Hiro’a n°152 – Dossier : Louise Kimitete, une amoureuse de la danse
Conservatoire artistique de Polynésie française (CAPF) – Te Fare Upa Rau
Rencontre avec Vanina Ehu, enseignante au CAPF, Fabien Mara Dinard, directeur du CAPF, et Jean-Paul Landé, ami de Louise Kimitete et principal de collège de Taravao. Texte Suliane Favennec. Photos : Christian Durocher
Louise Kimitete, une amoureuse de la danse
Après Coco Hotahota, une autre figure incontournable du ΄ori tahiti s’en est allée. Louise Kimitete a tiré sa révérence le 25 mars dernier. Durant plus de trente ans, elle a partagé son amour pour la danse et la culture polynésiennes à travers ses enseignements au Conservatoire artistique de la Polynésie française. Elle laisse derrière elle un héritage immense et riche.
« Quand tu danses, c’est comme si tu faisais l’amour à un homme. » Ce sont les mots de Louise Kimitete. Ils illustrent la philosophie et l’esprit de cette grande dame du ΄ori tahiti. Vanina Ehu s’en souvient bien, elle a grandi auprès d’elle. Enseignante de danse au Conservatoire artistique de Polynésie française, elle est devenue au fil des années les mains et les pieds de Louise. Quand elle évoque l’apprentissage de celle qu’elle surnomme « Mamie Louise », impossible de ne pas aborder son amour pour la danse, un amour qu’elle partageait et transmettait avec une grande générosité à qui voulait bien apprendre. « Elle m’a aidée à devenir une femme et une danseuse. Elle observait la danseuse, mais aussi la femme. Au travers de la danse, on voit tout ce qu’une femme peut ressentir, ses traits de caractère. Elle disait toujours : Tu danses avec l’intérieur de ton corps pas l’extérieur. » Vanina est entrée au CAPF en 1989 où elle a rencontré Louise pour la première fois. Et c’est avec elle que Vanina a découvert toute la richesse de la danse et de la culture polynésiennes. Une richesse largement nourrie par cette grande dame qui a enseigné au Conservatoire durant plus de trente ans. « Elle a tout apporté au ΄ori tahiti. Elle l’a fait évoluer, a remis les pas à jour. À l’époque, quand j’y étais, raconte Vanina, en dehors du travail de base, elle nous faisait travailler des techniques différentes. Le fait de pouvoir le reproduire en groupe enrichissait l’ensemble. »
Donner à la jeunesse le goût de danser
Avant de devenir enseignante au CAPF, Louise Kimitete était avant tout une danseuse. Elle a dansé avec Madeleine Moua et a côtoyé toutes les danseuses de l’époque. « En ce temps, ce n’était pas comme aujourd’hui. Mamie dansait en cachette, ses parents lui interdisaient. Elle m’a parlé d’une femme qui habitait à côté de chez elle et qui lui a appris à danser. Elle me racontait les compétitions de danse entre filles dans les bars et les battles. Chacune avait sa petite touche personnelle. Et elle nous a transmis toutes ces techniques. » La vie de Louise fut étoffée d’aventures. D’origine marquisienne, elle a grandi aux Tuamotu et quitté le fenua après son mariage avec un Américain. Elle a beaucoup voyagé, a aussi été actrice pour des publicités au Japon et à Hawaii. Un autre archipel polynésien où elle a vécu durant vingt ans. C’est aussi là-bas qu’elle s’est initiée au hula aux côtés des grands maîtres de la discipline. Une expérience qui a été un élément déclencheur pour rentrer au fenua et ouvrir sa propre école de danse de ΄ori tahiti. Sous l’impulsion d’une amie qui y travaillait déjà, elle devient, avec Paulina Morgan, la première professeure de danse tahitienne au Conservatoire, après y avoir été assistante. À l’époque, le département des arts traditionnels n’existait pas. « Leur combat était tout simplement de donner l’envie de danser à la jeunesse polynésienne et leur donner l’amour de la danse, en leur transmettant tous les moyens physiques et techniques pour y arriver, explique Fabien Dinard, directeur du Conservatoire. Elle a poussé la réflexion très loin et le Conservatoire était devenu comme un laboratoire pour expérimenter tout le répertoire des pas du ΄ori tahiti. Elle a apporté des variantes dans les pas de base, quitte à sortir des sentiers battus. » Malgré les critiques dont ils ont pu alors faire l’objet, ces pas et variantes sont exécutés aujourd’hui dans tous les groupe de danse. Durant plus de trois décennies, ce sont des centaines d’élèves passés au CAPF qui ont ainsi bénéficié de son savoir.
« Tu danses avec le cœur, avec les tripes »
Louise était une enseignante sévère mais très généreuse. Sa seule présence dans une salle de danse imposait la discipline et la rigueur. Franche et directe, elle n’était pas non plus du genre à perdre son temps : si un élève n’était pas content, la porte lui était grande ouverte. « Finalement, tout le monde restait car, même si on la craignait, on l’aimait. Mamie ne te tombait pas dessus pour rien, elle expliquait pourquoi. À chacun ensuite de capter, explique Vanina. Quand je suis rentrée au CAPF, j’ai mis vingt ans de ma vie de côté pour me consacrer au travail et à la danse tahitienne, au travers des pas, du mouvement et des émotions. Mamie disait toujours : Tu danses avec le cœur, avec les tripes. Quand elle dansait, elle finissait toujours ses mouvements. » Louise Kimitete souhaitait que ses élèves soient des ladies, qu’elles aient tout : un port de reine, les mouvements amples, la grâce. « Mamie était une lady. C’était une danseuse très aérienne, très coquine aussi. Quand un homme la voyait danser, il était obligé de tomber amoureux d’elle… », se rappelle, amusée, Vanina qui aujourd’hui a pris le relais et transmet cet amour de la danse aux élèves du Conservatoire. Louise a été comme une mère pour elle, mais aussi pour de nombreux autres enfants présents dans ses salles. « Elle était une maman-poule. Quand on travaillait au CAPF pendant les vacances, elle nous demandait toujours si on avait pris notre petit déjeuner, sinon on allait au magasin avec elle pour aller chercher du pain et de l’eau. » Les cours avec Louise était très intenses, elle savait comment venir à bout de ces enfants débordants d’énergie. Comment en prendre soin aussi. « Elle avait le souci d’adapter chaque mouvement, chaque pas à la morphologie de l’enfant. Elle a su avant tout le monde ce qui pouvait être néfaste à la pratique de la danse », remarque le directeur du Conservatoire. La professeure savait aussi rassurer ses danseurs, comment leur donner confiance en eux et leur permettre de donner le meilleur d’eux-mêmes. De nombreux danseurs qui concourent au Heiva ou au Hura Tapairu sont passés par sa classe. Elle a formé plusieurs générations parmi lesquelles certains sont désormais des chorégraphes renommés ou ont ouvert leur école de danse. Personnage incontournable de la danse traditionnelle, elle partageait tout ce qu’elle pouvait. « Et elle était riche de savoir. Elle réussissait à trouver le second toi, la deuxième personne au travers de la danse. Car c’est là que se voit le caractère de chacun », confie Vanina, qui a toujours vu Louise accueillir, les bras grands ouverts, toutes les personnes en quête de connaissance.
Une femme d’exception Pleine de talents, d’une créativité débordante et d’une curiosité insatiable, Louise Kimitete adorait également la musique et pouvait chanter n’importe quelle chanson. « Elle avait une sacrée oreille musicale. Rien qu’à l’écoute, elle savait quand il manquait un temps. C’était inné chez elle », raconte Vanina. Louise était aussi une grande lectrice, elle aimait lire et écrire. C’est d’ailleurs elle qui écrivait les programmes du Conservatoire et les thèmes des spectacles. Même après sa retraite en 2014, elle a continué pour les galas du Conservatoire, mais aussi pour le spectacle donné au festival des arts du Pacifique à Nouméa en 2000. Jean-Paul Landé a participé à l’événement à ses côtés. Ils ont travaillé ensemble sur la chorégraphie, la composition du spectacle et les textes. « Elle m’a appris l’histoire de l’évolution de notre danse polynésienne sur les cinquante dernières années. Et surtout, tout le travail sur la conception du spectacle. On s’entendait parfaitement, elle était très ouverte aux idées des autres. Elle était très créative, mais ne prétendait pas être la seule. Elle s’intégrait parfaitement dans un groupe, ce qui est exceptionnel car elle avait déjà une sacrée notoriété. Elle a beaucoup enrichi mon travail de création », confie le principal, qui l’a rencontrée lors de ses visites dans les établissements scolaires de Tahiti. Déjà dans les années 1980, Louise Kimitete tournait dans les écoles pour partager son savoir avec les plus jeunes. À la fin des années 1990, Jean-Paul Landé a organisé avec elle quelques ateliers artistiques au collège de Taravao. « On travaillait ensemble sur les pas de danse, la musique, les méthodes. » Mais cet ancien enseignant d’histoire géographie garde surtout le souvenir d’une femme exceptionnelle avec qui il a eu la chance de partager un moment privilégié. Tous deux originaires des Marquises, ils avaient des atomes crochus. « Je me rappelle de ces belles soirées passées ensemble à échanger autour de la table avec des personnes d’exception. » Louise Kimitete était une femme exceptionnelle, alors elle attirait comme un aimant les plus grandes personnalités de la culture polynésienne. Ainsi que les talents. Elle savait les reconnaitre et aimait partager avec eux. Si Vanina passait beaucoup de temps à travailler la danse avec Louise, elles avaient aussi leurs moments à elles deux. « On se baladait, on avait déterminé un jour dans la semaine où on mangeait ensemble, où on allait faire nos courses. Mamie, c’était une bavarde, il fallait avoir du temps devant soi, se souvient, amusée, Vanina. On parlait beaucoup de travail et de la famille. On avait une complicité mère-fille. C’était un temps pour me déconnecter, tout en me connectant à elle. »
Un héritage immense
Louise Kimitete était très respectée en Polynésie, mais aussi à l’international. Elle ne bougeait pas de sa salle du Conservatoire et pourtant, on la connaissait du Mexique jusqu’au Japon en passant par Hawaii. Grâce aux stages internationaux, des dizaines de danseurs du monde entier venaient la voir. « Elle est pour beaucoup dans l’expansion de la culture de la danse polynésienne dans le monde », confie Jean-Paul Landé. Les étrangers venaient chercher dans les classes de Louise ses précieux conseils et surtout ses techniques de danse. La danse était l’amour de sa vie, alors elle le partageait avec qui le voulait sans courir après les honneurs. « Elle a ouvert la porte à l’évolution des techniques de danse, chez les filles comme chez les garçons. Elle a apporté une rigueur dans l’enseignement de la danse en intégrant la physiologie. Et dans la conception des spectacles, il était toujours question de la cohérence globale des représentations. Elle travaillait un thème avec une cohérence du début à la fin, la structure était prête et posée en texte avantmême d’être dansée », explique le principal du collège de Taravao. Pour Fabien Mara Dinard, directeur du CAPF, Louise Kimitete laisse un héritage important, plus important que ce qu’on ne croit. « Un jour, quand il y aura une étude approfondie sur le ’ori tahiti, je pense que Mamie y occupera une grande part. » Louise Kimitete est décédée quelques jours seulement après une autre grande figure de la culture polynésienne, Coco Hotahota. Ces deux personnalités ont largement contribué au renouveau culturel, démarré vers la fin des années 1970 et au début des années 1980. Aujourd’hui, ils ont laissé leur empreinte indélébile à la culture polynésienne qu’ils ont nourrie et fortifiée. « Ces personnes doivent figurer au panthéon de la culture polynésienne afin qu’on ne les oublie pas. Sans eux, nous ne serions pas là ! C’est dommage que l’on s’en rende compte bien après, confie Fabien Mara Dinard. Mais la relève est là et fait bien son travail. » Coco, Louise ont su transmettre leur savoir et former la génération d’après pour que la culture du fenua ne meure jamais. « Tout ce qu’elle transmettait, c’était avant tout pour me forger, mais aussi pour me donner toutes les clés. Aujourd’hui, ces clés, je les partage avec mes élèves », raconte Vanina qui, avec Moon, fait partie de la relève. Louise a peut-être disparu de ce monde, mais elle continue d’accompagner chacun de ses élèves, chacun de ses danseurs.