N°131 – Dix questions à Teraurii Piritua & Mirose Paia
« La langue ne cesse de nous appeler »
Cinq questions à Teraurii Piritua, chef de la troupe ‘Ori i Tahiti
Ori i Tahiti a reçu le grand prix en Hura tau au Heiva i Tahiti 2018. Une « consécration » pour Teraurii Piritua, le chef de la troupe.
‘Ori i Tahiti a remporté pas moins de neuf prix à ce Heiva (plus beau costume végétal, deuxième prix meilleur orchestre création, meilleur danseur, prix spéciaux meilleurs compositeurs, meilleur ra’atira ti’ati’a, meilleur aparima, meilleur pa’o’a hivinau), dont le grand prix Madeleine Moua. Quel est votre sentiment ?
C’est la consécration. Avant tout je voudrais dédier ce prix à tous les groupes de danse, qu’ils aient gagné ou pas. Ce Heiva a montré que les groupes de danse avaient une richesse. C’est merveilleux et magique ! Je suis heureux pour toutes les personnes qui nous ont suivi depuis le début,
toute l’équipe derrière qui a préparé ce Heiva depuis des mois. Je suis satisfait du travail que nous avons fait.
Qu’est-ce qui a fait la différence selon vous ?
Je n’ai pas la réponse… Je pense que l’union au sein de ‘Ori i Tahiti a eu son importance, ce partage, les émotions que nous avons réussi à transmettre au jury, à la population… Nous avons aussi beaucoup travaillé la mise en scène, l‘expression, la tonalité, l’accentuation des mots. Nous voulions réussir à faire passer les émotions. Et aussi que ce soit un spectacle compréhensible : c’est du travail. Cela fait deux ans que nous préparons ce Heiva. Le thème a été fini d’écrire en février 2017. Il a fallu du temps pour… on dit « a’amu », » ‘a’ai », en tahitien, c’est-à-dire manger chaque mot, le digérer, pour ensuite l’expliquer à tout le monde.
Quel est votre message pour les jeunes ?
A toute cette jeunesse ma’ohi, je voudrais dire que la langue ne cesse de nous appeler. Tendez l’oreille à la langue. N’attendez pas que d’autres personnes, plus tard, viennent nous enseigner le reo. J’invite tous les parents à enseigner la langue à leurs enfants, dès leur jeune âge. Il n’y a pas de secret. Des petits mots simples dans la vie quotidienne suffiront pour assimiler et aimer la langue. J’aimerais que les Ma’ohi réapprennent à reconnaître la terre comme une mère mais aussi réapprennent à l’écouter. Il y a tellement de beaux enseignements à retenir.
Est-ce qu’on vous retrouvera dès l’année prochaine sur la scène de To’atā ?
Pour préparer un Heiva, il faut au moins deux ans. Il y a toute la partie artistique, mais aussi toutes ces levées de fonds pour pouvoir financer les costumes. Je pense qu’on retrouvera ‘Ori i Tahiti dans deux ans.
C’est une grande étape que l’on franchit quand on reçoit ce grand prix Madeleine Moua ?
Oh oui ! C’est une grande étape. Tous les groupes de danse aspirent à gagner un jour le grand prix en Hura tau !
« Réussir à montrer à quel point cette culture et cette histoire sont belles »
Cinq questions à Mirose Paia, auteure pour Tahiti Ia Ruru-Tu-Noa et meilleure auteure en danse du Heiva
Mirose Paia, enseignante-chercheuse à l’université, a écrit pour la première fois un thème pour le spectacle d’un groupe de danse au Heiva. Une première particulièrement réussie puisqu’elle a reçu le prix du meilleur auteur !
Comment s’est passée l’écriture du thème ?
J’ai d’abord rencontré Olivier Lenoir (chef de la troupe Tahiti Ia Ruru-Tu-Noa) pour voir si nous pouvions travailler ensemble, si nous avions des affinités ou pas. Puis le travail du thème a commencé en octobre 2017. J’ai eu une certaine facilité dans l’écriture car j’écris déjà beaucoup dans le cadre professionnel. Après, il y a un côté redoutable car on ne sait pas du tout ce que le jury veut, ce que le groupe veut, ce que le chef du groupe va faire. On travaille dans cette liberté et dans ces doutes. C’est la première fois que j’écrivais un thème pour le Heiva.
Etre primée pour la première fois doit être satisfaisant ?
Je suis très contente, satisfaite aussi du travail accompli. Le thème a été magnifié par le groupe, ce n’est pas la démarche d’une seule personne, c’est le travail de tout un groupe. Au début je n’allais pas aux répétitions et puis j’ai commencé à aller voir et j’y suis allée tous les jours, tous les soirs. J’ai remanié mon travail d’écriture à la suite des répétitions, par rapport à la chorégraphie. Il y a eu plusieurs jets d’écriture. C’était très enrichissant de voir comment un thème de ce genre était mis en scène. Tafa’i est un personnage mythique, légendaire. C’était un thème difficile car très riche. Il a fallu faire des choix pour ne pas se disperser dans la mise en valeur du personnage.
Est-ce encourageant de voir son texte reconnu?
C’est satisfaisant car on ne sait pas si notre interprétation des légendes est correcte. Il y a beaucoup de non-dits, des choses implicites et des choses surnaturelles dans les légendes, qu’il fallait interpréter dans le bon sens. Je ne suis pas restée dans ma zone de confort ! Je prenais un risque. Il fallait aussi que le public parvienne à comprendre l’histoire même sans comprendre la langue. C’était l’objectif. Il faut réussir à montrer à quel point cette culture et cette histoire sont belles.
Le fait d’être primée donne d’autres envies pour l’avenir ?
Bien avant d’être primée, j’ai reçu des propositions d’écriture ! Pour des spectacles, le Heiva de l’année prochaine, le Hura Tapairu… Mais j’ai beaucoup de choses à faire professionnellement! Enfin, aujourd’hui, je sais que je peux écrire pour des spectacles donc on verra. J’avais toujours refusé de le faire auparavant mais une amie a réussi à me persuader. Je ne le regrette pas ! Le personnage aussi du chef de groupe m’a intéressée. C’est un peu Tafa’i ! On s’est beaucoup respecté, c’était agréable de travailler ensemble. C’était une bonne collaboration.
Votre vision du Heiva a changé ?
Complètement changé ! Je suis passée de l’autre côté ! J’ai vécu pleinement le Heiva dans toutes les épreuves : des difficultés et des joies. C’est vraiment quelque chose de profond. Je souhaite aux auteurs de vivre cette belle aventure.