Des photos souvenir de Tahiti en 1870 ;
– Une cinquantaine de lettres manuscrites de la reine Pomare IV, de Pomare V, du prince Joinville Pomare, et d’autres lettres dont certaines anonymes rédigées en tahitien, de 1847 à 1870 ;
– 17 photographies de Joinville Pomare et sa famille, lors d’un séjour à Nantes et Brest en 1865 ;
– Des documents liés à la carrière de Charles François Lavaud, affectations, promotions, ainsi qu’une nomination signée par Napoléon III en 1857.
Encadré 2
Que vont devenir tous ces papiers
et photographies ?
Les documents ont été numérisés par l’équipe scientifique du Musée de Tahiti et des Îles au mois de novembre. Ils vont ensuite être intégrés officiellement, après le prochain conseil d’administration de l’établissement en décembre, au fonds des collections du Musée. Ils seront ensuite étudiés, mais pourront aussi être consultables pour les chercheurs historiens sur demande.
Encadré 3
Qui était Charles François Lavaud ?
Plutôt méconnu du grand public, Charles François Lavaud a néanmoins joué un rôle loin d’être négligeable en Nouvelle-Zélande et en Polynésie française. Né en 1798 à Lorient, Charles François Lavaud est le fils d’un marin, lieutenant de vaisseau. Comme beaucoup de fils de marin, il s’engage très tôt comme mousse en 1810 sur la frégate La Nymphe et navigue sur l’océan Indien. Séduit par cette première expérience maritime, il est reçu élève de la marine sur le vaisseau-école Tourville à Brest. Il poursuit ensuite sa carrière et navigue sur de nombreux navires.
En 1829, il reçoit le commandement de La Philomène, stationnée à Terre-Neuve ; il devient au fil des années un spécialiste des eaux nord-américaines. C’est en 1839 que la carrière de Lavaud l’amène dans le Pacifique avec sa nomination au poste de commandant de L’Aube, dont la mission est de protéger les baleiniers et les missionnaires français du Pacifique. Il doit aussi aider à l’installation de colons français dans la Péninsule de Banks, qui a été achetée dans sa quasi-totalité en 1838 par Jean-François Langlois, un capitaine baleinier.
Parti de Brest le 19 février 1840, il arrive à la Baie des Îles dans l’Île Nord de la Nouvelle-Zélande le 11 juillet 1840 pour y apprendre que le pays venait d’être déclaré colonie anglaise par le traité de Waitangi, signé le 6 février 1840.
Les colons français parviennent tout de même à s’établir dans la Baie de Paka Ariki (future French Bay) et y fondent le village de Akaroa. Lavaud obtient des Britanniques la garantie des biens français, mais ne peut que s’incliner sur le plan de la souveraineté. Il quittera la Nouvelle-Zélande en 1843.
En 1846, il est nommé gouverneur des Établissements français d’Océanie et arrive à Papeete sur La Sirène le 21 mai en 1847. Il succède alors à Armand Joseph Bruat et termine la pacification de Tahiti. Soucieux de définir clairement la nature des relations entre les Tahitiens et l’administration, il fit signer à la reine Pomare IV, le 5 août 1847, une convention de protectorat qui restera en vigueur jusqu’en 1880.
De retour en France en 1850, il est nommé en juin 1852 préfet maritime de Lorient. Il se rallie à Napoléon III et est promu contre-amiral en juin 1853. En 1870, il est nommé commandant de la Garde nationale de Brest. Il meurt dans cette ville en 1878.
(sources : Wikipedia et Persée)
Légende encadré
Titre/certificat de l’Ordre royal de la Légion d’Honneur – 16 mai 1842.
« Ordres étrangers » – titre signé de Napoléon suite à la nomination de Lavaud au rang de 1re classe de l’Ordre du Nichani Iftikhar de Tunis.
Correspondance de Joinville Pomare V à son parrain Lavaud.
Légendes
M. Lafaille et Caroline Tang de la délégation de la Polynésie française à Paris pour la remise des pièces. © Laffaille
La fameuse valise retrouvée dans la mansarde avec tous les documents. © Laffaille
Le pont de Atimaono et la maison de M. Stewart,1869-1870 (attribué à P.-E. Miot).
Portrait de Teri΄itua Tuavira, Joinville Pomare, dernier fils de Pomare IV et Ariifaite, filleul de l’amiral Lavaud (années 1865 – 1870).
Portrait de la reine Pomare IV, 1869-1870 (cl. P.-E. Miot).