Hiro’a n°150 – L’oeuvre du mois : Ophir, la force d’un peuple face à la puissance des multinationales

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L’œuvre du mois

Ophir, la force d’un peuple face à la puissance des multinationales

Ophir, des réalisateurs Alexandre Berman et Olivier Pollet, a remporté le Grand Prix du Fifo 2020. Le film revient sur la guerre oubliée de Bougainville en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Une guerre menée contre l’exploitation minière. Une guerre contre les hommes d’affaires et de pouvoir sans vergogne. Un film fort et engagé qui rappelle à quel point l’histoire peut

être cynique mais qui est aussi porteur d’espoir : celui de la force d’un peuple qui ne lâche rien et a su faire reculer les plus puissants.

Ophir… C’était le nom d’une île de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Lorsque le navigateur Bougainville la découvrit, il changea son nom pour l’appeler Bougainville. Ophir, c’est aussi et surtout l’histoire de ce peuple qui s’est battu face à l’exploitation minière de l’entreprise australienne Bougainville Copper Limited, laissant derrière elle un paysage dévasté. « Ils ont créé un ulcère incurable », se désole un des habitants. Des paroles que l’on retrouve dans le film Ophir réalisé par Alexandre Berman et Olivier Pollet, et qui a décroché le Grand Prix au Fifo 2020. Ce documentaire raconte le combat des habitants de l’île face à cette multinationale surpuissante qui a exploité sans vergogne la mine de Panguna dans les années 1970-80. La moitié de la montagne de cette toute petite île a disparu. Grâce à la puissance des machines, l’entreprise a déterré 1 milliard de tonnes de roches . la recherche de cuivre et d’or. Seul 0,6 % fut utilisable. Le reste fut déversé dans les rivières et les vallées cr.éant un vaste désert. Et, pour s’installer durablement dans le paysage, les actionnaires de l’entreprise ont fait appel à un anthropologue américain, Douglas Oliver. Les réalisateurs ont mis la main sur un document secret et exceptionnel, produit au procès qui a eu lieu aux États-Unis contre la multinationale. On y dévoile le rôle de l’anthropologue ; on y découvre le cynisme de l’expert à travers un rapport détaillant toutes les failles à exploiter, économiques, politiques, sociales, pour que la société parvienne à s’implanter. Désolant, affligeant. D’autant plus que l’histoire ne s’arrête pas là.

Quand l’histoire se répète

La crise de Bougainville fit 20 000 morts et permit d’arrêter l’exploitation minière de Panguna en 1989. Mais voilà, en 2013, l’histoire se répète. Le cuivre est une matière première stratégique dont la richesse est inestimable. Alors, Panguna continue d’exciter les convoitises. Une loi minière est donc adoptée et le gouvernement autonome de Bougainville assure que la population n’y voit aucune objection. Alexandre Berman et Olivier Pollet se sont donc rendus à Bougainville pour s’en assurer. « Ce papier, je ne connais pas son importance. Je connais l’importance de l’igname, du taro et de la patate douce. Les lois écrites par les hommes, tu peux les changer en un clin d’œil, mais les lois de la nature, tu ne peux pas les changer », explique Jonah, un personnage du film, à Ruth, docteure en linguistique. Cette femme est venue alerter les habitants de Bougainville sur ce que prépare le gouvernement, et dont ils ne sont, de toute évidence, pas au courant. Le documentaire filme leur colère et leur effarement en découvrant ce qui les attend s’ils extraient du minerai sans licence : 30 000 euros d’amende et 4 ans de prison. Le système de prison n’existe pas dans cette communauté, qui n’a pas non plus l’argent pour se défendre face aux gens de pouvoir. Jusqu’à ce jour, la mine n’a pas rouvert. Et, en décembre dernier, lors d’un référendum consultatif, 87 % de la population s’est rendue aux urnes et a voté à 98 % pour l’indépendance.

« C’est leur prix »

« Il fallait faire ce film. Il fallait aller à la rencontre de ce peuple et l’écouter », explique Olivier Pollet, co-réalisateur. « Notre travail a été assez facile, on est les traducteurs créatifs d’une histoire. Et, l’histoire, ce sont les gens qui la racontent et qui nous l’offrent. » Olivier Pollet et son comparse, Alexandre Berman, ont mis sept années pour réaliser ce film. Un film engagé qui montre à quel point la colonisation est sans pitié. Mais, il montre aussi ce peuple si beau et philosophe qui, avec une poésie spirituelle, se bat contre la saleté et le cynisme de l’entreprise minière, des hommes d’affaires et de pouvoir.

Un peuple qui mérite d’être connu et surtout reconnu, dont l’histoire est celle de beaucoup dans le Pacifique, mais pas seulement. « On est en ce moment à la recherche de distributeurs internationaux pour essayer de faire connaître cette histoire partout en espérant qu’elle peut trouver une résonance au-delà du Pacifique. Je pense que beaucoup de peuples peuvent se nourrir de cette histoire. Car ce n’est pas seulement l’histoire de l’île de Bougainville », confie Olivier Pollet. Projeté pour la première fois, Ophir a ému le public et conquis le jury du Fifo 2020. « Le film commence sa vie ici au Fifo. C’était idéal d’être en Océanie car il y a vraiment des gens qui viennent d’autres régions et ont une compréhension très profonde des codes et de l’univers dans lesquels se situe cette histoire-là. Il y a eu de très belles réactions ici, on a eu de beaux échanges avec le public et on a eu la chance aussi d’avoir un jury qui a très bien compris ce projet », confie Alexandre Berman. Le réalisateur n’a pas réussi à retenir ses larmes lors de l’annonce des prix décernés par le jury du Fifo. Ophir a remporté le graal : le Grand Prix de cette 17e édition. Il a fait l’unanimité. « On est très fiers. Non pas par rapport au fait de remporter un prix mais pour les gens qu’on a filmés. Sans eux, il n’y a pas de film. C’est leur histoire racontée par eux-mêmes. Nous, on était là pour organiser cette histoire, la faire briller, mais c’est leur prix. » Et Olivier Pollet d’ajouter : « On espère vraiment qu’ils vont pouvoir commencer à être respectés et reconnus. »

Légende

Ophir, Grand Prix du Fifo 2020.

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