N°134 – « On passe des soirées agréables : il n’y a pas du tout le stress et les contraintes du Heiva »
10 questions à Vanina Ehu, enseignante de ‘ori tahiti au Conservatoire artistique de la Polynésie française et présidente du jury du Hura Tapairu 2018.
Texte et photo : Benoît Buquet.
Membre du jury du Hura Tapairu depuis la première édition du concours en 2004, Vanina Ehu en est cette année la présidente. La professeure de danse apprécie particulièrement cet événement rythmé et festif.
Le Hura Tapairu conserve-t-il encore son identité particulière, sa réputation de concours accessible ?
Le Hura Tapairu a été mis en place pour donner une chance aux petites formations de se présenter sur une scène. Ces formations n’avaient pas la possibilité de le faire lors du Heiva à To’ata. Depuis le début du Hura Tapairu, il y a une évolution dans les costumes, qui sont de plus en plus sophistiqués, malgré les faibles moyens puisqu’il n’y a pas de subvention comme au Heiva. Mais ça reste un concours de ‘ōte’a, ‘aparima et mehura (inspiré du hula hawaiien), avec de petits groupes de vingt danseurs et danseuses sur scène. Et au fil des années, le Hura Tapairu est devenu une sorte de tremplin pour eux.
Les règles sont-elles moins strictes qu’au Heiva ?
Oui, c’est moins strict parce que les critères de notation sont mis en place avec les chefs de groupes. C’est un travail collectif avant tout. Nous, en tant que jury, on est là à noter selon le ressenti de chacun, avec des critères simples et rapides. Et ce qui est bien, c’est qu’au Grand théâtre, le jury a une vue d’en haut. Donc ça oblige les groupes à travailler au mieux leur chorégraphie par rapport au thème ou à la chanson qu’ils ont choisis. Et c’est un travail de groupe plus facile avec un effectif restreint.
Vous parlez d’une évolution. Qu’est-ce qui a changé ?
En fin de compte, les groupes ont évolué au fil des années. Des formations sont revenues, d’autres se sont désistées ou ont changé de nom. Mais les éléments sont toujours les mêmes. Il y a surtout eu une évolution au niveau des costumes. Aujourd’hui, on voit qu’ils s’investissent à fond pour pouvoir présenter un superbe spectacle à la Maison de la culture. Il y a aussi de plus en plus d’efforts réalisés en matière de musique ; c’est un aspect compliqué, car le groupe de musiciens est restreint : un tō’ere, un fa’atete et un pahu tüpa’i. Donc c’est vraiment une petite orchestration qui doit porter le groupe.
Ça donne des soirées rythmées au Grand théâtre…
On passe des soirées agréables : il n’y a pas du tout le stress et les contraintes du Heiva. On ne reste pas après les soirées pour discuter des notes. Nous, dans le jury, on remplit une fiche après chaque passage, TFTN récupère les fiches et les dépose à l’huissier. Et on ne revient pas sur les notes. C’est selon le ressenti et ça va vite.
Quels sont les critères de notation ?
Parmi les critères de notation, il y a le thème, l’écriture, les costumes, la chorégraphie, les pas et les mouvements, la synchronisation, l’orchestration, les voix, l’agencement… Il n’y a pas de note égale à zéro. Il n’y en a jamais eu et il n’y en aura pas. Par exemple, le thème est sur dix points, il y a des cases et on coche 2, 4, 6, 8 ou 10 points. Avec ce système, ça va vite et tu as le temps d’apprécier le spectacle de chacun.
Ces deux semaines de Hura Tapairu représentent-elles beaucoup de travail pour le jury ?
Non, c’est juste du plaisir. Comme les groupes ont un temps limité pour chaque prestation, tu ne vois pas le temps passer et tu as le temps d’apprécier et de voir ce que font les danseurs et danseuses grâce à leurs chorégraphes et leurs chefs de groupe. Mon plus grand bonheur, c’est que dans tous les groupes, je vois « mes bébés » défiler. Elles sont passées par le conservatoire. Elles ont monté leur propre groupe, leur propre école. Quand elles me disent « Tatie Vanina, on est tes bébés, on va gagner », je leur réponds « Alors là, je ne suis pas de ce tempérament à favoriser ma filleule ou ma meilleure élève » ; non, tout le monde est au même niveau, que le meilleur gagne, et mon ressenti à moi c’est quand mes poils se hérissent…
Est-ce que des groupes étrangers participent au concours cette année ?
Trois formations des États-Unis sont attendues et une de Londres. Il était compliqué de les faire venir l’an dernier, parce que le déplacement revient cher. Il faut qu’ils paient les billets, le logement, qu’ils trouvent à manger. Cette année, il y a donc trois groupes américains et un londonien et c’est une bonne nouvelle. Une culture, une danse, il faut la partager. Il faut qu’on arrête de regarder son nombril. On est un grain de sable dans l’océan. Et quand on voit l’ampleur que prend la danse au Japon, au Mexique, aux États-Unis, partout dans le monde… L’année dernière, j’avais une élève de Roumanie en stage. Je trouvais ça vraiment super. C’est comme tout : si on ne partage pas, on n’a plus qu’à mourir…
Y a-t-il toujours des stages de ‘ori tahiti pour les étrangers au Conservatoire ?
Ce projet a été initié il y a dix ans par un Japonais, Yoshi Shizaka. Il m’avait demandé d’ouvrir des stages à des élèves étrangers au conservatoire, l’école du pays. Depuis, on organise deux fois par an des stages d’une semaine pour les étrangères, qui font de la danse, du ‘ukulele, des percussions, moyennant 40 000 Fcfp la semaine. Elles passent un bon moment !
Il y a aussi le concours ‘Ori Tahiti solo Competition, à la même période…
Depuis trois ans, ces stages sont organisés en même temps que cette compétition et que le Hura Tapairu. Comme ça, les danseuses étrangères viennent pour les stages de danse, et elles peuvent aller aux soirées et aux compétitions. Les Japonaises ont une semaine de congés par an, donc elles peuvent en profiter à fond. Elles se sacrifient pour venir au conservatoire et visiter le pays.
Quel avenir souhaitez-vous pour le Hura Tapairu, tout jeune face au Heiva ?
Je dis à tous les groupes qui le peuvent de participer à ce petit concours. Moi je ne l’ai jamais fait comme danseuse. J’ai toujours été jury. Mais les chorégraphes s’investissent vraiment à fond, ils se challengent eux-mêmes. Là, par exemple, Hitireva vient avec trois formations. Kehaulani Chanquy n’a pas peur, parce que c’est beaucoup de travail : il faut faire les costumes, cadrer les danseurs… Les grands groupes participent aussi depuis le début. Tiare Trompette, avec Hei Tahiti, a remporté trois Hura Tapairu. C’est toute une histoire de famille, de danseurs, de musiciens, de techniciens. On passe vraiment des soirées superbes. Ce ne sont pas des soirées interminables. Le public est toujours là. Il y a des fan-clubs pour tous les concurrents. Bonne chance aux groupes !