Hiro’a n°150 – Trésor de Polynésie : Retrouver les pierres pour restaurer le marae Mahaiatea
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Trésor de Polynésie – Direction de la culture et du patrimoine (DCP) – Te Papa hiro’a ‘e Faufa ’a tumu
Retrouver les pierres pour restaurer le marae Mahaiatea
Rencontre avec Mark Eddowes, archéologue en charge du projet de la réhabilitation du marae Mahaiatea . Texte : Lucie Rabréaud – Photos : Mark Eddowes
Plusieurs campagnes se sont succédé pour la restauration du marae Mahaiatea, situé à Papara. La problématique reste de retrouver les pierres, éparpillées aux alentours, pour reconstituer l’édifice au plus près de l’original. En décembre, Mark Eddowes et son équipe en ont identifié sur les anciennes propriétés de Stewart (le patron de la plantation de Atimaono) et dans le lagon. Elles ont retrouvé leur place sur la structure du marae.
Peu après avoir passé le pont de la Taharuu, à Papara, une pancarte indique la servitude à prendre pour arriver au marae Mahaiatea. Situé au bord du lagon, ce marae était le plus grand de Tahiti. La capitaine Cook est le premier à l’avoir décrit, rapportant ses dimensions extraordinaires : une base de 81 mètres par 26,50 mètres de large et 11 gradins montant jusqu’à 13,50 mètres. Wilson, capitaine du Duff, raconte aussi sa stupéfaction devant l’édifice : « C’est une construction étonnante et il leur a fallu d’immenses efforts et un temps très long pour apporter toutes ces pierres, ainsi que pour tailler les dalles de corail avec les instruments dont ils disposaient à l’époque » (James Wilson, Missionary Voyage to the Southern Pacific Ocean in the Ship “Duff”). Ce marae, dédié au dieu ’Oro, a été construit entre 1766 et 1768. Selon Mark Eddowes, archéologue chargé de la restauration du site, les chefs de l’époque étaient tous d’accord pour l’édification de ce temple, mais Amo, le grand chef de Papara, et sa femme Purea ont souhaité l’accaparer pour la consécration de leur fils Teri’irere i outu rau na To’oara’i. Avant que l’investiture ait lieu, une guerre éclate. Vehiatua et ses alliés attaquent Papara. Lorsque la bataille se termine, Vehiatua emporte les corps des morts à la presqu’île et construit un marae décoré avec leurs crânes à Taiarapu, baptisant ce monument Teahupo’o (le mur des crânes) (Anne Salmond, L’île de Vénus). « Le marae Mahaiatea est alors abandonné. Personne ne voulait venir sur cet endroit après la faillite de Amo », raconte Mark Eddowes.
Des pierres éparpillées
Les pierres du marae sont ensuite utilisées pour construire des édifices dans les environs : le pont de la Taharuu (qui sera détruit par une crue) et les bâtiments de la plantation de Atimaono, notamment. Selon l’archéologue, il est possible que des pierres aient également été prises par des particuliers pour décorer des jardins, faire des murs… Un four à chaux est également construit juste devant le marae pour utiliser les pierres de corail qui constituaient le cœur de l’édifice. Le site est détruit au fur et à mesure des années. Puis, oublié. En 1925, l’ethnologue Handy réalise les premières études du marae. En 1933, l’archéologue Kenneth P. Emory établit son plan de reconstitution. En 1952, il est classé au titre des monuments à protéger. Et en 2014, un plan d’action est mené par le ministère de la Culture afin de réhabiliter ce site d’exception. Aujourd’hui, il reste un grand amas de pierres et de corail sur lequel quelques arbres ont poussé et où l’équipe de Mark Eddowes travaille depuis 2016.
Une quête difficile
Retrouver les pierres est une des grandes problématiques. C’est en travaillant sur des sépultures à Atimaono que l’équipe en a retrouvé une grande quantité, près de la rivière Tevaimoa. Des pierres à bosse, très larges, qui correspondent à celles du site de Mahaiatea. Puis, le hasard amène un jeune qui les prévient qu’il y a ce même genre de pierres sur le site d’une ancienne résidence de Stewart, propriétaire de la plantation de Atimaono, en bord de mer où un quai avait été aménagé, ainsi qu’un pont passant sur la rivière Tevaimoa. Les pierres auraient servi de fondations pour le quai et le pont. En décembre 2019, et après autorisation de la Direction des affaires foncières, une campagne est menée pour récupérer les pierres dans le lagon. Elles sont ensuite triées et montées sur place. « C’est très complexe. On croit qu’il suffit de les empiler les unes sur les autres mais pas du tout, ça ne marche pas comme ça. Il faut trouver celles qui vont parfaitement s’imbriquer. C’est comme un puzzle ! » Une fois cette première étape terminée, elles ont toutes été ramenées sur le site de Mahaiatea et le travail de rénovation s’est poursuivi. Les murs sont rebâtis suivant « les techniques ancestrales », explique Mark Eddowes. D’autres pierres ont également été récupérées dans le lagon, devant le marae. Mais il en reste encore sûrement appartenant au marae sur ces différents lieux et des discussions sont en cours pour
approfondir les recherches et tenter d’en récupérer le maximum.
La seule pyramide du Pacifique
Les campagnes s’enchainent pour restaurer le site petit à petit. « Il s’agit de valoriser ce patrimoine unique et redonner de la fierté aux habitants de Papara. C’est un site qui a été conçu et construit à la main avec des connaissances mathématiques et cosmologiques incroyables. Les fondations de ce marae reposent sur le sable, il fallait donc anticiper un effondrement éventuel. L’orientation est exacte : les pierres d’angle sont parfaitement situées aux points cardinaux. Les calculs ont été très précis », liste Mark Eddowes, faisant part de son admiration pour la structure. « C’est la seule pyramide du Pacifique sud. Il y a bien d’autres marae avec des gradins mais aucun de cette taille. Si ce marae était entièrement refait, il deviendrait un site incontournable du Pacifique. Il est d’une telle complexité et d’un tel raffinement », déclare l’archéologue qui rêverait de revoir ce marae entièrement rénové. ◆
Encadré
La description du marae Mahaiatea par James Cook
« C’est une pyramide rectangulaire dont la base mesure 81 m par 26,50 m, le gradin du sommet mesure 54 m par 2,13 m. Les 11 gradins de 1,20 m chacun correspondent à une hauteur de 13,50 m. Chaque gradin consiste en une rangée de roches coralliennes carrées, très bien taillées sur lesquelles sont posées d’autres pierres à bout arrondi confectionnées uniformément. Les images sacrées étaient placées sur cet autel pendant les cérémonies religieuses. La cour pavée mesurant 88 m par 81 m était entourée d’un mur en pierre bas. »
(James Cook, Captain Cook’s journal during his first voyage
round the world)
Le chant en l’honneur du marae Mahaiatea
Le ahu (autel) du marae Mahaiatea s’élève plus haut qu’aucun autre marae dans les îles de la Société. Un chant est composé en son honneur :
Regarde Mahaiatea !
Papara maintenant a deux montagnes
L’une est le mont Tamaiti
L’autre est Mahaiatea !
(Anne Salmond, L’île de Vénus)
Légendes
Un homme pose devant le four à chaux. Celui-ci était situé contre le marae Mahaiatea, adossé aux gradins. Il suffisait de grimper les gradins pour récupérer les pierres de corail qui servaient au four à chaux.
Des photos de la propriété Stewart qui se trouvait en bord de mer avec la rivière touteproche. Un quai et un pont avaient été construits. Il ne reste rien de ces bâtiments. Des pierres, appartenant vraisemblablement au marae, ont été retrouvées dans le lagon. Elles auraient servi de bases pour les fondations du quai et du pont.
Les pierres récupérées ont retrouvé leur place sur la structure du marae Mahaiatea.