Hiro’a n°136-137 : Dix questions à Carl Aderhold, président du jury du Fifo 2019
« Il est essentiel que les Océaniens puissent raconter leurs propres histoires »
Longtemps éditeur chez Larousse, spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, Carl Aderhold a également publié divers ouvrages sur l’histoire de France. En 2018, il a cosigné une série documentaire très remarquée, Histoires d’une nation. Il a été choisi pour présider le jurydu Fifo 2019.
Pourquoi avoir accepté d’être le président du jury du prochain Fifo ?
MarencontreavecWallesKotra,quim’a proposédeprésiderlejuryduFifo,yest pour beaucoup. Sa façon de me parler de ce festival, des cultures d’Océanie, m’a passionné et m’a donné envie de participer à cette aventure. Quand on passesavieàsonbureauàécrire,c’est toujoursunsentimentexcitantdesortirde satanière,dequittersonhorizonfamilier pourdécouvrird’autrescultures,d’autres façonsd’êtrehumain,d’autresrapportsau monde.
Commentpercevez-vousvotrerôle?
Il me semble que le rôle d’un présidentde jury est de se mettre au service des autres. D’une part permettre quele travail des réalisateurs, des auteursdes documentaires sélectionnés soit reconnu, perçu, transmis au mieux et d’autrepart de favoriser le dialogue autour de ces œuvres, notamment en essayant de rendreleséchangesdesmembresdujury lesplusrichespossibles.
Aviez-vousdéjàentenduparlerduFifo avant que l’on vous propose d’être le présidentdujury?
Pourêtretoutàfaithonnête,jen’enavais jamais entendu parler. Mais c’est aussi parce que je ne viens pas du monde du documentaire,nimêmedel’image.Mais unechosemefrappedepuisquel’onm’a faitl’honneurdemeproposerdeprésider lejuryduFifo,c’estlenombredegensà quij’enparleetquiconnaissentcefestival, soit parce qu’ils y sont allés, soit parcequ’ilsontvulesfilms.Jesuisd’autantplus flatté d’yparticiper.
Qu’est-ce qu’un bon documentaire, selon vous ?
Un documentaire qui me fait découvrirune part d’humanité que j’ignorais. J’aime entendre les voix, regarder les visages. Un bon documentaire, c’est celui qui me fait écouter, voir. Il y a quelquechosedeparticulièrementaride dans le documentaire, un effacement du réalisateur, des auteurs, pour faire passer, se mettre au service de ceux dontilsparlent.Savoirs’effacerdemande beaucoupdegénérosité,d’ouverture.
Y a-t-il un documentaire qui vous a touché récemment ?
Ces derniers temps, j’ai surtout regardédes documentaires historiques commeLa Grande Guerre vue de l’arrière. Parce que je m’intéresse particulièrement à comment transmettre l’histoire à travers lesimagesd’archives,commentlamettre enrécit.Danslemêmeordred’idée,j’aivu récemment Occupation native deTrishaMorton-Thomas, présenté lors du dernier Fifo, qui m’a beaucoup intéressé, sur la nécessité de repenser l’histoire de l’Australieducôtédespeuplesnatifs.Le travailsurl’histoire,surlamémoireaussi,pour retisser des liens, sortir du rapport de domination, me paraît un thème important.
Vous êtes le co-auteur de la série Histoiresd’unenation,oùilestquestiond’identité.Pensez-vousvousintéresser àcesujetenPolynésie,oùl’onenparlebeaucoup?
Enfait,Histoiresd’unenationneportepas tant sur la question de l’identité que sur lanécessitéd’enfiniraveccetteidentité, je veux dire « l’identité française », ausens d’une identité définie une foispour toute,figée,excluante.Jenecroispasà l’identité,ouplutôtjecroisauxidentités, identités des peuples, mais plus encore des individus. Mouvantes,changeantes. Unjourjesuisceci,demaincela,parceque jesuismoi-mêmeenmouvement.Cequi m’intéresseenPolynésie,c’estlaplaceetla reconnaissancedesmultiplesidentités.Le respect,mesemble-t-il,passeparl’histoire etlamémoire.Cen’estpasunequestion dediversité,maisbienplutôtdeplace.Ce quisedessinaitdansHistoiresd’unenation, c’estl’écartentrelamythologieofficielle, lesFrançaisd’uncôté,lesimmigrésdans lesmargesdel’autre,etlaréalitéhistorique d’un destin commun. S’intéresser au rôle des immigrés, ça ressemblait un peuàjouerà«OùestpasséCharlie?».À chaquemomentdel’histoiredelaFrance depuisdeuxsiècles,lesimmigréssontlà, présents, mais l’histoire officielle ne les voitpas.Jenesaispassilaquestionse posedelamêmefaçonenPolynésie,mais ilmesemble,vudeFrance,qu’ilyaune méconnaissance,uneffacementdetoutce quin’entrepasdanslemoulerépublicain.Donc oui, c’est certain que c’est unsujet quicontinueraàm’intéresserunefoisen Polynésie,maisd’unecertainemanière,j’ai l’impressionquec’estlebutmêmeduFifo demanifester,témoigner,faireconnaître ces identitésmultiples.
Quelle vision avez-vous de l’Océanie ?
Une vision très métropolitaine… Je suisunenfantdel’écoledelaRépublique,de nosancêtreslesGaulois,etc.Quandon acommencéavecFrançoiseDavisse,la co-auteur d’Histoires d’une nation, c’est cettevisionaussiquej’avaisdel’histoire de France. Déconstruire ses propres perceptions,savisionestunexerciceàla foisessentieletjouissif.Pourmoil’Océanie, cesontàlafoisdesréférencesculturelles, engrosdeGauguinàBrelenpassantpar Stevenson ou Conrad auxquelles sont venus s’ajouter ces dernières années des questionnements sur le climat, la perception de cultures radicalement différentesdelamienne.C’estaussipour ça que j’ai accepté la présidence du juryduFifo.Poursortirdemespréjugés,pour dépasserlesbonnesintentions,apprendre etécouter.Enfiniraveclediscoursunitaire,du modèle, et aussi avec le discoursvictimaire,pouressayerdejeterdesponts, découvrirunehumanitécommune.
Le«GoodPitchPolynésie»,undispositif qui vise à promouvoir des films documentairesàfortpotentield’impact socialouenvironnemental,vaêtrelancé cette année au Fifo. Le documentaire est-ilunearmepolitiquepourvous?
Bien sûr. Le documentaire peut êtrecela mais, me semble-t-il, pas au sensdémonstratifetpesantduterme.Donner aux gens la possibilité d’aborder, de découvrir, de comprendre, c’est unedémarchepolitiquequivabienau-delàdu message.