N°133 – Ana’ite s’enrichit de dizaines de documents inédits sur internet
Service du patrimoine archivistique et audiovisuel (SPAA) – Te piha faufa’a tupuna
Rencontre avec Jean-Michel Garrigues, chef du Service du patrimoine archivistique et audiovisuel, et Jacques Vernaudon, maître de conférences en linguistique à l’université de la Polynésie française. Texte : Élodie Largenton.
Il est désormais possible de plonger au cœur du Papeete du début du XXe siècle, de découvrir la société tahitienne du milieu du XIXe siècle ou encore d’observer les évolutions du reo tahiti sans bouger de chez soi, grâce à la bibliothèque numérique Ana’ite. Cent cartes postales et des dizaines de numéros d’anciens journaux écrits en tahitien ont récemment été ajoutés au catalogue en ligne.
Ce sont « trois belles acquisitions » pour la bibliothèque numérique Ana’ite, comme le souligne Jacques Vernaudon, maître de conférences en linguistique à l’université de la Polynésie française (UPF) : cent cartes postales, trois nouvelles revues en tahitien, et un ensemble de courriers et de notes de consuls américains datant du XIXe siècle.
Il y avait déjà deux cents cartes postales disponibles sur le site, il y en a donc désormais trois cents. Les nouvelles concernent principalement la ville de Papeete. On peut se rendre compte des « très importantes transformations » qu’a subies la capitale au cours du siècle dernier, explique Jacques Vernaudon. Sur certaines cartes, on voit ainsi le quai du commerce, la rade, ou encore le quai de l’Uranie sous un tout autre jour. Parfois, il semble que seuls les arbres ont survécu au temps. On peut aussi observer la manière dont les gens s’habillaient à l’époque, et noter que les flancs de collines étaient encore vierges d’habitations. « La comparaison avec aujourd’hui est intéressante, cela permet de visualiser l’impact qu’ont eu les bouleversements sociaux et économiques sur la ville », précise le professeur. Ces cartes postales font partie d’un lot du Service du patrimoine archivistique et audiovisuel (SPAA), libre de droits. Cela signifie qu’il s’agit d’œuvres tombées dans le domaine public, dont l’auteur est décédé il y a plus de 70 ans. Parfois, le photographe n’est pas connu, le SPAA et l’UPF font l’hypothèse que l’œuvre est libre de droit, tout en restant évidemment ouverts à d’éventuels recours : « C’est aussi l’objet de notre démarche, on veut diffuser les connaissances et les rendre accessibles au plus grand nombre et si quelqu’un se manifeste, cela nous permettra d’identifier le photographe. » Il faut préciser que les partenaires d’Ana’ite n’ont pas les moyens d’acquérir les droits des documents diffusés. Le budget est consacré au travail de description des items, qui est long et souvent compliqué. Pour les cartes postales, on ne connaît en général pas le nom de l’auteur du cliché, mais seulement celui de l’éditeur – souvent Georges Spitz ou Eugène Hänni dans le cas des cartes postales de Papeete. La date indiquée n’est donc qu’une estimation réalisée à partir du timbre, de l’estampillage. Ce travail bénéficie aux chercheurs et au grand public qui consultent la bibliothèque numérique, mais aussi au SPAA : « Tout ce que l’université apporte comme métadonnées nous est renvoyé », précise le chef du service, Jean-Michel Garrigues.
Les journaux du XIXe, une mine pour les linguistes
Autres avantages pour les archives : cela valorise les fonds et pousse parfois à améliorer les copies déjà réalisées dans le passé. C’est le cas de l’hebdomadaire Vea no Tahiti, premier journal en langue tahitienne sous l’administration française, paru de 1851 à 1859. Les 345 numéros publiés ont été numérisés dans les années 1980, mais dans un format jugé insuffisant aujourd’hui. Une soixantaine de numéros ont donc été renumérisés pour offrir des documents de bonne qualité aux utilisateurs du site. Le défi est désormais de permettre la retranscription et donc les recherches plein texte. Les Vea no Tahiti représentent un corpus très intéressant pour les linguistes, puisqu’ils permettent d’avoir un recul de plus d’un siècle et demi sur l’écriture du tahitien. « Pour une langue océanienne, c’est assez remarquable, c’est la première langue à avoir été écrite dans la région », souligne Jacques Vernaudon. Ce journal était un moyen pour l’administration coloniale française de communiquer avec ses nouveaux administrés. Les articles étaient pour la plupart rédigés par des fils de missionnaires ou par des « demis ». Cet hebdomadaire conservé par le SPAA n’est pas le seul à rejoindre la bibliothèque numérique. Te Vea Maohi, mensuel créé par le gouverneur Bouge, paru de 1937 à 1941, et Torea, mensuel privé d’informations générales et locales, paru de 1937 à 1939, permettent aussi d’observer les transformations orthographiques, lexicales et grammaticales de la langue tahitienne. Ils témoignent en outre de la vie de la colonie et de la manière dont l’administration coloniale légitimait son implantation auprès des populations autochtones.
Un autre regard, américain celui-là, sur la vie coloniale locale sera bientôt proposé en ligne : l’Administration américaine des archives et des documents a attiré l’attention de l’UPF sur la disponibilité d’un ensemble de notes et courriers des consuls américains en poste à Tahiti entre 1836 et 1906. Tous ces documents répondent à la mission première d’Ana’ite, comme le rappelle Jean-Michel Garrigues : « Rendre accessible tout ce qui touche à la Polynésie française et qu’on ne peut pas trouver ailleurs. »
Départ de Vincent Deyris, l’un des concepteurs du site Ana’ite
La nouvelle direction de la bibliothèque universitaire, choisie notamment pour ses connaissances en matière de développement des ressources numériques et du logiciel Omeka, travaillera elle aussi à l’enrichissement de Ana’ite avec le concours du SPAA.
Retrouvez ces cartes postales, journaux et autres trésors sur la bibliothèque numérique Ana’ite http://anaite.upf.pf