Hiro’a n°138 : Le mystère de l’herminette sacrée
Rencontre avec Tara Hiquily, chargé des collections au musée de Tahiti et des îles
Texte : ASF – Photos : MTI
Malgré la fermeture de la salle d’exposition permanente pour les travaux de rénovation, le musée reste ouvert et la salle d’exposition temporaire accueillera une exposition des collections jusqu’en septembre 2020 : Tupuna > Transit. Les objets présentés seront en quelque sorte les ambassadeurs du musée en attendant la réouverture totale des lieux. Des pièces phares, très représentatives de la culture polynésienne et surtout emblématiques de nos archipels. Parmi ces objets, une herminette cérémonielle qui renferme encore bien des secrets.
Voilà un objet sacré, une lame d’herminette cérémonielle extrêmement raffinée dont on devine le destin sans pour autant connaître l’histoire. Un objet qui, depuis son achat par le musée de Tahiti et des îles dans une galerie d’art en France, en 1997, conserve tout son mystère. D’où vient-elle ? Comment était-elle utilisée ? À qui appartenait-elle ? Il est impossible de répondre à ces questions avec certitude, mais le musée est intimement persuadé d’avoir affaire à une herminette des Australes et en particulier de Raivavae. C’est d’ailleurs ce point, outre la beauté de l’objet, qui en motiva l’achat. Pourquoi les Australes ? « La forme très particulière de l’herminette, large, rectiligne avec une lame incurvée et relativement fine, est propre aux Australes et plus particulièrement à Tubuai. On peut également la retrouver aux îles Cook qui font partie d’un ensemble culturel et d’échanges forts avec les Australes et les îles de la Société », nous explique Tara Hiquily en charge des collections. Quant à la forte suspicion de la provenance de Raivavae, le musée s’appuie sur des objets de l’île connus et identifiés qui ont des motifs identiques. « Ce sont ces gravures qui nous laissent penser qu’elle est originaire de Raivavae et non de Tubuai. Cela dit, les deux îles sont suffisamment proches pour de nombreux échanges et il est tout à fait plausible d’avoir une herminette fabriquée à Tubuai et gravée ensuite à Raivavae », précise encore Tara Hiquily.
Motifs répétitifs et généalogie
Ces motifs gravés, justement, restent eux aussi assez mystérieux. Sur une petite partie de l’herminette qui mesure une trentaine de centimètres, des losanges sont alignés, alors que l’on retrouve principalement sur cette pièce la répétition d’un motif en forme de croissant. Parmi les suppositions : une référence à la généalogie, chaque ligne pourrait en effet être la représentation d’une génération, mais là encore pas de certitude, car la grande difficulté aujourd’hui est qu’on ignore quasiment tout de la culture ancienne des Australes qui ont connu une conversion religieuse fulgurante, entraînant une destruction des objets et une amnésie des us et coutumes.
Pour autant, à travers cette herminette, l’historien et ethnologue Marc Eddowes retrace une histoire : celle des grands échanges au XVIe siècle entre les Australes, les îles Sous-le-Vent (et en particulier Raiatea avec Taputapuātea) et les îles Cook. Les plumes rouges, les objets cérémoniels et de prestige, ont fait l’objet de nombreux échanges d’une île à l’autre pour le culte du dieu de la guerre ’Oro.
Au Bishop museum de Hawai’i, le chercheur maori Peter Buck s’est également intéressé aux herminettes cérémonielles dans les années 1920. Selon ses recherches, les plus petites herminettes emmanchées pouvaient être une arme de guerre, tandis que les plus grandes étaient une représentation symbolique du dieu des artisans, Tane Mata Ariki, et pouvaient être utilisées dans des rituels (la veille de la construction d’une grande pirogue par exemple). Leur usage pouvait être aussi important pour le culte des ancêtres, ce qui rejoindrait la principale hypothèse de notre herminette présente au musée de Tahiti et des îles. Enfin, autre utilisation, lorsque l’herminette est nommée toki, elle est une sorte de hache de paix que des clans pouvaient s’échanger.
Si le mystère qui entoure cette herminette reste entier, sa beauté et sa rareté en font un objet unique à découvrir absolument au musée de Tahiti et des îles aux côtés d’une centaine d’autres objets.
L’importance du manche
L’herminette présentée n’est pas emmanchée et si nous ne savons rien sur les manches des Australes, les informations foisonnent sur les herminettes cérémonielles des îles Cook qui ont beaucoup circulé dans le Pacifique notamment via le commerce avec les marins, au XIXe siècle. Avec leur manche en bois et bourre de coco pour les liens, elles étaient très raffinées, très belles. Il existait trois types de manche :
- Les courts qui se tiennent à une main, parfois sculptés. Ces herminettes emmanchées étaient la propriété des chefs et des prêtres et un symbole de pouvoir.
- Un modèle plus grand, extrêmement ouvragé, qui se tient à deux mains. Généralement on y trouvait une répétition de petits motifs géométriques.
- La version piédestal, un socle en forme pyramidale sur lequel l’herminette tenait debout.
L’attache en bourre de coco tressée avait une importance capitale et une signification selon la façon de lier le manche à l’herminette. Certains liens étaient très sophistiqués. On disait que c’étaient les dieux qui apprenaient aux hommes la manière complexe dont la cordelette maintenait la lame sur le manche.
Pratique :
- Exposition TUPUNA > TRANSIT
- Ouverture du 30 mars 2019 au 20 septembre 2020
- Tarif : 600 Fcfp/ 500 Fcfp pour les groupes/ gratuit pour les scolaires
- Ouverture du musée du mardi au dimanche, de 9h à 17h
- Renseignements : [email protected] ou sur www.museetahiti.pf pour le programme des visites guidées
L’herminette, à la lame très tranchante, était autrefois un outil en pierre utilisé par les Polynésiens pour tailler le bois, le creuser notamment dans la construction des pirogues. Ici il s’agit d’une herminette sacrée que l’on retrouve auprès de tous les peuples polynésiens.