N°133 – À la découverte de la collection de cannes à sucre du musée
Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Te Fare Manaha
Rencontre avec Romane Beauté, étudiante à AgroParisTech – Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement, en stage à Tahiti auprès de Marotea Vitrac, qui réalise une thèse sur les cannes à sucre. Texte et photos : Élodie Largenton.
On l’ignore souvent, mais il y a une grande diversité de cannes à sucre. La plus belle collection du fenua est à voir au musée de Tahiti et des îles : en tout, seize espèces différentes sont visibles à l’entrée et dans le jardin.
Lors des Journées du patrimoine, mi-septembre, les diverses cannes à sucre du musée ont été présentées au grand public. Certains enfants avaient déjà eu la chance de découvrir cette collection lors d’ateliers de vacances menés par l’association des amis du musée. « Les élèves sont souvent étonnés de voir que ça ressemble beaucoup au bambou. Je leur explique alors que c’est normal, parce qu’ils sont de la même famille, mais on ne va pas manger du bambou, ce n’est pas du tout sucré », raconte Romane Beauté, qui vient de terminer un stage de six mois à Tahiti en tant qu’assistante ingénieure, chargée notamment d’étudier les méthodes d’extraction du jus de la canne à sucre. Elle a vécu cinq ans aux Antilles quand elle était petite et se souvient de balades dans les champs de cannes à sucre, mais elle n’a vraiment découvert la plante et ses caractéristiques qu’à Tahiti, lorsqu’elle s’est réellement penchée sur le sujet.
La première chose que l’on découvre généralement, c’est qu’il y a une grande diversité de cannes à sucre. Il y a des tailles différentes, des couleurs et des manières de pousser différentes. Une diversité que l’on peut observer au musée, sur le côté droit de l’entrée du bâtiment principal et dans le jardin, après le patio. « Au total, pour le moment, il y a quatorze espèces qui ont été répertoriées et deux sauvages, qui sont plus l’ancêtre de la plante que de la canne à sucre à proprement parler », précise Romane Beauté. Certaines de ses espèces étaient déjà plantées au musée, d’autres ont été repérées dans des jardins de particuliers ou sur le bord des routes par Marotea Vitrac, qui les a ensuite léguées au musée. Il prépare actuellement une thèse sur les caractéristiques des cannes à sucre et il souhaitait partager son travail avec le plus grand nombre. La collection complète a été finalisée il y a quelques semaines et les jardiniers du musée en prennent grand soin.
Des cannes o tahitensis
On peut donc désormais apprécier les différences entre les plantes : « Sur une canne, ce qu’on appelle les nœuds, ce sont les bandes qui vont avoir souvent un anneau clair en-dessous, où il y a le bourgeon – le nœud, et entre les deux, on parle d’entre-nœud. À l’entrée du
musée, par exemple, il y a deux cannes qui sont côte à côte et sur l’une, les entre-nœuds mesurent 2 à 3 cm, alors que sur l’autre, ils font plus de 10 cm. C’est un des critères qui permet d’identifier les cannes », explique Romane Beauté. Beaucoup gardent encore leur mystère. On sait que Louis-Antoine de Bougainville a importé la Batavia, mais on ignore la provenance de la plupart des cannes. On ne sait pas non plus combien d’espèces existent à Tahiti. « Il y a encore beaucoup de travail à faire sur l’identification. Avec la génétique, on peut retrouver certains liens de parenté, mais ce n’est pas non plus tout blanc tout noir, il faut aussi compléter avec un travail d’archives », indique Romane Beauté. Même si la canne n’a pas encore livré tous ses secrets, « il y a certainement des cannes endémiques de Tahiti, o tahitensis comme on dit, comme pour la vanille ». On sait aussi que toutes les cannes identifiées permettent de produire du jus, mais de manière inégale. Il y a les cannes nobles et les cannes hybrides : les nobles, ce sont celles qui dérivent des cannes sauvages et qui ont été sélectionnées au fil du temps par l’homme parce qu’elles produisaient un jus sucré et doux en bouche. À partir du XIXe siècle, les recherches ont été plus poussées et des croisements ont été opérés entre différentes cannes pour donner naissance aux hybrides, de grosses cannes qui montent très haut, qui sont très droites, et surtout qui font beaucoup de jus. Ces dernières sont prisées par l’industrie sucrière.
Développer la culture des cannes à sucre
Les deux types sont présents à Tahiti, où on utilise la canne plutôt pour ses vertus médicinales : « Les gens ont souvent quelques cannes au fond du jardin, dont ils se servent pour faire des décoctions, des préparations… Au musée, il y a des visiteurs qui m’ont dit ‘ah oui, je la connais cette canne-là, ma grand-mère ou moi-même, l’utilise pour les sirops !’ » raconte Romane Beauté. Son maître de stage, Marotea Vitrac, aimerait étendre la culture et l’utilisation de ces cannes. Aujourd’hui, il n’existe pas vraiment d’itinéraire technique pour les agriculteurs. Le chercheur essaie donc de déterminer « les paramètres les plus importants sur lesquels on peut avoir une influence », rapporte Romane Beauté. Il s’agit aussi de lutter contre les bioagresseurs, et en particulier les rats. « On sait que les cannes n’atteignent pas toutes la même maturité au même moment, donc il pourrait être intéressant de mettre des cannes qui sont très vite matures sur le bord des champs, comme ça les rats viendront les manger et on pourra cultiver celles qui nous intéressent à l’intérieur de la parcelle », expose l’assistante ingénieure. Cela implique d’abord de poursuivre le travail d’identification des cannes. Celles qui ont déjà été répertoriées et plantées au musée seront bientôt identifiables par tous : des panneaux vont être installés avec le nom tahitien, le nom scientifique et le nom commun de chacune. Des cartels plus spécifiques préciseront s’il s’agit de cannes nobles ou de cannes hybrides. Et plus tard, on pourra peut-être goûter du jus de canne du musée de Tahiti et des îles !
+ d’infos : www.museetahiti.pf, page facebook Musée de Tahiti et des îles – Te Fare Manaha, 40 54 84 35.