N°131 – Le plus beau costume végétal, un symbole du lien entre l’homme et sa terre

Maison de la culture (TFTN) – Te fare tauhiti nuiPhotos Heiva - ORI I TAHITI 3- 1er prix HURA TAU

 

Rencontre avec Teraurii Piritua, chef de la troupe ‘Ori i Tahiti. Texte : Lucie Rabréaud.

 

 

La troupe ‘Ori i Tahiti a reçu le grand prix Madeleine Moua au Heiva i Tahiti et a également été primée pour le plus beau costume végétal. Un ensemble de auti tressé, surmonté de tiare Tahiti qui a marqué les yeux et le cœur.

 

 

Dix belles rangées de danseuses et de danseurs sont alignées sur la place To’ata, sous la lumière tamisée. Le public devine l’éclat des couleurs et la splendeur du costume choisi pour ce dernier tableau du spectacle de ‘Ori i Tahiti au Heiva. Puis la lumière se fait et tout se révèle : le vert luisant des auti tressés, la blancheur nacrée des tiare Tahiti, le jaune tendre de l’oiseau de paradis. ‘Ori i Tahiti a reçu le prix du plus beau costume végétal pour cet ensemble. Une grande satisfaction pour Teraurii Piritua qui avait pour objectif de remporter ce prix. Il a mis deux ans à préparer son spectacle et plusieurs mois à confectionner le costume végétal. Pas de dessins, il a déjà son idée en tête. Il va travailler directement avec le feuillage jusqu’à ce qu’il parvienne à la forme exacte qu’il souhaite. « J’ai fait une première ébauche, défait, refait, défait, refait… Parfois il fallait lâcher, laisser reposer et refaire à nouveau. Il y a eu au moins sept costumes avant d’arriver à celui-ci. Je l’avais en tête depuis le début de l’année et j’ai dû commencer à le fabriquer un mois avant le Heiva », raconte-t-il. Quand a-t-il fini ? « Le jour même ! » éclate-t-il de rire. Pour faire un Heiva, il faut savoir gérer son stress…

Tout dans ce costume a une signification. Il n’a pas été confectionné au hasard des fleurs et des feuilles. Pour ce dernier tableau appelé « Ma’ohi iti e » qu’on peut traduire par « Mon très cher Ma’ohi », il fallait parler de la terre, de la nature, du lien du Polynésien avec elles. « Ce tableau est une déclamation : le Ma’ohi a une terre, il a une passe, un lieu de rassemblement, une montagne… Il fallait que mes danseurs portent le costume végétal sur ce tableau car nous parlions du lien avec la terre. » Pour le symboliser, Teraurii a utilisé le tressage du auti. « Le Ma’ohi ne peut pas être séparé de sa terre, tous deux sont étroitement liés, d’où le tressage. » La graine qui va bientôt germer, métaphore du Polynésien qui naît puis grandit, est représentée par le nahe. Ces fougères, encore jeunes, sont enroulées sur elles-mêmes. Ces « escargots » comme les appelaient les danseuses et les danseurs, étaient posés sur la ceinture de la jupe et sur la coiffe au niveau de la couronne de tête. La tiare Tahiti, par sa blancheur nacrée, raconte l’éclosion du Polynésien. L’oiseau de paradis de couleur jaune, de chaque côté de la coiffe, symbolise la jeunesse. « Jaune en tahitien se dit rearea et jeunesse taure’are’a, l’oiseau de paradis jaune symbolisait donc la jeunesse », explique Teraurii. Ce costume raconte l’histoire du Ma’ohi : « La terre voit son enfant naître, grandir et mourir. »

« Le plastron a beaucoup marqué les esprits »

Les danseuses et les danseurs ont tous dû apprendre à tresser comme Teraurii. « Je voulais qu’ils fassent exactement comme moi. Il ne fallait pas tresser n’importe comment. » Sa petite équipe a également servi de modèle : il fallait « tester » ce costume sur la chorégraphie. « Dans la confection d’un costume, tu as des limites : la posture, les pas, il doit s’adapter à la danse. » Le plus dur étant la coiffe : que celle-ci soit suffisamment belle et grandiose pour épater le public et qu’elle tienne fermement sur la tête des artistes. Les auti, les tiare et les oiseaux de paradis jaunes viennent tous des horticulteurs de Tahiti. « Tout le monde a les mêmes variétés de fleurs et de plantes, cela facilite le travail mais ça demande un investissement financier de chacun. » La semaine précédent la représentation sur To’ata, la troupe s’est réunie dans une salle de sport pour la confection des 108 costumes végétaux nécessaires au spectacle. Le montage de la coiffe s’est fait la veille et certains tiare Tahiti étaient posés le jour même du spectacle. « Je voulais que le public fasse ‘ouaaah’ ! Je sais que le plastron a beaucoup marqué les esprits, certains ont dit que c’était digne de la haute couture. » Ce costume était aussi original par son dénuement : le plastron de tressage couvrait la poitrine nue des danseuses et les tressages de auti dévoilaient leurs longues jambes. « J’ai tendance à dénuder mes danseuses et mes danseurs ! C’est l’occasion de montrer la beauté de la femme. La pudeur n’existe pas et puis ils sont tellement beaux ces artistes. »

Teraurii a une pensée pour Freddy Fagu : « C’est lui qui m’a appris les techniques, c’est-à-dire comment mettre en réalisation ce qu’on a dans la tête, les images, les formes, le rendu… Si j’en suis arrivé là, c’est grâce à lui. Il est une source d’inspiration. » L’équipe qui l’entoure, la nature, la danse, sont aussi ses sources d’inspiration. Mais surtout il veut réussir à faire passer son message : faire prendre conscience à la jeunesse que l’être ma’ohi est inséparable de son fenua. « Cette terre nous a tout donné, que peut-on lui offrir en retour ? La terre et la langue ne cessent de nous appeler et pourtant, on s’éloigne. » Ce costume végétal qui demande tant de travail, montre la beauté de la nature, celle des corps et le talent des artistes polynésiens. Une œuvre d’art éphémère qui peu à peu se fanera et disparaîtra : « C’est dans la nature des choses. Il restera dans la tête et dans le cœur », explique Teraurii avec un sourire.

 

 

La danse des costumes

Près de 80 costumes du Heiva sont présentés au Musée de Tahiti et des îles depuis le 26 juin dernier. L’exposition retrace l’histoire de la confection des costumes et plus largement celle de la Polynésie française avec l’utilisation de certains matériaux ou des techniques de confection qui se modifient ou encore des costumes qui découvrent de plus en plus les corps. L’occasion de découvrir de près les détails, les astuces créatives, les bizarreries aussi de ces œuvres d’art. Le public peut également admirer le style de chacun des créateurs avec une organisation par groupe de danse. Ces grands costumes représentent des heures de travail pour quelques minutes de spectacle…

Pratique

Du mardi au dimanche de 9h à 17h

Des visites guidées sont organisées avec Manouche Lehartel (se renseigner auprès du musée pour les dates).

Tarifs : 800 Fcfp pour l’exposition ou 1 000Fcfp « all access » (salle d’exposition temporaire et collections du musée). Entrée libre pour les étudiants et les moins de 18 ans.

www.museetahiti.pf

 

 

 

 

 

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