Hiro’a n°156 – Dossier : Taumata, un héros de légende pour un marae
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Dossier
Taumata, un héros de légende pour un marae
Rencontre avec Fédéric Cibard, chargé de communication du Conservatoire et Taina Tinirauarii, chef du groupe Tere ΄Ori. Texte : Lara Dupuy – Photos : CAPF, Stéphane Mailion
Pour la première fois, un groupe qui a remporté le Heiva en catégorie Hura Ava Tau présente, au marae Arahurahu, un spectacle qui s’y tiendra au mois d’octobre*. C’est Fa΄a΄a qui sera à l’honneur, le groupe Tere ΄Ori ayant choisi pour thème l’origine du nom de cette ville dont nombre des membres de la troupe sont originaires.
Le marae Arahurahu, l’un des plus beaux de Tahiti, accueille chaque année un nouveau spectacle, inédit, d’un groupe de danse qui a participé au Heiva i Tahiti. Même si ce rendez-vous annuel de la place To’atā n’a pas eu lieu en 2020, le spectacle du marae de Paea est bien maintenu, comme l’ont décidé le ministère de la Culture et le Conservatoire artistique de la Polynésie française. Il est programmé au mois d’octobre, dans les conditions de respect des mesures sanitaires et des gestes barrières, et cette année, c’est le groupe Tere ΄Ori qui s’y produira. Il aurait dû intégrer la catégorie professionnelle (Hura Tau) au Heiva 2020 puisqu’il a remporté le premier prix de la catégorie Hura Ava Tau (amateur) en 2019. La conjoncture en a voulu autrement. Mais il n’est pas obligatoire d’avoir fait ses preuves en Hura Tau pour être sélectionné au marae Arahurahu.
Tere ’Ori, avec son élan et son thème original, a convaincu le jury pour qui motivation et contenu du spectacle sont primordiaux. Les groupes qui posent leur candidature ont en effet l’entière liberté dans le choix et la réalisation de leur spectacle. Leurs propositions sont ensuite étudiées en conseil d’administration du Conservatoire, avec différentes personnalités du monde de la culture. « Le sujet choisi, le scénario, les moyens humains et matériels…, nous étudions différents éléments, explique Frédéric Cibard, chargé de communication au Conservatoire. Nous avons reçu moins de candidatures que les autres années. Il est vrai que c’est souvent le groupe qui a gagné le Heiva de l’année en catégorie professionnelle qui donne la représentation au marae. Mais les circonstances sont différentes et, cette année, nous avons voulu mettre en avant la jeunesse polynésienne et un jeune groupe. Le spectacle qui se situe au marae n’est pas comme le Heiva. C’est très complexe, notamment dans la disposition, l’occupation et la relation avec l’espace : cela engage plus de responsabilités. C’est important pour le groupe et puis Taina Tinirauarii est une jeune cheffe de groupe débordant d’une énergie très positive. C’est une valeur montante de la culture du fenua. Elle remportera son pari : réussir ! Et concernant Tere ΄Ori, cela prouve qu’il s’investit dans son histoire et sa culture. »
Un spectacle qui tient à cœur à la troupe
D’histoire, il en est particulièrement question puisque Tere ΄Ori, dont pratiquement tous les membres sont originaires de Fa΄a΄a, a justement choisi une légende propre à saterre, qui explique l’origine du nom. Autrefois, ce district était usuellement appelé Tetaha, qui signifie le lever et le coucher du soleil et fait référence au grand guerrier du district nommé Tetuateha. Le nom changea lors d’un concours de four tahitien organisé par le roi Pomare II. Tetuateha le remporta en mettant ses mains brûlantes dans le four. Le site prit alors le nom de Tefana, avant de devenir Fa΄a΄ā (fa΄a : la vallée et ΄ā : flambante, incandescente ou encore fa΄a΄a, faire cuire).
Tere ΄Ori promet donc un spectacle flamboyant. La particularité de ce groupe est qu’il met en avant la musique, et surtout donne une grande place aux hīmene, lesquels sont chorégraphiés. Danser sur ce magnifique marae au mana omniprésent représente une belle opportunité autant pour les danseurs que les spectateurs qui auront la chance de les voir évoluer sur ce site prédestiné. ◆
*En cas d’impossibilité d’organiser le spectacle sur le marae Arahurahu, le Conservatoire et la troupe Tere ‘Ori pourraient se produire dans les jardins du Parc Vairai, à Punaauia, avec un changement de date permettant au groupe de prendre de nouveaux repères.
Encadré
Billetterie
Les représentations sont prévues les trois premiers samedis et dimanches du mois d’octobre, soit six spectacles, à partir de 15h45.
La capacité est de 1 000 personnes. Par mesure de précaution, la distance de sécurité d’un mètre devra être respectée à l’accueil sur le marae. Merci de vous munir d’un masque de protection.
Tarif unique de 2 000 Fcfp. Les billets sont à réserver auprès de la billetterie de Radio 1 et sur ticket-pacific.pf
En cas d’impossibilité d’organiser le spectacle sur le marae Arahurahu, le Conservatoire et la troupe Tere ‘Ori pourraient se produire dans les jardins du Parc Vairai, à Punaauia, avec un changement de date permettant au groupe de prendre de nouveaux repères.
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Taina Tinirauarii, cheffe du groupe Tere ΄Ori : « Un grand honneur pour nous »
Le spectacle au marae Arahurahu s’inspire-t-il de celui du Heiva 2019 ?
Non, c’est un tout nouveau spectacle, inédit. C’est un autre thème. Pour les représentations au marae, il faut un nouveau spectacle. Et il ne peut pas être repris avant la représentation du marae.
Pourquoi ce choix de thème ?
Le thème de Fa’a’a raconte comment la ville a trouvé son nom. Nous sommes, pour la plupart, ses enfants donc c’est un thème qui nous tenait à cœur.
Quelle est cette origine de « Fa’a’a » que vous relatez ?
L’histoire de Fa’a’a avec son ’aito, Tetuateha devenu Taumata. Cela donne un sens à Tefana i ’Ahurai**. Tous ceux qui sont de Fa’a’a connaissent un peu les attributs de ce thème. Nous sommes là pour l’illustrer et le partager avec tout le monde.
Quelle est la personnalité du groupe Tere ’Ori ?
Nous nous voulons un groupe de ’ori tahiti mais on met aussi en avant la musique et les hīmene, les chants polyphoniques. Les responsables avec qui on travaille viennent de ces différents secteurs de la culture. Donc, depuis notre participation au Heiva, nous faisons beaucoup intervenir les chants polyphoniques en plus de la musique, qui est très importante dans ce spectacle.
Comment les hīmene sont-ils intégrés dans le spectacle ?
Ils sont chorégraphiés. C’est un peu notre particularité. Ça a autant son importance que l’orchestre. Et sans orchestre, pas de spectacle !
Qu’est-ce que cela représente pour vous de danser sur ce marae ?
C’est une belle opportunité, d’autant plus que cette année le Heiva a été annulé, et c’est un grand honneur pour nous car le site est sacré. Lorsque l’on danse sur un marae, qu’il soit une reproduction ou un vrai, ce sont ces valeurs que nous voulons partager avec les éléments et que l’on retrouve aussi. Pour nous, c’est quelque chose de plus fort que le Heiva. C’est l’accomplissement après le Heiva. On aurait dû attendre de passer en catégorie professionnelle pour pouvoir accéder au marae, comme tous les précédents groupes. Nous étions entrants dans la catégorie, il aurait fallu que l’on prouve quelque chose pour accéder au marae, mais on a de la chance.
Depuis combien de temps le groupe Tere ’Ori existe-t-il ?
L’association existe depuis 2012 mais nous nous sommes constitués en groupe avec les responsabilités des uns et des autres en 2018 et la répartition des tâches pour pouvoir préparer le Heiva de l’année dernière. Il faut au moins un an de préparation. Deux ans, c’est encore mieux !
Vous avez aussi une école de danse ?
Oui, j’ai l’école Tauariki. Mais elle n’a rien à voir avec la troupe Tere ’Ori. Les objectifs et les statuts juridiques sont différents.
** L’un des principaux marae de Fa’a’a.
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Une page de l’histoire de Fa’a’a
La ville de Fa’a’a a plusieurs fois changé de nom. Le spectacle de Tere ‘Ori rapporte un événement qui avait engendré le changement de nom de la commune. Les tū’aro mā’ohi (sports traditionnels) duraient une semaine et se terminaient le samedi avec la préparation du four traditionnel (ahi ma’a). Des épreuves organisées par le roi Pomare II qui lui permettaient de sélectionner sa garde et mettre en valeur le courage des prétendants. Le nom initial de Fa’a’a était Tetaha, qui fait référence au lever et coucher du soleil et au grand guerrier du district nommé Tetuateha.
Jadis, le district de Tetaha était gouverné par des chefs et une assemblée de prêtres. Le roi Pomare II appréciait particulièrement l’organisation du four tahitien. Sur la place Tarahoi à Papeete, ce concours attirait une innombrable foule, bien déterminée à encourager leurs champions respectifs : Tetuateha associé à Manotahi (Punaauia aujourd’hui) ; et Manorua pour Paea, qui représentait la région de Teoropaa. Pour rejoindre le lieu de compétition Manotahi et Manorua disposaient de leur propre pirogue double où étaient soigneusement abritées les victuailles et autres éléments nécessaires pour le ahi ma’a. À l’arrivée dans la rade de Tauaa, ils jetèrent l’ancre pour un moment de répit puis se dirigèrent vers le lieu appelé Tefana tout près de Tipaerui, où Tetuateha les attendait pour accéder au site. Avant le signal de commencement le roi adressa un message d’encouragement à toutes les délégations. Il constata avec plaisir que les régions rivalisaient par la qualité de leurs produits. Cela témoignait que chacun prenait très au sérieux sa préparation pour remporter la victoire.
Cette épreuve était rythmée par trois sons de trompe : le premier annonçait la préparation du four tahitien. Le second, le placement des pierres dans le four. Le dernier avisait de la préparation des mets pour leur cuisson. Ensuite le son des tambours et des percussions avertissait le début de la dégustation des plats : c’est ce moment crucial qui déterminait le champion. L’ensemble des participants rivalisait en termes de goût et de présentation des plats. Le vainqueur était sélectionné par sa vitesse d’exécution. Aussi, sans aucune hésitation et animé par une assurance exemplaire, Tetuateha plongea ses mains dans le four afin d’extraire les mets brûlants pour être le premier à les présenter au roi. Il eut également la bonne idée de sortir du four les parties préférées du roi Pomare II : les yeux du poisson et la tête du cochon. Pomare II lui demanda comment il s’appelait et lui dit : « tu seras mes yeux et tu te nommeras Taumata Tefana i Ahura’i. » Il accorda un nouveau statut à Taumata : celui de garde du roi. Il compara sa rapidité à celle d’une flèche et donna au district le nom de Taumata tefana i ahura’i (l’arc à la main ardente). La ville changea de nom en devenant plus simplement Tefana, qui prendra plus tard le nom Fa’a’a.
(source : Tahiti Héritage)