Hiro’a n°148 – L’oeuvre du mois : Les tressages de Rapa en tableau
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L’ŒUVRE DU MOIS – Service de l’artisanat traditionnel (ART) – Pu Ohipa rima’i
Les tressages de Rapa en tableau
Rencontre avec Vainui Barsinas, artisane et gagnante du concours du Meilleur jeune artisan créateur et Mariana Wan, chargée de communication du Service de l’artisanat traditionnel. Texte : Lucie Rabréaud – photos : Stéphane Georget
Vainui Barsinas a remporté le premier prix du concours du « Meilleur jeune artisan créateur » au mois de novembre dernier, lors du salon éponyme. Son tableau présentant douze types de tressages différents du roseau de Rapa a enthousiasmé le jury autant que le public.
Le tressage a toujours fait partie de sa vie, comme pour toutes les femmes de Rapa. Vainui Barsinas est née et a grandi sur cette île reculée des Australes où elle a appris à tresser cette plante spécifique de l’archipel : le roseau des montagnes (appelé ’ā’eho en tahitien et kakae en rapa). Un savoir-faire qui se transmet de mère en fille, et une « obligation » pour toutes les femmes de l’île ! Mais pour Vainui, cette activité n’a jamais été une corvée, au contraire. Vivement intéressée, elle avait hâte de pouvoir à son tour tresser ces longues lianes blanches élégantes. Ce n’est qu’à dix-sept ans qu’elle a enfin pu y toucher. « C’est une matière délicate qu’on ne doit pas gaspiller », lui expliquait sa mère. Ses premières œuvres étaient « moches », avoue-t-elle en rigolant. Mais elle savait qu’elle pouvait s’améliorer et a continué à travailler. « Je voulais réussir ! Le tressage est un travail long et minutieux, surtout avec le roseau de Rapa dont les brins sont beaucoup plus fins que le pandanus. » Au départ, elle tresse avec huit brins puis complique un peu sa tâche en travaillant jusqu’à vingt-huit brins. Ses créations ont évolué, elles sont devenues sophistiquées. Et la profession a reconnu son talent, notamment avec ce premier prix du concours du « Meilleur jeune artisan créateur » qu’elle a remporté au mois de novembre dernier, lors de la première édition du salon des jeunes artisans créateurs organisé par le Service de l’artisanat traditionnel. Chaque artisan a présenté une œuvre. Il devait la décrire et l’expliquer devant un jury de professionnels et d’initiés, composé de Hiro Ou Wen, parrain de l’événement et président du jury ; Hiriata Millaud, directrice du Service du patrimoine archivistique et audiovisuel ; Joseph Auch, du Centre des métiers d’art ; Frédéric Cibard, responsable de la communication du Conservatoire artistique de la Polynésie française et Toehau Laine, de la Chambre de l’agriculture et de la pêche lagonaire. Le public était également invité à voter pour son œuvre préférée. Vainui Barsinas a remporté tous les suffrages ! Ceux du jury comme ceux du public.
Poursuivre l’apprentissage
Vainui a fait du tressage de Rapa une œuvre d’art : un tableau. Le tressage a pris la place d’une peinture. Douze différents types de tressages y sont représentés. Vainui Barsinas a mis deux semaines à le créer. « Les tressages étaient déjà faits. J’avais donc les différentes tresses, il me restait à les assembler entre elles. Il a fallu étudier pour que cela rende bien. Certaines tresses n’allaient pas ensemble. J’ai fait plusieurs essais en mettant les tresses les unes à côté des autres pour voir ce que ça rendait », explique-t-elle. Deux semaines à travailler pour trouver la meilleure association possible, celle qui mettra en avant tous les types de tressages sans en effacer aucun. Ce tableau, au format de 30 cm sur 40 cm environ, était déjà vendu avant même son exposition pour le salon ! « Je voulais montrer mon travail, les différents tressages qui sont très importants pour moi, dont j’ai hérité de mes ancêtres. Ces tressages ont été élaborés il y a des années et ils se sont transmis de mère en fille, jusqu’à aujourd’hui. À travers ce tableau, je parle de mon île, du respect que j’ai pour sa culture et son savoir-faire. » Vainui connaît quinze façons différentes de tresser mais, selon sa mère, il en existe plus de trente. Aujourd’hui, la jeune femme vit à Tahiti et rentre le plus souvent possible à Rapa pour continuer d’apprendre cet art du tressage du roseau auprès de sa mère. « Ici, personne ne les connaît.»
La beauté du roseau
Le tressage du roseau des montagnes est spécifique à cette matière. « Rien à voir avec le pandanus ! », insiste Vainui. Les brins sont plus fins, sa couleur est différente et le rendu est « plus chic » d’après la jeune femme, qui ne cesse de vanter la beauté du roseau. Sa récolte et sa préparation avant le tressage sont tout aussi longues et laborieuses que celles du pandanus. Les femmes partent une fois par an, au mois d’avril, chercher le roseau en montagne. Il faut ensuite redescendre cette récolte jusqu’aux habitations puis la préparer : séparer la tige en deux et l’assouplir avant le tressage proprement dit. Un travail dont, aujourd’hui, Vainui ne peut plus se passer ! Chez elle, où se trouve son atelier, il y en a partout ! Ce sont ses enfants qui réclament un peu d’ordre et l’obligent parfois à ranger. L’idée du tableau est venue de son mari. C’est lui qui a suggéré la représentation des tresses en tableau pour mettre en valeur le travail de Rapa. Sur son stand, entre les couronnes, les chapeaux, les pō’ara… on trouve aussi des tableaux de tressage. Plus petits que l’œuvre présentée au concours. Mais désormais, Vainui voit grand : « J’aimerais faire un grand tableau de deux mètres peut-être ! C’est ça mon projet. J’ai déjà fait une nappe de table pour ma maman avec différents tressages. » Un tableau avec les trente-deux différents tressages qui existent ? Vainui rigole et ses yeux brillent. Pourquoi pas ? ◆
encadré
Un diadème exposé au British Museum
Grâce à ce prix, Vainui Barsinas a gagné le billet d’avion et le stand pour participer au Tahiti Festa qui se déroulera en septembre 2020 à Tokyo au Japon. Ce grand festival fait la promotion de Tahiti et ses îles et accueille plus de 30 000 visiteurs chaque année. Ce sera sa cinquième participation. Mais ce prix a aussi permis à Vainui Barsinas de faire une vente inattendue. À peine son nom était donné pour le prix que des représentants du British Museum étaient à son stand pour acquérir une de ses pièces et l’exposer au musée : un diadème en roseau des montagnes. « Le British Museum souhaitait encourager et mettre à l’honneur la grande gagnante de cette première édition », selon le Service de l’artisanat traditionnel. « Cela met en avant mon savoir-faire et celui de Rapa », analyse simplement Vainui, heureuse de ce succès autour de ses créations.
Légende
Le tableau de Vainui Barsinas comptabilise douze tressages différents.