Hiro’a n°144 – L’œuvre du mois : Le CMA expose en Australie
Centre des Métiers d’Art (CMA) – Pu ha’api’ira’a toro’a rima’i
Rencontre avec Tokainiua Devatine, professeur au Centre des métiers d’art. Texte : MO –
Photos : Tokainiua Devatine.
Le CMA expose en Australie
Le 2 août dernier, le Museum of Tropical Queensland, situé à Townsville, en Australie, a inauguré une exposition Making Connections autour du navire HMS Pandora. Le Centre des métiers d’art y participe grâce à une œuvre de Tokainiua Devatine.
En 1791, Le HMS Pandora fit naufrage sur la Grande Barrière de corail, au nord-est de l’Australie avec, à son bord, quantité d’objets originaires de différentes îles du Pacifique Sud, dont Tahiti et ses îles. Il avait été envoyé par l’Angleterre pour récupérer le Bounty et ses tristement célèbres mutinés.
L’épave fut découverte en 1977 et pendant vingt ans, elle fut minutieusement fouillée. Tous les objets et restes humains retrouvés furent confiés au Museum of Tropical Queensland (MTQ) de Townsville, créée pour accueillir la collection des objets de l’épave. Dès lors, l’exposition permanente du MTQ présente le voyage de la Pandora, allant du périple du bateau, des circonstances du naufrage en passant par les conditions des fouilles jusqu’aux objets retrouvés.
Une étudiante australienne à Tahiti
Il y a deux ans, le CMA a reçu une étudiante en thèse de de l’Université James Cook, Jasmin Guenther, qui travaille sur les collections du MTQ constituées autour des fouilles de la Pandora, en particulier les objets supposés d’origine tahitienne. Cette doctorante est venue à Tahiti rencontrer les acteurs du Musée de Tahiti et des îles et des artisans locaux, afin d’identifier les pièces de la Pandora.
Après un an et demi de recherches sur le fenua, Viri Taimana et Tokainiua Devatine lui proposent, dans la continuité de sa thèse, d’organiser une exposition dans laquelle les artistes polynésiens actuels interrogeraient les collections du MTQ. En effet, ceux-ci travaillent toujours les mêmes matériaux que ceux découverts dans la Pandora. Le projet est aussitôt agréé par le musée. C’est ainsi que se met en place la participation du CMA à l’exposition sur la Pandora.
Une oeuvre à l’image du Pacifique
Tokainiua Devatine a choisi de réaliser une installation, simple en apparence, mais dont les références sont multiples. « L’espace qui nous est réservé pour cette exposition ne nous permet pas d’exposer de grands objets. J’ai attentivement observé les objets de la collection et ai constaté la présence de nombreux hameçons, dont des fragments de leurres à bonite. J’ai donc choisi de proposer une œuvre composée de formes en nacre qui évoque les leurres à bonite. » explique-t-il.
Pour l’artiste, le choix du leurre est important. “L’hameçon est un objet du quotidien commun à toutes les îles océaniennes. Je l’ai donc pris comme un symbole d’unité des peuples océaniens. Je comprenais que nous tenions là un type d’objet que pouvait cristaliser, témoigner de la rencontre entre les Océaniens et les hommes d’équipage des différents navires européens. C’étaient tous des gens de mer, des pêcheurs et l’hameçon était prisé car utile à la survie en mer. Il m’a paru intéressant de questionner cette collection de leurres retrouvés dans le navire. »
Prise seule, la forme donnée à la nacre rappelle celle d’un poisson. Ensemble, ces formes représentent un banc de poissons. « Au-delà de l’aspect historique, l’œuvre interroge également le présent. Elle renvoie notamment à la problématique actuelle de la gestion des ressources marines avec la raréfaction du poisson et la disparition de certaines espèces en raison de la surpêche et de la dégradation des récifs autour du monde. Or, le MTQ est situé dans une région proche de la Grande Barrière de corail », précise Tokainiua Devatine.
Enfin, la nacre est une matière largement utilisée dans le Pacifique. Toutefois, la Polynésie française, grâce en partie à la formation dispensée par le CMA, montre un savoir-faire bien plus riche et étoffé que dans les autres îles océaniennes. « La nacre et tout ce qui s’y rapporte suscitent un intérêt croissant de la part des autres peuples du Pacifique. Notre savoir-faire en la matière est incomparable et mérite d’être valorisé. Nous manquons actuellement de matière première alors que nous exportons plusieurs tonnes de nacre à l’étranger. »
Sur place, l’auteur a eu deux jours pour monter son œuvre dont il avait préparé tous les éléments à Tahiti. A l’issue de l’exposition, celle-ci entrera dans les collections du MTQ. « C’est une bonne chose pour l’art polynésien d’être intégré dans un musée à l’international, car ce n’est pas facile d’accès », explique Tokainiua Devatine.
Etablir des liens
« L’exposition s’intitule Making Connections. Par le biais de ce déplacement et de notre participation, c’est l’occasion de faire le lien entre des institutions de pays étrangers, entre la Polynésie, une école d’art, des musées et des universités, explique encore Tokainiua Devatine. Les scientifiques, les artistes, les conservateurs doivent dialoguer pour en apprendre davantage sur les collections elles-mêmes et de manière plus large sur les peuples qui ont créé ces objets, du regard qu’elles leur portent et ce qu’on peut apprendre sur cette relation dans le temps. »
Le CMA a donc d’ores et déjà établi des liens avec différents potentiels partenaires, à Sydney comme à Townsville. « J’ai rencontré des responsables de galeries d’art et plusieurs conservateurs de musées de Sydney, Canberra, Melbourne, Brisbane et tous ont été très intéressés de connaître les modalités de notre participation à l’exposition. Le fait de voir notre œuvre intégrer les collections du MQT nous ouvre les portes vers d’autres partenaires. Nous avons donc échangé sur des projets possibles car notre but, au CMA, est d’intégrer des projets d’exposition à l’international pour un rayonnement de la Polynésie, de nos savoir-faire et de nos cultures. C’est une belle promotion pour la Polynésie. »
Exposition visible du 2 août au 24 novembre 2019
70 – 102 Flinders Street, Townsville, Queensland
9:30am – 5:00pm
Phone: +61 (0) 7 4726 0600