N°133 – Welcome to Tahiti : premier Festival international du tifaifai
Service de l’artisanat traditionnel (Art) – Pu ohipa rima’i
Rencontre avec Jerry Biret, organisateur du premier Festival international du tifaifai. Texte : Lucie Rabréaud.
Le tifaifai, c’est l’art de prendre son temps, de raconter une histoire, celle de sa famille, celle de son pays… Le tifaifai est une œuvre d’art dont les savoir-faire se perdent, dont certaines techniques et motifs ont été oubliés. Le premier festival international qui lui est consacré veut lui redonner la place qu’il mérite.
Jerry Biret a de qui tenir : sa mère, Virginie Biret, est une des plus grandes créatrices de tifaifai et une référence dans cet art délicat. Quand elle lui a demandé d’organiser un festival sur le tifaifai, il a tout de suite accepté. Ce premier festival international, qui aura lieu les 12, 13 et 14 octobre à la mairie de Punaauia, sera organisé en plusieurs parties. Une première exposition se tiendra dans le hall de la mairie où cinq artistes exposeront leurs plus belles étoffes, en rouge et blanc. « J’ai choisi les couleurs de Tahiti car ce premier festival s’intitule Welcome to Tahiti. » Dans la salle du conseil municipal, des tifaifai très anciens, prêtés par des familles qui les conservent depuis plusieurs générations, seront exposés pour la première fois. L’entrée de cette salle sera payante et les photos et vidéos interdites ; ces trésors ne se contemplent qu’avec les yeux. Enfin, à l’étage de la mairie, des ateliers et des démonstrations inviteront les visiteurs à prendre fil et aiguille et s’essayer à l’art de la couture. « Les objectifs de ce festival sont de mettre en avant les savoir-faire qui se perdent et de donner de l’importance au tifaifai, qu’il soit considéré comme un produit international », explique Jerry Biret.
C’est lors d’un déplacement au Canada que Jerry Biret réalise le rayonnement que pourrait prendre le tifaifai. « Je me suis aperçu qu’à l’étranger, il existe une grande diversité de ce qu’on appelle les quilts*, de la Russie aux pays africains, en passant par le Canada. En 2010, nous avons été invités à un festival sur le quilt organisé dans une petite ville s’appelant London. Là-bas, les vieilles bâtisses sont conservées et il est possible de pénétrer à l’intérieur de ces vielles maisons où des quilts extraordinaires sont exposés. Tous racontent des histoires. L’organisateur de ce festival fait des conférences tout au long de l’année sur le quilt : son histoire, sa fabrication, etc. Il faut que le tifaifai soit considéré comme un produit international et non plus comme un produit purement polynésien et local. » L’idée était aussi de faire venir des visiteurs et des artisans à Tahiti. Les déplacements des artisans polynésiens à l’étranger permettent de partager les savoir-faire, mais les produits des ventes sont souvent dépensés sur place pour rapporter des souvenirs et des cadeaux au fenua. Les artisans reviennent donc sans argent. Pourquoi ne pas inverser la tendance et amener le public à Tahiti ?
L’art de prendre son temps
Jerry Biret souhaite aussi faire vivre cet art ancien du tifaifai. « Les savoir-faire se perdent, je le vois au quotidien dans ma propre famille. Ma mère a du mal à trouver quelqu’un qui puisse prendre sa suite. Elle a 79 ans et possède des modèles qui remontent à sa grand-mère. Ces modèles vont rester dans la famille mais aucun de ses enfants ne sait coudre, bâtir, ils vont donc tomber dans l’oubli. Nous sommes 13 enfants mais pas un seul n’a repris le flambeau. » Virginie Biret a vécu du tifaifai et a élevé ses enfants grâce à l’argent que lui rapportait cet art. « Bien sûr, on ne vend pas des tifaifai tous les jours. Il est possible d’en vivre, mais c’est une vie d’artiste. Il faut bâtir le tifaifai, savoir jouer avec le temps, savoir économiser. Une fois le tifaifai vendu, il faut payer toutes les dettes accumulées. Ce n’est pas une vie facile et je comprends que les jeunes d’aujourd’hui n’arrivent pas à vivre de cette façon-là. » Le tifaifai c’est l’art de prendre son temps, de vivre autrement qu’au rythme auquel le monde moderne nous entraîne. « Aujourd’hui on fait dans le jetable, dans la précipitation. Avec les tifaifai, c’est l’inverse. »
Dans la salle du conseil municipal, ce temps défilera devant nos yeux. Des anciens tifaifai aux plus récents, une rétrospective mettra en avant les évolutions des techniques, des couleurs, des motifs. Parmi les trésors exposés, quatre tifaifai estimés centenaires prêtés par une famille polynésienne. Ces tifaifai n’ont été exposés que deux fois et au sein de la famille, ils seront donc présentés au public pour la première fois. Ces trésors font partie de l’héritage familial et le choix a été fait de ne pas les répartir entre frères et sœurs. C’est l’aînée qui les conserve ensemble. Jerry Biret possède lui-même plusieurs tifaifai dont un qui lui est particulièrement cher : « C’est un tifaifai tout simple, blanc, sur lequel une Wallisienne a réalisé des broderies. Il y a le nom de mon père et le mien, car on le lui a offert au moment de ma naissance. C’est quelque chose que je garde précieusement. Ça fait partie de mon histoire. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de mon père, qui est décédé quand j’étais jeune. Le tifaifai n’est pas un simple tissu, cela représente énormément de choses pour les familles : derrière ça, c’est l’histoire de leur mère, de leur grand-mère… Ce n’est pas du folklore, ça vient du fond du cœur. »
*Quilt : couvre-lit.
- Festival international du tifaifai, à la mairie de Punaauia, les 12, 13 et 14 octobre.
Oser prendre l’aiguille et le fil !
Pendant le Festival international du tifaifai, il sera possible de participer aux premières étapes de fabrication d’un tifaifai. Les visiteurs pourront venir avec leurs tissus, s’inspirer des modèles qui seront proposés sur place, bâtir le tifaifai et repartir avec un tifaifai à coudre. Jerry Biret veut « inviter les gens à s’y mettre ».
« Quand j’étais gamin, il n’y avait pas de meubles dans le salon de ma mère. J’habitais un petit village en Nouvelle-Calédonie et tous les après-midi, les femmes du village venaient avec des tissus. Elles dessinaient le modèle, elles cousaient la bordure et préparaient le tifaifai. Il était ensuite posé à même le sol et toutes les femmes bâtissaient le tifaifai, on dit en tahitien tamaumau i te tifaifai. Elles discutaient de tout et de rien… Et elles repartaient avec un tifaifai à coudre. »
Les visiteurs doivent aussi comprendre tout le processus de création et de fabrication pour donner de la valeur à cet objet. « J’espère qu’avec ce festival les gens vont prendre conscience que les tifaifai et les objets d’art réalisés par nos artisans ne sont pas de simples objets de consommation courante. Derrière ces objets il y a une histoire : celle des artisans. »
Le salon du tifaifai consacré à la tiare tahiti
La 20e édition du salon du tifaifai, organisée par l’association Te api nui o te tifaifai, va se dérouler du 8 au 17 octobre, à la mairie de Papeete. Cette année, le concours du plus beau tifaifai a pour thème la tiare tahiti en création. L’année dernière, Angelina Teave avait remporté le premier prix sur le thème du maire (une espèce de fougère que l’on trouve dans les vallées) en reproduction. Chaque année, le thème change et l’objectif également : créer ou reproduire les anciens motifs. Une vingtaine d’artisans, dont certains viennent des îles, seront présents pour exposer leurs plus belles productions. Le concours est organisé pour les inciter à produire et à bâtir les plus belles étoffes. Les visiteurs pourront également assister à des démonstrations de montage de tifaifai, de couture et ils pourront, pourquoi pas, mettre la main à la pâte lors d’ateliers. Ce salon, uniquement consacré au tifaifai, est important pour les artisans. Il permet de mettre en valeur cet art si spécial et fait écho au festival international organisé la même semaine.
- Salon du tifaifai, du 8 au 17 octobre, à la mairie de Papeete.