Hiro’a n°149 – L’oeuvre du mois : Dans les jardins du Musée, l’émotion en bloc de Teva Victor
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L’ŒUVRE DU MOIS – Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Fare Manaha
Dans les jardins du Musée, l’émotion en bloc de Teva Victor
Rencontre avec Teva Victor, artiste sculpteur et Miriama Bono, directrice du Musée de Tahiti et des îles. TEXTE : C.R. – Photos : MTI et C.R.
Le sculpteur Teva Victor expose depuis plusieurs semaines deux œuvres monumentales dans les jardins de Hiti. L’occasion de découvrir l’univers d’un artiste qui conjugue tradition et réalisme, vision très personnelle de son art et message universel sur l’homme et la naature.
Entre une rangée de ΄aito et un grand māpē, deux tiki dos-à-dos. L’un semble encore pris dans la pierre, avec seulement quelques traces d’outils pour lui donner vie. L’autre, entièrement poli, fait résonner la tradition marquisienne avec des formes plus modernes, une bouche pulpeuse, des courbes inattendues. Quelques mètres plus loin, en allant vers le lagon, une autre sculpture, tout aussi massive. L’air serein et les traits sensuels, le profil de Tu Mata Arii, « celui qui porte les yeux du temps », se fond dans une pierre sombre à laquelle l’artiste a laissé, sur toute une face, son aspect d’origine. Les visiteurs du jardin du Musée de Tahiti et des îles ne s’y trompent pas : la patte de Teva Victor, qui aime montrer son travail « autant que celui de la nature », est reconnaissable entre mille.Pourquoi avoir choisi d’exposer dans les jardins de Hiti ? « Investir un lieu public, c’est pour moi une façon de partager ce que je fais autrement que sur des photos ou les réseaux sociaux, répond l’artiste dans son atelier de Tipaerui. Et les jardins du Musée, un lieu de nature et de culture, ça me semblait particulièrement approprié. »
La pierre, des sensations fortes
Car, succès oblige, les œuvres du fils de Paul-Émile Victor sont commandées, rapidement achetées, parfois amenées à l’étranger, des Amériques à l’Europe en passant par le Moyen-Orient. Et donc, parfois invisibles pour le grand public. Cette fois, tous les visiteurs du jardin de Punaauia ont eu l’occasion de voir Tu Mata Arii, avant qu’il ne parte courant février vers un hôtel des îles, et Deux tiki dos-à-dos, qui cherchent toujours un acquéreur. Difficile de les rater d’ailleurs : avec deux mètres de haut et plus d’une tonne et demi chacune, ces sculptures font partie des plus imposantes réalisées par l’artiste qui a grandi à Bora Bora. « Ça faisait très longtemps que je voulais m’orienter vers des sculptures de grande taille, et j’ai l’opportunité de le faire depuis quelques années », explique-t-il. « C’est un défi supplémentaire, au niveau physique, au niveau de la logistique, mais je trouve qu’elles dégagent quelque chose d’extrêmement puissant. » Nombreux sont ceux, effectivement, qui restent cois devant ces visages impressionnants. « La sculpture nous regarde de haut. L’humain, dans sa toute-puissance, se retrouve en position d’humilité », analyse l’artiste. « On est face à une pierre qui va nous survivre de plusieurs centaines d’années et qui nous domine par sa taille ; c’est une sensation qui est très forte, un échange intéressant. »
Toujours à la recherche de belles pierres
« Échanger » avec la pierre. C’est là le fil conducteur du travail de Teva Victor et ce, avant même d’avoir des outils en main. « Ma vision des choses, c’est que je co-crée avec la pierre, avec la nature », précise-t-il. « Non seulement elle va m’influencer par son aspect, taillé et émoussé par le temps, teinté par les années. Mais en plus, je suis assez animiste : je considère que chaque pierre a sa propre énergie, et il faut la respecter. » Ainsi, c’est en ressentant « une émotion positive » au toucher, que le sculpteur choisit son matériau de base, puis oriente son travail jour après jour « en fonction de ce que la pierre éveille chez moi, essaie de me demande ». Une conversation qui prend du temps. Pour transformer cette phonolite de Moorea en un visage métis à l’expression ambigüe ou pour faire du bloc, le basalte repéré à Miri, un « tiki teva » – à la bouche charnue si caractéristique –, il a fallu à chaque fois deux à trois mois. « Sans compter la prospection pour trouver la pierre », précise le sculpteur.
Car pour réaliser des œuvres de cette taille, hors de question de remonter les rivières à pied. « La seule option, c’est d’aller chez des entrepreneurs du bâtiment ou du terrassement, de fouiller, chiner sur les chantiers, reprend-il. Parfois des gens qui travaillent dans le milieu ont la gentillesse de m’appeler quand ils repèrent quelque chose d’intéressant. » Mais cette prospection peut également être longue. « Je suis toujours à la recherche de pierres de 1,50 à 2 mètres, voire 3 mètres ou plus, des menhirs en quelque sorte », insiste-t-il. La forme idéale ? « Fine et longue comme un homme, ou plate et naturellement ovale. » Avis, donc à ceux qui repèrent une belle pierre. Peut-être auront-ils l’occasion de la retrouver dans les jardins du Musée. ◆
PRATIQUE
Musée de Tahiti et des îles
• Pointe des pêcheurs
• Ouverture du mardi au dimanche de 9h00 à 17h00
• Teva Victor est joignable via son site et sa page Facebook,
au 87 762 021 et [email protected]
Encadré
Objectif de diffusion culturelle
Ça n’est pas la première ni la dernière fois que les jardins de Hiti, dont l’accès est gratuit, accueillent des sculpteurs. L’espace extérieur du Musée présente déjà une œuvre de Jonathan Mencarelli, de Mataitai Tetuanui, ainsi qu’un dauphin en bois flotté de l’association Mata Tohora, et même une sculpture de Teva Victor. Et la direction du Musée semble ouverte à d’autres propositions. « Le Musée est favorable à l’installation d’œuvres dans ses jardins, afin de donner la possibilité au public de profiter de ces œuvres librement », confirme sa directrice Miriama Bono. « Il y a malheureusement peu d’espaces publics disponibles pour présenter des sculptures, notamment monumentales, et c’est bien .évidemment un plus pour les visiteurs et pour le Musée. » Objectif, donc : « La culture pour tous » et « la diffusion culturelle la plus large possible ».