N°132 – L’artisanat polynésien à la rencontre de ses fans japonais
Service de l’artisanat traditionnel (Art) – Pu ohipa rima’i
Rencontre avec deux entrepreneures artisanes – Moeata Tahiri, gérante de Artisanat
fenua iti Takapoto, et Iaera Tefaafana -, et Florian Leclercq, chargé de mission export international à la CCISM. Texte : Élodie Largenton.
Des paniers en pandanus, des bijoux en coquillages et en nacre, ou encore des robes en pareu… Cette année encore, les artisans polynésiens vont montrer l’étendue de leur savoir-faire et de leur créativité au salon Tahiti Festa, à Tokyo, au Japon, du 15 au 17 septembre inclus. Tout est pensé pour satisfaire une clientèle japonaise friande de culture polynésienne, sans oublier de se faire plaisir.
Iaera Tefaafana et Moeata Tahiri sont désormais des habituées de ce rendez-vous annuel, organisé par la société Tahiti Promotion dans un centre commercial de Tokyo. « C’est ma 5e participation ! raconte Iaera, artisane des Australes. J’aime beaucoup l’organisation du salon, malgré le coût du projet. On est bien pris en charge de notre arrivée jusqu’à notre retour. » « On a juste à suivre le mouvement, confirme Moeata, artisane originaire des Tuamotu, qui prend part à la manifestation pour la troisième fois. Un guide qui parle français nous accompagne pendant toute la durée du séjour, c’est important d’être bien reçu sur place. » Malgré cela, l’investissement personnel et financier est important. « Ça représente beaucoup de travail, mais ce n’est qu’une fois par an », relativise Moeata. Il faut d’abord produire suffisamment. Pour cela, Iaera prépare ses créations en amont, à Rimatara et à Papeete, et elle embauche deux personnes pour l’aider à constituer son stock. Ensuite, il s’agit de faire les démarches nécessaires à l’envoi des produits au Japon. Il n’y a heureusement pas de restrictions phytosanitaires, mais il faut tout de même compléter un dossier pour la douane. Sur ce point, les artisans sont accompagnés par le Service de l’artisanat traditionnel et, cette année, par la CCISM. Moeata et Iaera sont confrontées à deux problèmes différents : pour l’une, c’est le poids des colliers en coquillage qu’il faut surveiller, pour l’autre c’est le volume des paniers et des chapeaux en pandanus, en purau et en kere auquel il faut faire attention. Avant d’arriver à Tokyo, il faut aussi avoir déterminé le prix de chaque produit et avoir transmis l’information à un interprète, qui se charge de faire la conversion en yen. « Quand on arrive, on nous donne nos étiquettes avec le prix et une signature. Les Japonais ne négocient pas, le prix ne change pas du début à la fin du salon et ce n’est pas nous qui encaissons, il y a un guichet spécial pour ça », raconte Moeata.
« Les Japonais sont avides de savoir comment on confectionne les paniers, les bijoux… »
Les subtilités du marché japonais, Iaera et Moeata les connaissent bien. Elles savent aussi quels types de produits attirent le plus la clientèle de Tahiti Festa. « Les Japonais aiment beaucoup les fibres et les robes en pareu, la bijouterie d’art aussi », souligne Moeata. Cette année, elle a décidé de faire plus de pièces en nacre et voudrait promouvoir les produits des Tuamotu réalisés en kere (fibres de cocotier). Pour Iaera, il s’agit de mettre en valeur la vannerie de l’île de Rimatara et de convaincre la clientèle qui ne pratique pas le ‘ori tahiti. Les artisanes ont cette volonté de partager et de promouvoir la culture polynésienne. Durant le salon, elles donnent d’ailleurs des ateliers payants, ce qui leur permet aussi de rentabiliser leur déplacement. Ces rendez-vous ont toujours beaucoup de succès, « les Japonais sont avides de savoir comment on confectionne les paniers, les bijoux… ils adorent ça », rapporte Florian Leclercq, de la CCISM. Si les artisanes jouent le jeu avec plaisir, elles restent prudentes : « Je leur apprends à faire des tresses uniquement à quatre taramaha, je préserve mon savoir-faire », précise ainsi Iaera. « C’est fascinant de voir comment ils s’intègrent dans notre culture, jusqu’à reproduire parfois nos créations », raconte Moeata. Cet échange culturel fait partie des raisons qui la poussent à retourner à Tokyo : « C’est un pays que j’aime beaucoup, et même si c’est du travail, ça me permet de changer d’air et de côtoyer d’autres personnes. » Pour Iaera aussi, c’est l’occasion de prendre « un peu de vacances et de visiter le Japon ». La pause s’impose d’elle-même, puisqu’en raison du calendrier de vols, les artisans doivent rester deux semaines sur place pour trois jours de salon.
Les artisanes ont donc trouvé l’équilibre entre travail et plaisir et elles n’envisagent pas d’exporter des produits à l’année au Japon, pour le moment. « J’ai déjà du mal à faire mon stock ! » souligne Moeata. Un problème déjà identifié par la CCISM : « L’artisanat, c’est particulier, parce que souvent, on demande une récurrence dans les volumes et il faut que tous les produits soient identiques, ce qui est très compliqué dans l’artisanat et ce qui fait sa beauté. Après, on peut avoir un distributeur spécialisé dans les produits polynésiens, qui peut entendre cela et passer des commandes récurrentes de produits non similaires pour les groupes de danses, par exemple », fait remarquer Florian Leclercq. Mais pour l’instant, Iaera et Moeata sont heureuses d’avoir leur parenthèse japonaise annuelle.
Un soutien spécial pour les artisans patentés
Le service de l’artisanat traditionnel accompagne depuis 2015 les artisans à cette manifestation. Cette année, la CCISM vient en appui en soutenant les artisans patentés ou qui ont une entreprise enregistrée. La chambre de commerce prend en charge l’inscription au salon Tahiti Festa ainsi que le coût du stand. Les frais d’avion, d’hébergement et de bouche restent à la charge des artisans.
Pour bénéficier de ce soutien logistique et matériel, il faut donc d’abord s’être professionnalisé. La CCISM a ensuite choisi de privilégier les entreprises « les mieux préparées pour le marché japonais, celles dont les produits correspondent bien à la cible que l’on rencontre sur le salon », explique Florian Leclercq. Moeata Tahiri et Iaera Tefaafana ont vite été retenues, « toutes les deux participent à Tahiti Festa depuis des années et elles rencontrent parfaitement leur cible lors du salon, elles savent comment ça marche au niveau des douanes, au niveau de la logistique, elles savent aussi fixer des prix, ce qui est important », souligne le chargé de mission export international de la CCISM.
Cet accompagnement est apprécié des artisanes qui y voient un avantage supplémentaire à avoir pris une patente. « Dès que je me suis lancée, en 2010, j’ai fait ce choix de ne dépendre de personne, raconte Moeata Tahiri. Je suis honnête avec ce que je fais, j’aime la vente, et puis grâce à cela, j’ai pu embaucher quelqu’un en CAE (contrat d’accès à l’emploi) il y a deux ans. L’avantage, aussi, c’est que le service de l’artisanat et la CCISM font appel à moi pour donner des formations. »
Pratique
Tahiti Festa
Du 15 au 17 septembre 2018
Au centre commercial Vénus Fort, à Tokyo.
+ d’infos : Service de l’artisanat traditionnel
40 54 54 00 – [email protected] – www.artisanat.pf