Hiro’a n°138 : La fibre de coco a trouvé son maître
Rencontre avec Jean-Yves Tuihaa, artisan d’art au marché de Papeete.
Texte et photos : Meria Orbeck
Jean-Yves Tuihaa, artisan d’art depuis plus de vingt ans, partage sa passion pour la fibre de coco, avec laquelle il entretient une relation particulière, quasi fusionnelle. De cette union de l’homme et de la nature naissent d’impérissables œuvres finement travaillées.
C’est dans un petit coin du marché, caché derrière les paniers des māmā, que l’on découvre l’étal de Jean-Yves Tuihaa : « Anaïs Créations ». C’est le nom de son épouse et associée. Sur cet étal est disposé le fruit de leur patient labeur : des bijoux artisanaux, inspirés de la nature polynésienne. Bagues, pendentifs, boucles d’oreilles, colliers, paniers tressés… une déclinaison plutôt répandue sur nos îles mais dont la finesse révèle ici une parfaite maîtrise de la matière végétale de prédilection de leur créateur. En effet, Jean-Yves est passé maître dans l’art du travail de la fibre de coco. « Ça fait vingt ans que j’utilise la fibre de coco. Maintenant, c’est facile, parce que je la connais bien. », nous confie l’artisan.
Un long travail de préparation
La fibre est choisie en fonction de sa longueur et réclame quelques efforts. « Il ne faut pas n’importe quel coco. Ceux que j’utilise, je vais les chercher chez un ami. Ils sont grands. Mais pour les avoir, il faut faire deux heures et demi de route, puis je dois grimper au cocotier et cueillir les cocos. » Après la cueillette, vient la préparation de la fibre. « Je décortique les cocos, ensuite je les trempe, pendant deux semaines, dans l’eau de mer ou dans l’eau douce, mais c’est mieux dans l’eau de mer. C’est important de tremper la bourre de coco, pour que ça soit bien mou. » Taper la bourre de coco sans la faire tremper, comme le font certains, n’est pas son choix, car ça casse la fibre : « Comme la peau est dure, ils tapent fort et ce n’est pas bon. »
La bourre trempée est donc ramollie. Ainsi, il est plus facile de dégager les fibres de leur gangue. « J’utilise une masse pour écraser la peau. Je n’ai pas besoin de frapper, juste de la laisser tomber dessus. La gangue éclate. Ensuite, avec un bois de ’aito (le bois de fer, NDLR), je frappe doucement la fibre pour enlever les restes de mousse. » Un travail de patience… « Il faut du temps, comme les māmā qui font le tapa. À la fin, j’utilise un peigne à cheveux pour bien nettoyer les fibres. »
Si certains clients préfèrent la fibre marron obtenue à partir du coco sec, car ils ont le sentiment que c’est la couleur ancestrale, notre artisan et artiste préfère tresser la fibre blanche, celle issue de cocos verts. « Dans la logique des choses, ce qui est jeune, avec le temps, vieillit, mais dure plus longtemps. La fibre blanche prend une teinte plus foncée avec les années. » Son expérience, son savoir-faire, il les a acquis aux côtés de Woita Prokop. Avec lui, il a appris la technique, mais aussi à travailler à l’instinct. « Il m’a fait comprendre qu’un collier, on ne le fait pas comme ça. C’est comme si tu fabriques ta maison. Un collier, c’est toi. Quand je crée, c’est comme si j’entendais mon collier me parler. Il me dit comment je dois le façonner. J’adore mon métier. » Chez Jean-Yves, pas de croquis, pas de modèle pour réaliser en deux ou trois jours un collier. « Je m’arrête un peu puis je reprends, avec de nouvelles idées. Tout est dans la tête, c’est de l’inspiration. Je suis concentré dessus et les idées viennent. »
Mais d’où lui vient cet intérêt pour la fibre de coco ? « Il y a quelques années, mon ami Bozo, un artisan qui a été le premier à intégrer la fibre de coco dans la bijouterie, m’a posé cette même question, se souvient l’artisan. Premièrement, le coco te donne la vie. Il te donne à boire et à manger. Maintenant, avec ça, tu crées des bijoux magnifiques. C’est fin et c’est résistant. Pour moi, la matière première la plus noble, c’est la fibre de coco. Un collier en fibre de coco, c’est à vie. Et pour reprendre avec Bozo, je lui ai dit aussi : “Je suis tombé amoureux de la fibre, comme je suis tombé amoureux de ma femme.” C’est pour ça que je mets tout mon cœur dans la création de mes colliers. »
Le respect, une valeur chère
Les colliers de Jean-Yves sont des chefs-d’œuvre de finesse et de minutie. Travaillée avec patience et amour, la fibre de coco exacerbe la beauté des coquillages venus des Tuamotu, des belles perles noires, de la nacre ou encore des dents de cochons ou de cachalots. Tout ce qu’il utilise dans la confection de ses bijoux, il l’a préparé de ses mains.
Pour cet amoureux de la beauté, la finition des bijoux est très importante. « Quand tu regardes l’arrière d’un collier, tu vois, c’est propre. » Et en effet, pas un brin de fibre ne dépasse et c’est aussi beau que de face. « Pour moi, c’est important de respecter le client. Par exemple, quand je fais un collier de femme, je le teste pour voir si ça ne pique pas, si ça ne gratte pas. Il y a toujours de la recherche. Et j’utilise des matières premières de bonne qualité, pas des rebuts. Il faut que la cliente qui va l’acheter soit fière de le porter. » Après avoir rencontré l’artisan et admiré son ouvrage, gageons qu’elle le sera…
Pratique :
- Anaïs Créations
- Au rez-de-chaussée du marché de Papeete.