Hiro’a n°148 – Dossier : Le fortin Pare iti, témoin de notre histoire
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DOSSIER – Direction de la culture et du patrimoine (DCP) – Te Papa hiro΄a ΄e Faufa΄a tumu
Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Fare Manaha
Le fortin Pare iti, témoin de notre histoire
Rencontre avec Jean-Christophe Shigetomi, président de l’association Mémoire polynésienne, Joany Cadousteau, directrice de la Direction de la culture et du patrimoine, Marine Vallée, assistante de conservation au Musée de Tahiti et des îles. Texte et photos : Lucie Rabréaud sauf mention
Le fortin dénommé Pare Iti, situé sur un éperon rocheux surplombant la rivière et le pont de la Punaru’u, vient d’être sécurisé en vue de sa conservation. L’association Mémoire polynésienne, présidée par Jean- Christophe Shigetomi, a dirigé le projet et le chantier. Ces vieilles
pierres sont le témoin de l’histoire de la guerre franco-tahitienne.
Nous sommes le 12 avril 1846. Le premier gouverneur des Établissements français d’Océanie (EFO), Armand Bruat, débarque un corps expéditionnaire à Taapuna. Ils sont repoussés par plus de 600 guerriers tahitiens. L’amiral Hamelin, à la tête de 800 hommes et de 216 Tahitiens alliés, investit Punaauia. Un nouveau débarquement à la Pointe des pêcheurs permet aux soldats français de s’emparer du camp retranché de la Punaru’u appelé Hereriiau. Ils rencontrent des résistances sur le second retranchement, mais la troupe parvient à avancer et s’engage dans la vallée. Les insurgés tahitiens ouvrent le feu sur la colonne depuis un barrage installé derrière un coude de la rivière ; des pierres et des roches tombent des hauteurs dominantes. La colonne est stoppée. Le commandant Bréa est mortellement atteint. Six hommes ont .été tués, quinze blessés. Bruat renonce à prendre d’assaut la forteresse naturelle établie par les insurgés tahitiens pour contrôler l’entrée de la vallée. Il décide le blocus de la Punaru’u pour les priver de tout apport de munitions et de renforts. Plusieurs fortins sont donc édifiés pour verrouiller la vallée. Bruat espère que les insurgés, coupés du rivage, finiront par se rendre. Le 17 décembre 1846, le fort tahitien de la vallée de la Fautaua est investi par les Français, les troupes s’engagent également dans la vallée de la Punaru’u. Les insurgés se rendent et se soumettent au gouvernement du protectorat.
« … la bataille de la mémoire et du souvenir »
Cette histoire est désormais écrite sur un panneau installé sur le chemin menant au fortin Pare Iti. Depuis 2016, l’association Mémoire polynésienne, présidée par Jean-Christophe Shigetomi, menait le projet de conservation et sécurisation de ce fortin. « Ce monument est un témoin d’un pan de notre histoire. Il n’était pas forcément connu », explique Jean-Christophe Shigetomi. Pourtant, il est la trace de combats sérieux entre les Français et les Tahitiens : « Punaauia était un nœud de résistance important. » La tour de 4,35 mètres de haut n’est plus cachée dans la végétation. Une allée bordée de barrières en bois, qui se voit clairement de la route en direction du CFPA de la Punaru’u, mène au fortin. Pour Simplicio Lissant, tāvana de Punaauia, « c’est un premier pas dans la mise en valeur du patrimoine, pour que la jeunesse connaisse son histoire ». Le vice-président Teva Rohfritsch, présent à l’inauguration du fortin organisée le 29 novembre, a souligné l’importance de partager avec le plus grand nombre la connaissance détenue par certains. « La transmission et le partage sont une priorité. Si une bataille doit se poursuivre, c’est celle de la mémoire et du souvenir pour que la population continue à construire son identité en connaissant son histoire. Ce projet contribue aussi à la stratégie développée par le Pays : au-delà des plages, nous voulons mettre en valeur le mana, notre histoire, notre vécu, l’âme des Polynésiens. » Ce fortin fait désormais partie des monuments historiques à visiter et à connaître. Ces sites de blocus durant la guerre franco-tahitienne serviront ensuite de postes d’observation durant la Première puis la Seconde Guerre mondiale. Des soldats y ont gravé leurs noms et les dates de leur passage. Ces traces du passé sont visibles aujourd’hui à l’intérieur du fortin. La sécurisation de ce fortin est une première étape dans la transmission de l’histoire avec des outils modernes. Le Pays et la commune envisagent la création d’un sentier écotouristique dont le fortin pourrait être le point de départ. Jean-Christophe Shigetomi imagine déjà l’utilisation de la réalité augmentée pour le mettre en valeur et raconter notre histoire, ainsi qu’une installation de lumières pour éclairer le site. « C’est la première étape d’un projet qui devrait s’étendre dans la vallée de la Punaru’u. D’autres fortins mériteraient d’être réhabilités mais ils sont sur des terrains privés », explique Jean-Christophe Shigetomi. Le plus grand de ces forts se tient sur la hauteur qui domine l’actuel centre commercial de Tamanu. Pare Iti, plus petit, est situé sur un éperon rocheux surplombant la rivière et le pont de la Punaru’u. Tous deux sont classés monuments historiques.
La guerre franco-tahitienne
« En 1840, la France n’est presque rien à Tahiti, où l’ouverture au monde passe par le biais des commerçants et des missionnaires anglais. Ni les Français ni les Tahitiens n’avaient souhaité le Protectorat proclamé par Dupetit-Thouars, qui en avait pris l’initiative, avant de le faire ratifier par le gouvernement et le roi », écrit Renaud Meltz dans Une histoire de Tahiti. En 1841, avec le consul de France, Jacques-Antoine Moerenhout, Dupetit-Thouars réunit les chefs Paraïata, Tati, Utami et Hitoti et, à force de menace et de persuasion, leur fait rédiger une requête de protection. Il explique son initiative en arguant d’un Protectorat britannique imminent dans lequel les résidents français ne seraient pas en sécurité. La reine Pomare signe le texte. Elle conserve sa souveraineté, l’autorité des chefs et la propriété foncière sont garantis. Mais la reine finit par dénoncer le traité en 1843. De nombreux chefs tahitiens la soutiennent et se révoltent contre les Français, entraînant avec eux une grande partie de la population. L’Angleterre n’intervient pas mais, selon Jean-Christophe Shigetomi, elle arme et entraîne les insurgés tahitiens. C’est le début de la guerre « franco-tahitienne ». Elle va durer jusqu’en décembre 1846.
Les premiers échanges de tirs ont lieu au fort de Taravao en mars 1844 et la première bataille à Mahaena, un mois plus tard. Vaincus, les Tahitiens se retirent et établissent leurs camps dans les vallées de la Papeno’o, de la Fautaua et de la Punaru’u. Il s’agit d’une véritable résistance. Les troupes françaises construisent un blocus, coupant les Tahitiens en rébellion de l’accès à la mer. La démoralisation gagne du terrain. L’ascension du pic de la Fautaua est entreprise lors d’un coup décisif en décembre et les soldats prennent les insurgés par surprise. Un succès qui arrive vite aux oreilles de ceux basés à la Punaru’u qui finissent par se rendre. « La guerre marque un tournant dans les rapports entre les administrations tahitienne et française. Les chefs et les juges sont rémunérés en tant qu’agents de l’administration et sont, de ce fait, peu soumis à d’autres influences telles que celle des missionnaires. Les chefs de district se tournent désormais vers la France pour continuer à bénéficier d’avantages. » La reine rentre à Tahiti en 1847, un nouvel accord est signé. La France confisque presque tous ses pouvoirs et fait peu à peu appliquer ses propres lois. En 1880, Pomare V renonce à tous ses pouvoirs, l’acte d’annexion est promulgué le 30 décembre 1880.
Sécurisé et conservé « dans les règles de l’art »
La sécurisation et la conservation d’un monument historique répond à des règles. Le chantier s’est déroulé sous l’égide de l’association Mémoire polynésienne, en partenariat avec le ministère de la Culture en charge de la valorisation du patrimoine, le ministère du Tourisme, le Service du tourisme, la ville de Punaauia, l’État, le sénateur Nuihau Laurey, et la fondation Tupuna Tumu. Des fouilles ont été effectuées par l’archéologue Mark Eddowes sous le contrôle de la Direction de la culture et du patrimoine. Des fouilles qui ont permis de procéder aux travaux sollicités par l’association Mémoire polynésienne. Des balles d’anciens fusils, des morceaux de verre, des clous fabriqués à la main et du tuf rouge ont été retrouvés. Les travaux ont ensuite été réalisés par une société française spécialisée en restauration de monuments historiques, SMBR (société méditerranéenne de bâtiment et de rénovation), qui s’est occupée de la cathédrale de Rikitea et aujourd’hui du marae de Taputapuatea. Le chantier fut aussi un laboratoire pour les élèves du Centre de formation professionnelle pour adultes (CFPA) qui ont travaillé à la sécurisation du fortin et participeront à son entretien. Jean-Christophe Shigetomi insiste pour expliquer que l’édifice n’a pas été « restauré » mais bien « sécurisé » : « Cela ne sert à rien de le reconstituer, nous protégeons seulement l’édifice de dégradations futures. » Le chantier a coûté 4 millions de Fcfp.
Pare Iti : un petit fortin
Ce petit fortin a une structure quasi rectangulaire avec trois côtés rectilignes et un quatrième en arc de cercle. L’épaisseur de ses murs est de cinquante centimètres. L’édifice fait 4,35 mètres de haut, pour une dimension de 3,50 mètres sur 4,80 mètres et une superficie de 16 m2. Il est constitué de moellons basaltiques bruts ou ébauchés, liés avec de la chaux corallienne. Un pont en bois permettait l’accès aux créneaux. L’entrée principale était située à l’étage, ornée de pierres de seuils taillées dans du tuf basaltique. Aujourd’hui, on peut y rentrer par une porte taillée dans les pierres du bas et soutenue par une installation en bois. Quelques pièces métalliques sont incluses dans la maçonnerie. Les différentes façades sont ponctuées de trois rangées de meurtrières. Lors de la guerre francotahitienne, c’est une main-d’oeuvre du génie, aidée de marins et de soldats, qui a participé à la construction de plusieurs forts à l’entrée de la vallée de la Punaru’u entre juin et décembre 1846. ◆
(Sources : Une histoire de Tahiti éditée chez Au Vent des îles, les chapitres : « Comment Tahiti est-elle devenue française ? » de Renaud Meltz ; et « La fin de la souveraineté tahitienne et l’apprentissage de la colonisation » de Vaki Gleizal. Le site : www.culture-patrimoine.pf.)
encadrés
Pratique
Le fortin Pare iti est en accès libre toute l’année. Pour s’y rendre, de Papeete : prenez la direction de Punaauia, une fois passé le pont de la Punaru’u, faites demi-tour au rond-point pour revenir sur vos pas. Suivez ensuite la direction du CFPA, route à droite, avant le pont de la Punaru’u. Le fortin se trouvera sur votre gauche.
Trois questions à Joany Cadousteau, directrice de la Direction de la culture et du patrimoine
Quels sont les critères pour classer un monument ?
Lorsqu’un bien immobilier présente un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de la science, de la technique ou de la culture, il peut être inscrit ou classé au titre des monuments historiques. L’inscription et le classement ont pour objet la protection de l’immeuble en termes de conservation du patrimoine culturel. Le classement au titre des monuments historiques entraîne des contraintes concernant la conservation, la préservation, voire la mise en valeur du bien.
Plusieurs vestiges de fortins existent à Punaauia, ont-ils tous été classés ?
Trois fortins situés à l’embouchure de la Punaru’u, sur les propriétés Sage, Lagerteau et Teharuu, ont été classés par arrêté en 1952. L’un des trois fortins, dénommé « Tour noire », situé initialement en bord de mer sur la terre Ariitia, a depuis disparu, et a donc fait l’objet d’un déclassement par délibération en 1958. Dès lors, deux fortins demeurent classés.
La sécurisation du monument devait être précédée par des fouilles : quel a été le résultat de ce chantier ?
Au mois de septembre 2017, l’archéologue Mark Eddowes, sous le contrôle de la Direction de la culture et du patrimoine, a procédé à une campagne de fouilles sur le site de Pare iti. Plusieurs vestiges datant de la période coloniale ont pu être retrouvés. En outre, le caractère spécifique de l’ouvrage a permis d’en déduire que ce site faisait partie d’un ensemble de fortins érigés par le génie civil français. Ces éléments ont démontré l’intérêt public du bien immobilier en question et, par conséquent, de son classement au titre des monuments historiques.
Plusieurs objets datant de cette époque sont conservés au Musée de Tahiti et des îles, notamment ces trois armes :
Le Musée de Tahiti et des îles a acquis en 2016 ce boulet de canon auprès d’un particulier qui l’a trouvé enfoui dans le sable sur une plage de la baie de Matavai. « Ce type de boulet apparait dans la Marine française en 1820 et est destiné aux canons en fonte de fer de 30 livres, qui arment les navires de guerre en remplacement des calibres de 18, 24 et 36 livres. Ils restèrent en service jusqu’au milieu des années 1860. Il est possible que ce boulet ait été tiré par le navire de guerre français le Phaëton, le 29 juin 1844, durant la bataille de Haapape, alors que les insurgés tahitiens et les Français s’affrontaient violemment. »
Ce pistolet d’arçon se portait à l’arçon de la selle, d’où son nom. « Ce pistolet réglementaire français de la manufacture impériale de Châtellerault, est un modèle de 1842, calibre 17,8 mm. »
Ce fusil à percussion date des environs de 1830. C’est une arme de bord dans la Marine pour la chasse. Il se charge de poudre noire par la bouche. Des inscriptions sont gravées sur la crosse : « TENUPA » , ainsi que plusieurs motifs, peut-être des drapeaux et des fleurs stylisées.
(Source : Musée de Tahiti et des îles)
Legendes
(N°2019.2.1, collection Musée
de Tahiti et des îles)
(N°88.05.01, collection Musée
de Tahiti et des îles)
(N°2001.6.2, collection Musée
de Tahiti et des îles)