Hiro’a n°152 – Le saviez-vous ? Le long cheminement d’une passion
Centre des Métiers d’Art (CMA) – Pu ha΄api΄ira΄a toro΄a rima΄i
Rencontre avec Rava Tchoun You Thung Hee, diplomée du Centre des métiers d’art, artiste et jeune créatrice de l’entreprise Rava Tahiti Créations basée à Moorea. Texte : Lara Dupuy – Photos CMA et Rava Tahiti Créations.
Le long cheminement d’une passion
Rien n’est écrit à l’avance. Rava Tchoun You Thung Hee, âgée de trente-neuf ans, a mis longtemps avant de trouver sa voie. Passionnée par la gravure et l’ébénisterie, elle a suivi un parcours professionnel diversifié avant de se consacrer à sa passion. Diplômée du Centre des métiers d’art, elle a dû surmonter bien des épreuves avant de pouvoir créer sa structure de graveur professionnel qui lui tenait tant à cœur.
Le parcours de Rava n’a pas été tout tracé. Son bac scientifique en poche en 1998, elle s’inscrit en Deug de biologie… par dépit. « Ce n’est pas ce que je voulais faire. Ma famille ne pouvait pas m’envoyer en France pour devenir professeur de sport comme je le désirais et les filières n’existaient pas ici. Alors, J’ai fini par arrêter l’université », raconte Rava Tchoun You Thung Hee.
Mais le hasard fait bien les choses. Un ami lui fait découvrir la gravure. Équipée d’une vieille Dremel, elle commence à graver de l’os de bœuf et s’initie sur du bois. « Je gravais ce que j’avais sous la main ! Quand j’ai touché au bois en faisant du bas relief, ça m’a donné envie de suivre une formation menuiserie au Centre de formation professionnelle des adultes de Pirae. Je n’ai passé que le premier module de quelques mois parce que le professeur a quitté la formation », rapporte-t-elle. Une suite de rencontres lui permet de persévérer. Un menuisier ébéniste de Sainte-Amélie sent son potentiel. Elle travaillera quatre ans avec lui. « J’étais motivée, et une femme, c’est peu commun. Il m’a formée et j’ai bien travaillé avec lui. » Elle réalise essentiellement de la menuiserie d’intérieur et de l’agencement. « Cela n’a aucun rapport avec la biologie ! Je suis passée de scientifique à manuelle, je me sentais plus à l’aise. Je voulais intégrer des sculptures polynésiennes sur des meubles, comme les moulures qu’on trouve sur les meubles français anciens. » Malgré cet engouement, sa vie prend un autre tournant quand elle part rejoindre son tāne à Moorea et surtout, quand elle donne le jour à son petit garçon.
Des rencontres peuvent changer une vie
Une fois à Moorea, elle met de côté la sculpture et travaille chez Tahiti Arômes avant d’intégrer le Coco Beach. Elle y restera jusqu’en 2017. Mais quand une passion vous tient… « Le peu de gravure que je continuais à réaliser me faisait du bien », déclare Rava. En 2015, en NouvelleZélande, elle rencontre Stacy Gordine, professeur de gravure sur jade du musée Te Puia avec qui elle apprend à graver le jade. Elle le retrouve deux ans plus tard en Polynésie française à l’occasion du Pūtahi. Ils visitent ensemble le CMA (Centre des métiers d’art). « Mon père m’avait forcée à aller là-bas mais, à l’époque, j’étais dans ma période rebelle alors je n’y étais pas allée ! », s’en amuse maintenant Rava.
Au vu des réalisations des artistes océaniens, elle sait que sa voie est là. « Ça te plaît et tu es douée », insiste Stacy Gordine. « Il me manquait les bases. Je me suis inscrite le dernier jour en me disant : Si ça passe, je démissionne ! » Ainsi fut fait ! Après deux ans d’études, en juin 2019, elle fait partie de la première promotion à obtenir le BPMA (Brevet polynésien des métiers d’art), reconnu par l’Éducation nationale. Elle reçoit aussi le Te parau Tu’ite Hanahana avec félicitations du jury, grâce à son coffret de sommelier.
Le labyrinthe des démarches administratives
Créer et sculpter, Rava savait. Mais elle n’imaginait pas le parcours qui l’attendait pour créer son entreprise. Elle avait appris la gestion et comment monter un business plan au CMA. Pourtant, le nombre de démarches administratives pour obtenir des aides a failli avoir raison de sa motivation. Elle commence par une demande d’Icra (Insertion par la création ou la reprise d’activité). « Il y a énormément de choses à rédiger, beaucoup de documents à réunir pour compléter le dossier, malgré l’aide et les conseils de la CCISM. Pour quelqu’un qui a le niveau bac, c’est compliqué. Au niveau de l’Icra, ça peut déjà freiner ton envie de créer une entreprise et les délais d’attente sont très longs. » Elle bataille pour que son dossier, déposé en septembre dernier, passe en commission avant la fin de l’année. « J’ai souvent failli laisser tomber le projet. Il faut être entouré. La Polynésie française est gorgée de bonnes idées mais beaucoup abandonnent », estime la jeune cheffe d’entreprise.
Comme son projet se révèle assez coûteux, elle a besoin d’autres fonds. Les trois banques polynésiennes refusent sa demande de prêt. Ses dernières options sont la Sofidep (Société de financement du développement de la Polynésie française) et Initiative Polynésie. Début 2020, elle y présente son projet avec le coffret de sommelier qui lui avait valu les félicitations du jury au CMA. L’engouement est total et l’un des membres du jury, Steeve Liu, lui propose son parrainage en marketing business. Une semaine après, la Sofidep accepte également son dossier.
Pendant ces longs mois de démarches, elle commence à travailler avec le touret et la graveuse qu’elle a grâce à sa patente. Mais les machines qu’elle attendait tant et certaines aides sont bloquées par la crise sanitaire du coronavirus. « Il aura fallu neuf mois pour accoucher du projet », conclut la fondatrice de Rava Tahiti Créations. Un parcours atypique semé d’embûches qui prouve que, malgré les épreuves, la volonté et la passion peuvent l’emporter.
Les inscriptions au CMA sont ouvertes
Les inscriptions au CMA ont démarré début mai et se poursuivent jusqu’à la dernière semaine de juin pour intégrer les formations diplômantes de cet établissement. Le Certificat polynésien des métiers d’art (CPMA) est un diplôme de niveau V, soit l’équivalent d’un CAP ou le Brevet polynésien des métiers d’art (BPMA), diplôme de niveau IV, l’équivalent d’un Baccalauréat professionnel. L’examen d’entrée se déroulera la première semaine de juillet. Les inscrits passeront une épreuve de dessin et une épreuve de volume avant un oral devant le jury. Pour cet entretien, il est important de bien préparer son dossier de travaux personnels. Pour s’inscrire à l’examen d’entrée : rendez-vous sur le site internet : www.cma.pf L’inscription est ouverte à toute personne de seize ans minimum, diplômée ou non. Chaque année, ce sont en moyenne cinquante candidats qui passent les épreuves pour seulement vingt places.