N°134 – Faire revenir le patrimoine polynésien en Polynésie française
Direction de la culture et du patrimoine (SCP) – Pu no te ta’ere e no te faufa’a tumu
Rencontre avec Francis Stein, responsable du département Valorisation et diffusion, et membre de l’équipe projet Taputapuātea à la Direction de la culture et du patrimoine. Texte : Lucie Rabréaud.
Lors de recherches sur Internet, Francis Stein est tombé sur cette photo : une pierre noire allongée, représentant un « dieu requin » – elle est ainsi identifiée et nommée par Eugène Caillot, propriétaire de la collection – provenant du site de Taputapuātea. Une sculpture zoomorphe, aujourd’hui conservée au musée du Quai Branly, qu’il aimerait un jour faire revenir en Polynésie.
C’est lors de recherches sur la toile que Francis Stein, membre de l’équipe projet Taputapuātea de la Direction de la culture et du patrimoine, a déniché cette photographie incroyable : un « dieu requin » en pierre noirâtre avec comme légende : « Cette idole a 47 cm de long et pèse 6 kilos, 100 gr. Elle provient du célèbre marae d’Opoa, dans l’île de Raiatea de l’archipel de la Société. » Une pièce exceptionnelle trouvée grâce à Google, comme il l’explique dans un sourire. Passionné par l’histoire du site Taputapuātea, désormais inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco, Francis Stein est toujours à la recherche d’informations s’y rapportant. Des informations ou bien des pièces, comme celle-ci. Lors de la venue de deux experts du Comité des biens français, des discussions se sont amorcées sur ce sujet délicat du patrimoine culturel mobilier dispersé : une véritable richesse pour la Polynésie française. Beaucoup de personnes demandent aussi la création d’un musée pour mettre en valeur les artefacts de Taputapuātea. Mais c’est également sa carrière passée dans différents établissements culturels qui porte Francis Stein à s’intéresser à toutes ces pièces parties de la Polynésie française et qu’on retrouve au compte-goutte, lors de curieux hasards ou grâce à des dons. Tout ce patrimoine, parfois encore inconnu, souvent à l’étranger dans des musées ou également restés à l’abri des regards dans des familles polynésiennes, Francis Stein rêve de le révéler, de pouvoir l’exposer, non pas dans un musée, mais dans une salle patrimoniale, plus simple à mettre en place, qui ferait partie de l’aménagement du site de Taputapuātea.
« Une rareté »
Pour essayer de retrouver les pièces exportées, il est possible de faire des recherches dans les archives du Gouverneur. « Certaines pièces ont été autorisées à sortir à l’époque des gouverneurs et cela a fait l’objet de déclarations », explique Francis Stein. Remettre la main sur ces déclarations, c’est commencer à retrouver la trace du passé. Fouiller ces archives est un travail énorme qui prendra beaucoup de temps. En parallèle, Internet permet de belles découvertes, comme celle de cette possible effigie de divinité marine raromatai, et plus certainement d’un « pūna i’a » (qui engendre / multiplie le poisson), comme le nomment les Polynésiens. Il s’agit d’objets magiques taillés dans la pierre, le corail ou parfois le bois et qui ont le pouvoir d’attirer en grand nombre l’être représenté par son créateur, qu’il s’agisse d’un type de poisson, d’oiseau, d’un cochon, etc., comme de le faire totalement disparaître.
C’est Eugène Caillot (1866-1938) qui l’a rapportée en France. Cet historien, voyageur et compositeur français, est parti en tour du monde en 1899. Ses pas l’ont mené à Tahiti, aux Tuamotu et aux Marquises. Il a publié ses premiers ouvrages sur la Polynésie. Il est retourné dans le Pacifique en 1912 où il est resté un an. Il y a mené des recherches et collecté du matériel ethnographique, dont la fameuse pierre représentant, d’après lui, le « dieu requin ». Ses collections, conservées au musée de l’Homme, sont aujourd’hui au musée du Quai Branly. Eugène Caillot a raconté comment il a collecté cette sculpture zoomorphe dans son ouvrage Les Polynésiens orientaux au contact de la civilisation : « Après bien des recherches, je suis parvenu à me procurer l’un de ces dieux-poissons, un requin en pierre qui est une des raretés de ma collection d’antiquités polynésiennes. Les indigènes voulurent le voir ; je le leur montrai ; ils le regardèrent avec une crainte superstitieuse et refusèrent de le toucher ; quelques-uns prétendirent que c’était pour ne pas déplaire au nouveau Dieu, celui de la Bible ; la masse ne donna aucune explication et ne tarda pas à se retirer. »
Convaincre les familles polynésiennes de partager leurs trésors
Cette histoire, Francis Stein aimerait la mettre en valeur, que le patrimoine polynésien revienne, pour un temps au moins, en Polynésie française. Pourquoi ne pas convaincre les musées de prêter ces pièces à la Polynésie ? L’idée est aussi d’inciter des familles polynésiennes qui conservent des pièces historiques importantes, à les faire expertiser et à les prêter pour une exposition. « Je lance un appel à la population pour que les Polynésiens partagent leurs découvertes avec le public. Nous voulons valoriser les pièces mais aussi les familles qui les ont conservées. » Aujourd’hui les collections et les sites historiques et culturels sont protégés : il est interdit d’importer ou d’emporter quoi que ce soit, car cela touche à l’intégrité du site. Retrouver des sculptures, des pierres, toutes sortes d’artefacts, présents autrefois sur le site Taputapuātea, permet d’en apprendre encore un peu plus sur l’histoire de notre fenua et de ses communautés de populations. La photo de cette pierre « dieu requin », retrouvée par hasard sur le Net, est un trésor parmi tant d’autres qui restent à découvrir. Des objets de culte devenus aujourd’hui des objets de musée, qui pourraient, un jour, revenir sur le lieu de leurs origines.
Description d’Eugène Caillot sur le « dieu requin » :
« Les Polynésiens avaient aussi des dieux-poissons, le poisson étant leur principale nourriture. Un vieux sorcier m’a raconté que les indigènes transportaient en cérémonie ces dieux au bord de la mer, et qu’alors chaque espèce de poisson s’approchait de son dieu, ce qui permettait de faire des pêches abondantes ! Les plus vénérés de ces dieux-poissons étaient le requin et le thon. »
Légendes
1 – Le paysage de Taputapuātea vu depuis la mer en 1822.
2 – Nouvelle photo du requin faite en 2012 (©Citron/CCBY_SA3.0).
3 – La lithographie du grand marae d’Opoa faite par Edward T. Perkins, Heathen Relics, Opoa, 1854.