Hiro’a n°138 : Heiva taure’a, quand la magie opère
Rencontre avec Ingrid Neveling, principale adjointe du collège Maco Tevane, Nati Pita, principal du collège de Makemo, Christophe Bignon, principal du collège de Taiohae, et Tonyo Toomaru, professeur au collège de Teva i Uta et membre du jury du Heiva Taure’a
Texte : Élodie Largenton – Photos TFTN
Après le grand succès de la 1re édition, le Heiva taure’a est de retour à To’ata. Cette année, seize collèges de tous les archipels y participent, et trois soirées de concours sont organisées les 8, 9 et 10 mars pour permettre à tout le monde de passer sur scène. Les participants sont déjà tous gagnants : l’alliance de la pédagogie et de la culture fait des miracles.
« L’école peut fragiliser ; un enfant peut passer à côté alors qu’il a les compétences pour réussir », regrette Ingrid Neveling, principale adjointe de Maco Tevane et présidente de l’association Heiva taure’a. C’est en partant du constat que l’école présentait « un côté parfois trop métropolitain, trop éloigné des réalités locales » que des établissements ont appelé la culture polynésienne à larescousse. Les collèges de Tipaerui, de Taravao et Maco Tevane proposaient déjà des cursus orientés vers l’apprentissage des arts traditionnels au travers des classes Cham et Chad*, avec succès. Le concours Heiva taure’a permet d’aller encore plus loin et il fédère cette année seize collèges des cinq archipels – « et ils auraient pu être encore plus nombreux ; on a dû poser une limite, parce que ça demande une sacrée logistique », précise Ingrid Neveling.
Les langues de tous les archipels vont résonner à To’ata
Le projet se met en place dès le début de l’année scolaire. « Quand ils sont rentrés, en août dernier, les élèves avaient déjà réfléchi à un thème », raconte la principale adjointe de Maco Tevane. Contrairement au Heiva i Tahiti, toutes les danses et langues de la Polynésie française sont représentées. C’est donc en paumotu qu’a été écrit le thème du collège de Makemo ; il s’agit d’une création, l’histoire de deux clans, dont l’un détient un mana envié par l’autre. Les élèves de Taiohae, à Nuku Hiva, se sont, eux, appuyés sur la légende de la danse de l’oiseau, haka manu. Après l’écriture du thème, les élèves et leurs professeurs se sont attelés aux chorégraphies, à l’écriture des chants et des mélodies, puis aux costumes. « On a demandé aux élèves de rapporter des végétaux de leur île ou de leur atoll au retour des vacances. Il y a aura des fibres de cocotier, des nacres et d’autres coquillages », rapporte Nati Pita, principal du collège de Makemo. Avant de passer sur scène, un petit groupe d’élèves ira présenter le thème du spectacle devant le jury, dans sa langue vernaculaire – un comité de lecture est spécialement mis en place par la Maison de la culture pour permettre aux jurés de comprendre aussi bien les projets marquisiens que ceux des Australes. Puis, ce sera le grand soir, le spectacle à To’ata devant des centaines de personnes. « En termes d’estime de soi, c’est exceptionnel. Ça veut dire qu’on fait confiance aux élèves, qu’ils ont de la valeur et ça participe à leur réussite. C’est le ministre de la Culture qui a nous a permis d’accéder à cette enceinte, en rappelant que la vocation première de To’ata était de servir la jeunesse et la culture », raconte Ingrid Neveling. « C’est merveilleux de pouvoir se produire à To’ata, c’est une grande chance », acquiesce Christophe Bignon, principal du collège de Taiohae.
Pour les enfants des îles éloignées, c’est aussi l’occasion de découvrir Tahiti et de multiplier les rencontres. « L’an dernier, on est allé au collège Maco Tevane, raconte Christophe Bignon. Tout le monde était regroupé là-bas, tous les archipels se sont mélangés, c’était magique, c’était la Polynésie française ! » Le principal du collège de Taiohae précise que pour beaucoup des participants de cette 2e édition, le séjour à Tahiti sera une première et que l’un d’entre eux prendra même l’avion pour la première fois. Pour le principal du collège de Makemo, c’est une récompense, mais aussi la continuité du travail effectué depuis le début de l’année : « Ce projet demande de l’assiduité, c’est ce qu’on exige des élèves pour qu’ils partent à Tahiti. Il ne s’agit pas seulement de savoir-faire, mais de savoir être. On a d’ailleurs rédigé une charte de bonne conduite pour le séjour à Papeete, c’est une démarche globale. »
Un projet fédérateur
L’énergie de tous est requise tout au long de l’année, aussi bien celle des élèves que celle de leurs parents et professeurs. « Cela permet aux professeurs d’histoire-géographie, de langues, d’EPS, d’apprendre à travailler ensemble, de se questionner et de se former, de sortir de leur train-train », rapporte Ingrid Neveling. L’implication des parents est également attendue, et parfois même celle des maires, comme c’est le cas aux Tuamotu : « Notre collège de Makemo est un peu particulier, il touche onze îles et atolls et des aires culturelles diverses. Tous les maires ont insisté pour que des élèves de chez eux participent au projet », raconte Nati Pita.
L’essentiel reste l’implication des élèves. Tous les collèges sont unanimes : les résultats sont au rendez-vous. « Il y a beaucoup de collaboration, de liens qui se tissent, c’est une formidable aventure qui sert la réussite scolaire », affirme Nati Pita. « On génère de la motivation à travers la culture. On a vu, l’an passé, que les élèves de CAP étaient plus faciles à gérer ; le projet les a canalisés, responsabilisés », témoigne Christophe Bignon. À Tahiti, ces bons résultats peuvent même se chiffrer : alors que le taux d’absentéisme est de 15 % à Maco Tevane, il était nul dans la classe qui participait au Heiva taure’a l’an dernier. « Ce projet nous permet de lutter contre le décrochage parce que chacun est maintenu au sein d’un groupe, il y a du lien qui se crée et l’élève est acteur de son apprentissage », explique Ingrid Neveling. La culture est donc un levier efficace pour la réussite des élèves et l’issue du concours importe finalement peu, même si Christophe Bignon préfère prévenir, en souriant : « Le collège de Taiohae va gagner, c’est sûr ! »
Trois questions à Tonyo Toomaru, professeur au collège de Teva i Uta et membre du jury du Heiva taure’a.
Le collège de Teva i Uta a remporté la première édition. Comment l’expérience a-t-elle été vécue au sein de l’établissement ?
Cela a demandé plusieurs mois de travail, avec l’implication des élèves, principaux acteurs du spectacle. Ce sont eux, notamment, qui ont écrit le thème, Le périple des âmes – Rere-a-vārua, posé les pas de danse et écrit les mélodies. Ça a apporté énormément à tous les participants. Certains élèves ont ainsi retrouvé le goût d’apprendre, de travailler, les « décrocheurs » ont manifesté de l’engouement, ils se sont investis jusqu’à la fin, alors que les répétitions avaient lieu les mercredis et vendredis après-midi. On a constaté des améliorations à la fois sur le plan scolaire et au niveau des comportements.
À quoi est due cette réussite ?
À mon sens, cela vient du fait que le projet est mené avec les élèves, ce n’est pas un projet d’adultes. Les jeunes ont pu construire et s’auto-construire à travers ce Heiva taure’a, avec le soutien de plusieurs professeurs de disciplines variées. En tout, ils sont quarante-trois à avoir participé au projet, de la 6e à la 3e. Pour ceux qui passaient les épreuves du diplôme national du brevet, ils ont choisi de présenter ce projet, ce qui les a aidés ; et d’un point de vue général, on a observé que les résultats étaient bien meilleurs que les autres années.
On a, en outre, constaté une forte baisse de l’absentéisme, et ça a été le moteur de notre motivation avec les autres professeurs. On s’est aperçu que, en dehors du collège, certains vivaient pleinement leur culture. Proposer un tel projet au sein de l’établissement leur permet de retrouver de l’aisance à l’école, qui n’est plus quelque chose d’étranger, de difficile, dénué de sens. Là, c’est une école qui leur parle.
Pourquoi, alors, ne pas y participer cette année ?
Pour diverses raisons, je ne pouvais pas porter le projet cette année et personne n’a pu prendre la relève – cela demande beaucoup d’implication. Mais on sera de retour l’an prochain, c’est sûr ! En attendant, je fais partie du jury cette année, et je délivre des formations aux établissements qui le souhaitent sur l’aspect pédagogique du Heiva taure’a. Ce concours, comme le dit Ingrid Neveling, c’est un prétexte pour tirer les élèves vers la réussite et les établissements l’ont bien compris, c’est pour ça qu’il y a autant de demandes. Mais ce n’est pas un petit projet, cela demande beaucoup d’investissement et d’interdisciplinarité, les professeurs de tahitien, de français, de musique… doivent travailler ensemble pour que ça marche. La récompense est au bout, on voit qu’il est possible de concilier culture et éducation.
Le jury
Teraurii PIRITUA Président du jury
Heimoana METUA
Fabien MARA-DINARD
Tiare TROMPETTE
Moana’ura TEHEIURA
Tonyo TOOMARU
Guillaume FANET
Elvina NETI PIRIOU
Le comité de lecture
Maeva Maoni pour les Tuamotu, Léa Teahu Rochette pour les Australes et Odile Alfonsi pour les Gambier, ainsi que Edgar Tetahiotupa pour les dossiers en langue marquisienne et Goenda Reea soutenue par Edgar Tetahiotupa pour la langue tahitienne, en raison du nombre plus important de dossiers dans cette langue.
Les établissements scolaires participants
Tuamotu :
Le collège de Hao
Le collège de Makemo
Gambier :
Le collège de Rikitea
Australes :
Le collège de Rurutu
Marquises :
Le collège de Nuku Hiva
Le collège de Hiva Oa
Société :
Le collège de Raiatea
Le collège de Taha’a
Le collège de Bora Bora
Le collège de Huahine
à Moorea :
Le collège de Afareiatu
Le collège de Pao Pao
à Tahiti :
Le collège Maco Tevane
Le collège de Tipaerui
Le collège Henri Hiro
Le collège de Taravao
Pratique :
- Le 8 mars à 17h
- Les 9 et 10 mars à 18h
- Tarif unique : 200 Fcfp en vente sur place et en ligne sur www.maisondelaculture.pf
- Renseignements : 40 544 544 – Facebook Heiva Taure’a – Heiva des collèges – Tahiti