Hiro’a n°146 – Trésor de Polynésie : Quand la reine Marau découvrait Paris
Rencontre avec Sébastien Damé, responsable du département du patrimoine audiovisuel multimédia Internet au sein du Service du patrimoine archivistique et. audiovisuel. Texte : SPAA – Photos : SPAA
La reine Marau dont le mariage avec Pomare V est un fiasco décide selon O’Reilly de « tromper son ennui », mais aussi d’assurer ses ressources financières en entreprenant un voyage en Europe en 1883. Elle découvre Paris, les Champs-Elysées et Sarah Bernhardt et donne une interview au quotidien Le Gaulois, en mars 1884, à Paris.
En 1875, le prince Ariiaue est célibataire. La reine Pomare IV, vieillissante, souhaite que celui qui va lui succéder s’unisse à une descendante des Teva. Avec la complicité de sa sœur adoptive Ariitaimai, elle parvient à conclure une alliance entre les deux familles. C’est ainsi que le 28 janvier 1875, Marau (1860 -1934), troisième fille d’Alexandre Salmon et de Ariitaimai, épouse Ariiaue. Elle a fait des études en Australie, d’où elle était revenue en 1873. Elle a quatorze ans, son mari trente-six. Ils ne tardent pas à vivre séparément.
« Pour tromper son ennui, écrit O’Reilly 1, donner un dérivatif à sa solitude, en même temps que pour essayer d’obtenir du gouvernement français la stabilisation de sa pension, elle entreprend un voyage en Europe. » Elle s’embarque le 20 décembre 1883 à bord du trois -mâts- goélette américain City of Papeete, allant à San Francisco. (Elle reviendra par ce même navire le 31 mai 1884.)
Son séjour en Europe est relaté dans plusieurs journaux. Le quotidien Le Gaulois publie un entretien accordé par la Reine le 1er mars 1884 : Un de nos collaborateurs a été reçu hier matin en audience par la reine de Taïti, qui a bien voulu communiquer au représentant du Gaulois la plupart de ses impressions de voyage. Au moment où notre collaborateur est entré, la Reine était seule avec son neveu, qui lui lisait un chapitre de L’Aventure de Ladislas Bolski 2 ; elle portait une grande robe de soie noire en forme de peignoir et garnie d’une petite traîne ; c’est le costume qu’elle porte généralement à Taïti et qu’elle n’a point voulu abandonner durant son long voyage.
Laissons maintenant la parole à notre collaborateur :
« Sa Majesté taïtienne nous a reçu avec une extrême bienveillance ; elle n’a point, comme on l’a dit, une allure masculine ; les traits de son visage sont, il est vrai, un peu forts, mais le teint est très clair et la peau d’une finesse extrême. Nous avons demandé tout d’abord le motif de son voyage, et quelles impressions lui avaient causées ces très longues traversées de l’océan Pacifique, de l’Amérique et de l’Atlantique.
« – Le but véritable de mon voyage,nous a-t-elle répondu, a été de voir la France ; on m’en a tant parlé à Taïti, et nous l’aimions là-bas, sans la connaître toutefois, que je me suis enfin décidée à braver la mer, – ce qui ne m’est pas pénible, puisqu’elle ne me fatigue pas, – et à me risquer dans ces grandes
voitures de chemins de fer, dont nous n’avons connaissance dans notre île que par les nombreuses descriptions qui nous en ont été faites. « J’ai été un peu étourdie à San Francisco ; je trouvais la ville immense. Ç’a été bien autre chose à New-York, bien autre chose encore à Paris.
« – Et comment avez-vous trouvé New-York ?« – Peu intéressant. Il y a trop de bruit et puis l’on s’occupait trop de moi ; j’avais à toute heure des nuées de reporters à ma porte ; (…) « – Et Paris, comment le trouvez-vous ? « – Oh ! c’est beau ! Les Champs-Élysées surtout ! Je suis allée les voir hier. Et puis j’ai été aussi entendre Sarah Bernhardt. Oui, certes, Paris me plaît ; mais, voyez-vous, ce n’est pas Taïti, ce n’est pas la terre natale ! (…) « – Avez-vous l’intention de voir le Président de la République ? « – Jusqu’à présent, non. Je verrai seulement le ministre de la Marine, qui m’a fait demander ce matin si je pourrai le recevoir dans l’après-midi. « – Et votre voyage, comment le continuerez-vous ? « – J’irai en Angleterre, chez une tante qui habite près de Londres ; puis je retournerai à Taïti par le chemin par lequel je suis venue. Mais, à Londres comme à New-York, je ne recevrai plus de journaliste. On m’a trop maltraitée là-bas ; ce qui me fait de la peine, c’est que c’est justement un journal français, par l’entremise de son correspondant. N’a-t-il pas raconté que je lui avais dit, quand il s’est présenté : « À genoux, monsieur, je suis la reine de Taïti. » « – Lisez-vous parfois des romans français ? « – Bien peu. Depuis San Francisco jusqu’à Paris, j’en ai lu plusieurs ; entre autres les Trois Mousquetaires. Voilà un beau roman ; mais est-il vrai qu’autrefois on vivait ainsi ? J’ai lu aussi le Mariage de Loti ; c’est joliment fait, joliment écrit, mais beaucoup exagéré, ce qui a rapport à la reine de Taïti, par exemple. » À ce moment, on annonça M. des Essarts, capitaine de vaisseau, ancien gouverneur des établissements français de l’Océanie : « Oui, oui, dit la reine, qu’il entre ! » Puis s’adressant à nous : « C’est notre ancien gouverneur ; nous l’aimions tous beaucoup là-bas, et nous l’avons bien regretté. Je suis contente de le voir. Ne va-t-il pas passer amiral ? » Le commandant des Essarts entrait ; nous saluâmes alors la Reine et nous retirâmes. » La reine rencontrera finalement le président de la République. Le journal ironise sur cette rencontre : « La reine Marahu, qui est venue voir les curiosités de Paris, a rendu visite à M. Grévy. Nous ne savons pas si sa Majesté a trouvé le Président curieux. » (Le Gaulois, 5 mars 1884) Marau ne se rendra pas en Angleterre « n’ayant plus assez d’argent pour cela, et surtout parce que je voulais rentrer le plus tôt possible à Tahiti d’où l’on m’écrivait que ma fille était malade. […] Je quittais Paris le 4 avril pour m’embarquer au Havre sur le Labrador 3 ».
1 O’Reilly, Tahitiens , Paris, 1975.
2 Victor Cherbullez, L’aventure de Ladislas Bolski, Paris, 1869
3 Citée par Ernest Salmon, dans Alexandre Salmon et sa femme Ariitaimai, Papeete, 1982
Encadré
Depuis 1998, la revue « ARCHIPOL – le cahier des archives de Polynésie » a pour objectif la valorisation des fonds d’archives patrimoniaux polynésiens. Chaque publication aborde l’histoire de la Polynésie française selon un thème précis touchant aux évolutions institutionnelles, politiques, économiques, historiques culturelles de la Polynésie française. Des documents, principalement issus des fonds archivistiques viennent illustrer des textes rédigés par Monsieur Michel Bailleul, docteur en Histoire d’Outre-mer. Si vous souhaitez en savoir plus sur la reine Marau et la dynastie des Pomare, procurez-vous la revue ARCHIPOL n°15 qui lui est consacrée. Disponible au dépôt des archives de Tipaerui, Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel Tarif : 3 000 Fcfp
Tél : 40 41 96 01