N°130 – Des fouilles pour mieux comprendre l’histoire des Tuamotu
Rencontre avec le docteur Guillaume Molle. Texte : ASF.
Une campagne de fouilles a eu lieu en mars dernier sur l’atoll de Fakahina, aux Tuamotu afin de mieux connaître le passé pré-européen de cet archipel. Intégrant des données archéologiques, mais aussi ethnographiques, historiques et linguistiques, ce programme est un nouveau projet pluridisciplinaire dans le domaine des sciences humaines à voir le jour en Polynésie française.
Longtemps délaissées, les Tuamotu bénéficient à nouveau d’une dynamique de recherche portée par le Cirap, le centre international de recherche archéologique sur la Polynésie. Co-dirigé par le Pr. Éric Conte et le Dr. Guillaume Molle, un programme de fouilles a été lancé cette année sur trois atolls de l’archipel (Fakahina, Reao et Marokau) afin de mieux connaître l’histoire et les structures sociales des peuples est-polynésiens. Dans le détail, il s’agit de documenter le peuplement de l’archipel des Tuamotu, renseigner les interactions des sociétés pa’umotu et le milieu écologique des îles basses et enfin reconstituer les trajectoires historiques de ces îliens depuis le peuplement initial jusqu’au moment du contact. Une campagne de fouilles a eu lieu en mars dernier à Fakahina. Menée par le Dr. Guillaume Molle, celle-ci a eu pour objectif principal de commencer l’étude approfondie d’une série de quatre marae afin de mieux comprendre les rituels qui y étaient conduits autrefois et, par ricochet, percevoir l’organisation socio-politique des communautés tout en documentant la manière dont celles-ci exploitaient et utilisaient certaines ressources (espèces de poissons particulières, tortues, oiseaux etc.).
Beaucoup de types de marae différents dans l’archipel
L’équipe de recherche a aussi pu débuter l’étude du village missionnaire qui date des années 1860 et ainsi mieux appréhender la période de contact avec les Européens. Une première cartographie du village (54 bâtiments inventoriés) a pu être réalisée (GPS et description des structures). Pour mémoire, les premiers sites archéologiques de Fakahina avaient été répertoriés par l’archéologue K.P. Emory du Bishop Museum dans les années 1930. Éric Conte avait par la suite poursuivi l’inventaire des sites en 1986. Guillaume Molle a achevé l’inventaire archéologique lors d’une mission conduite en 2010 qui s’inscrivait alors dans le cadre d’une étude préalable à la mise en place du PGA (plan général d’aménagement) de la commune en compagnie de collègues botanistes. Cette année, il s’agissait de compléter le recensement des vestiges archéologiques de l’atoll en sélectionnant des sites en fonction de leur type architectural (il y a beaucoup de types de marae différents aux Tuamotu et les raisons à cela restent encore floues), de leur supposée importance socio-politique, mais aussi d’éventuelles traces en surface (os de tortues, amas coquilliers) qui laissaient supposer des dépôts archéologiques enfouis.
Trois questions au Dr Guillaume Molle
Quel est l’objectif de cette campagne ?
Il s’agit de répondre à plusieurs questionnements pour comprendre les processus de peuplement des atolls et combler des lacunes dans notre compréhension de la colonisation humaine de la région ; reconstituer sur la longue durée les interactions entre les sociétés pa’umotu et les milieux écologiques très particuliers des atolls ; et enfin, reconstituer les trajectoires historiques des sociétés pa’umotu dans la longue durée et mieux comprendre les phénomènes de variation culturelle à l’intérieur de l’archipel.
Qu’avez-vous trouvé sur place ?
Deux sites principaux ont été fouillés de manière extensive (6m2 pour le premier, 7m2 pour le second) avec l’aide de deux travailleurs du village, Jean-Philippe Rai et Jean-Pierre Manea. Nous avons surtout mis en évidence des assemblages fauniques qui semblent témoigner de pratiques de consommation et d’offrande sur ces sites. Le premier marae, sans doute un petit marae familial, a livré à environ 20 cm de profondeur un dépôt rituel d’ossements de tortues, ainsi que des os de poissons et des coquillages. La présence de restes de tortues est particulièrement intéressante, car elle renforce l’idée que les pratiques rituelles centrées autour de cet animal (notamment décrites par les missionnaires) étaient sans doute courantes à divers niveaux de la société ancienne. Ce site semble avoir été remanié, car des dalles de corail manquent ou bien ont été emportées un peu plus loin. Je suspecte que ces destructions ou remaniements puissent dater de la fin du XIXe siècle, après l’arrivée des missionnaires catholiques sur l’atoll. Le second marae est un grand marae gati (unité sociale correspondant à un groupe de parenté étendu) dont seule une plate-forme subsiste. J’ai pu documenter les modalités de construction (usage de grandes dalles de corail massive pour le ahu, très grande pierre dressée allant jusque 260 cm de hauteur) et sans doute des aménagements successifs dans le temps (ajout de pierres dressées témoignant probablement d’une complexification du culte des ancêtres). Les fouilles ont livré moins de restes fauniques que sur le premier site, mais étant donné la fonction importante de ce site et des descriptions datant du début XXe siècle, il est fort possible que les restes d’offrandes et d’animaux consommés étaient rejetés dans une fosse sacrée à l’arrière de la cour que nous n’avons pas encore pu retrouver.
Avez-vous prévu une prochaine mission aux Tuamotu ?
Nous prévoyons de retourner dans l’île l’an prochain avec le reste de l’équipe. Nous souhaitons fouiller un autre grand marae situé de l’autre côté de l’île à propos duquel nous disposons de traditions orales, ainsi que d’autres petites structures rituelles. Nous souhaitons aussi conduire des entretiens avec la population locale afin d’enregistrer les savoirs et savoir-faire locaux relatifs à l’exploitation traditionnelle des ressources marines et terrestres. Enfin, nous prévoyons de poursuivre notre étude du village historique par l’enregistrement détaillé de chaque bâtiment.