Hiro’a n°156 – 10 questions à : Kehaulani Chanquy
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Dix questions à Kehaulani Chanquy, professeure de danse traditionnelle
de l’école Arato ‘a et fondatrice de la troupe Hitireva
« À travers la danse, j’ai redécouvert ma culture »
Texte : Suliane Favennec
Professeure de danse émérite et lauréate du Heiva avec sa troupe Hitireva, Kehaulani Chanquy n’est plus à présenter. Elle est connue dans le milieu de la culture pour son engagement dans le ΄ori tahiti. Cette année, elle fête les vingt ans de son école, Arato΄a. Un moment important dans la vie d’une artiste.
Comment a débuté votre histoire avec l’école Arato΄a ?
L’école a été créée un peu avant l’an 2000. Je n’en suis pas à l’origine. À l’époque, j’étais juste une jeune danseuse dans un groupe de Arue. Cette école ne m’était pas initialement destinée, mais suite à un revirement de situation, on est venu me proposer de la reprendre. En clair, j’étais là au bon moment (rires). Ce n’était pas mon objectif, j’avais seulement dix-neuf ans et j’aimais juste danser. Et, surtout, je ne connaissais rien à l’enseignement. Mais, j’ai relevé le challenge. Le temps a filé, je n’ai pas vu passer ces vingt ans !
Qu’est-ce qui vous a finalement passionnée dans cette aventure ?
Le contact d’abord avec les élèves, puis l’enrichissement personnel et le fait de redécouvrir ma culture. Je me suis rendu compte que, finalement, on est encore plus passionné par la danse si on est passionné par la culture. Ça m’a permis aussi de redécouvrir mon corps et ce qui se passait autour de nous.
Dans votre enseignement, existe-t-il des points essentiels que vous souhaitez transmettre ?
Il y a plusieurs étapes dans mon enseignement de la danse. Au départ, c’était le plaisir du ΄ori tahiti. Ensuite, on est passé rapidement au bien-être, bien dans son corps, avoir son moment à soi. En fait, chaque année a son lot de quêtes. Aujourd’hui, c’est la Covid, donc on va essayer de changer certaines choses vis-à-vis de la situation mais surtout pour le bien de la communauté, du peuple et de notre pays.
Justement, dans la situation actuelle, comment les choses se mettent-elles en place au sein de l’école ?
Ces derniers mois, beaucoup de choses m’ont fait réagir. D’abord, notre participation au Heiva des écoles et l’inquiétude de la population. On a aussi eu du matériel qu’on ne trouvait plus pour les costumes car les avions et bateaux n’arrivaient pas, parce que nos fournisseurs n’avaient pas reçu les marchandises. Il a fallu rebondir et, au final, je me suis dit que tout était autour de nous. Il faut ré-exploiter tout ça… Je n’ai rien inventé. Beaucoup ont déjà eu ces réactions suite à la Covid, ils se relèvent, commencent à planter et faire le fa΄a΄apu, avoir moins de dépenses inutiles, comme une rééducation. L’école de danse a fait exactement la même chose : la rééducation.
L’école va t-elle poursuivre ce processus de « rééducation » ?
Oui, on l’installe. On évolue selon la situation du moment. On a rebondi par rapport aux costumes, mais aussi sur le fait qu’il faudrait que nos élèves soient plus attentifs à ce que la nature nous apporte. On était arrivé dans un tel confort et une telle facilité qu’on en a oublié la base. Nous avons besoin d’avoir des fleurs, des ΄autī pour reconnaitre des senteurs et mimer dans la danse. Si on dit qu’une fleur est parfumée mais qu’on n’en connait pas le parfum, on va perdre les émotions. Donc, on rééduque nos élèves à avoir un petit coin de jardin, prendre soin de soi, savoir tresser.
Comment cela se traduit-il concrètement ?
Avant la Covid, on se concentrait plus sur la partie technique de la danse, la performance. Quand le virus est arrivé, on a vu la difficulté financière et l’incertitude sur les événements. Il fallait donc arrêter de dépenser de l’argent mais revaloriser notre savoir-faire manuel. On a organisé des ateliers de tressage, et on a été agréablement surpris : les enfants ont tressé leur base en quinze à vingt minutes. Finalement, ce n’est rien ! Ça m’a ouvert les yeux ! Il y a une seconde transmission qui se fait au-delà du ΄ori tahiti, celle de la connaissance des plantes, du tressage. On se rend compte que cette facilité qui nous a concentrés sur la technique de la danse nous a fait perdre quelque chose. On essaye de rééquilibrer la balance. Les élèves ont été très engagés et intéressés par ces ateliers. On va donc maintenir tout ça car on sait que ça commence dès le plus jeune âge.
Est-ce une nouvelle .tape dans l’histoire de l’école ?
Oui, en effet. Il y a vingt ans, j’ai été placée dans une école à dix-neuf ans. À cet âge, on découvre ; je ne pouvais pas avoir cette maturité pour mettre ces choses en place. Au fil des ans, j’ai beaucoup appris et évolué.
Quels sont les objectifs après ce cap des vingt ans ?
On n’aura jamais terminé d’apporter quelque chose. Chaque période a son petit lot, aujourd’hui, c’est se reconnecter à la nature, avec son alimentation et son corps. Il faut maintenir ça dans les années qui vont arriver car il n’est pas question qu’un jour on ne danse plus avec les fleurs ou du mono’i ! Je n’aimerais pas vivre ça.
Quels sont les prochains événements de l’école ?
Il y a le gala prévu normalement en octobre. Mais, avec la situation actuelle, il est difficile de s’investir financièrement. C’est ce côté qui nous freine avec, en plus, les restrictions des rassemblements. On se projette sur le gala mais on a peur financièrement. S’il est annulé ou reporté, ça sera encore une déception pour certains de nos élèves.
Pour vos vingt ans, vous avez aussi prévu un spectacle en milieu naturel…
Oui, on a eu cette proposition et on l’a tout de suite acceptée. C’est une très belle opportunité pour nous. Beaucoup de nos galas sont dans les salles de sport ou théâtre, mais le milieu naturel, c’est magique. Le décor et les énergies sont là. Pour ce spectacle, on va présenter les vingt ans de l’école : les années d’enseignement, son évolution, les objectifs de chaque année, les liens qui se sont formés… ◆
PRATIQUE
Les 20 ans de Arato΄a
• Samedi 17 octobre
• Billets en vente sur www.maisondelaculture.pf
• Masque obligatoire
• Sous réserve de l’évolution de la situation sanitaire