N°129 – Une déesse en pierre fleurie de Ua Pou

 

Service de l’artisanat traditionnel (Art) – Pu ohipa rima’i129 - Oeuvre du mois - Affiche du salon des Marquises

Rencontre avec Isidore et Rihi Kohumoetini, sculpteurs et musiciens de Ua Pou. Texte et photos : Élodie Largenton.

 

Les créations en pierre fleurie de Ua Pou seront l’une des attractions du 46e salon des îles Marquises, qui se tient du 7 au 17 juin, au Parc expo de Mamao. Cette pierre rare qui révèle des pétales de fleurs colorés fait la fierté de ses sculpteurs, dont Isidore Kohumoetini et son fils Rihi, qui ont réalisé une œuvre monumentale baptisée La déesse.

 

Dévoilée lors du salon du comité des artisans de Ua Pou en mars dernier, à l’assemblée de la Polynésie française, la sculpture des Kohumoetini n’est pas passée inaperçue. « C’est l’une des plus grosses pierres fleuries sorties de l’île, elle pèse environ 450 kg », raconte Rihi Kohumoetini. Il a fallu déployer de gros moyens pour aller la récupérer au bord d’une rivière, dans une vallée appartenant à la famille, et la transporter jusqu’à l’atelier. « À la base, on travaille sur des petites pièces, mais on s’est dit, tiens, on va se lancer un défi, on va essayer de réaliser une grande œuvre », explique Rihi. Avec son père, ils se sont donc lancés sans faire de croquis préparatoire. Au départ, ils imaginaient sculpter un tiki, mais ils ont préféré conserver la forme de la pierre en commençant par travailler son contour pour la laisser parler. « On voulait voir ce qu’elle allait exprimer et on a d’abord vu un globe, une coupe, mais de jour en jour, un visage est sorti. Pour nous, c’est la divinité », relate Isidore, le père de Rihi. Sur ce visage, ils ont dessiné la croix marquisienne. On aperçoit aussi l’île de Ua Pou, et le penu, qui symbolise la vie. Sur la face arrière de la sculpture, « on voit la forme d’un cœur, un cœur blessé en quelque sorte, puisqu’on a conservé le côté brut de la pierre », expose Isidore. La déesse est posée sur du bois suffisamment solide pour supporter son poids.

Une œuvre « vivante, pleine de mana »

Cette œuvre est le fruit d’un travail complice entre un père et son fils, qui sont « sur la même longueur d’ondes », comme le dit Rihi. Après avoir été professeur de musique au collège de Ua Pou, il a décidé de suivre son « mentor » début 2016 et de consacrer la majeure partie de son temps à l’artisanat. Ce qu’il aime dans la sculpture, ce sont les « idées qui viennent d’elles-mêmes ». « Quand je prends une pierre brute, je vois tout de suite ce que ça donnera et je sais qu’à la fin, elle sera exactement comme je l’avais pensée », assure-t-il. Mais il préfère laisser le public libre de son interprétation. Quand on lui demande ce qu’il a représenté, il répond : « Qu’est-ce que toi, tu vois ? » À l’assemblée, certains visiteurs du salon ont vu un trophée de football, un œuf de Pâques, ou même une tête avec une chevelure… Quoiqu’il en soit, pour le père et le fils, cette pièce est « vivante, pleine de mana qu’il faut préserver », souligne Isidore. Il souhaiterait qu’elle trouve sa place dans le hall de l’assemblée ou dans un hôtel, pour être admirée du plus grand nombre. « De par sa taille, son originalité, sa rareté, je pense que cette œuvre ne doit pas rester dans une collection privée », affirme-t-il.

Ce qui fait la particularité de cette sculpture, c’est sa matière : la pierre fleurie, te kea pua, de son nom scientifique phonolite à grenats. On raconte qu’elle n’existe que dans deux endroits du monde : au Brésil et à Ua Pou, alors forcément les habitants de ces vallées marquisiennes en sont très fiers. « Mon grand-père me disait que quand Dieu a créé le monde, c’est le dernier endroit où il s’est arrêté avant de créer l’homme, d’où ces fleurs uniques qui apparaissent sur nos pierres », raconte Rihi. Mais la pierre fleurie n’a pas toujours eu autant de succès. « La plupart des gens d’ici sont des sculpteurs de bois au départ, ce n’est que la génération de mon père qui a commencé à mettre la pierre en valeur », précise Rihi. Ceux qui ont franchi le pas ne retournent pas en arrière : « C’est très dur à travailler, mais ce qui est bien, c’est qu’il y a plein de variétés, plein de couleurs », fait valoir Isidore. Les vallées de Ua Pou accueillent de nombreuses variétés de pierres ; « on a essayé de les recenser, mais à chaque fois qu’on croit atteindre la fin de la liste, on en découvre toujours une nouvelle ! » raconte Rihi.

Chasse aux pierres

Les sculpteurs sont prudents, toutefois, ils savent qu’il faut préserver leurs ressources. « C’est devenu un peu la chasse aux pierres chez nous », regrette Rihi. Même ceux qui vont pêcher en bord de mer gardent l’œil, « s’ils trouvent une belle pierre, ils la mettent dans le sac à dos avec les filets de poisson ! », poursuit-il. « D’un côté, on essaye de promouvoir notre pierre fleurie, mais de l’autre côté, on se dit qu’il faudrait qu’on arrête un peu pour la génération future », en espérant ne pas voir un jour un livret appelant à la protection des pierres comme il en circule actuellement pour la préservation des bénitiers et autres fruits de mer.

S’il faut veiller à sa pérennité, la pierre fleurie fait aujourd’hui la renommée de l’île, réputée depuis longtemps pour ses artistes et sa musique. Les sculpteurs sont d’ailleurs connus pour leurs chansons, leurs groupes Kanahau trio et Kohumoetini band. Ils n’ont pas délaissé la musique, ils continuent à composer tout en sculptant et annoncent même qu’ils travaillent sur une chanson racontant l’histoire de la pierre fleurie.

 

Encadré

Pratique

46e salon des îles Marquises

Du 7 au 17 juin 2018, de 8h à 19h

Parc expo de Mamao

Organisé par la fédération Te tuhuka o te henua enana

+d’infos : Sarah 87 74 75 38 ou 87 22 52 26 – www.artisanat.pf

 

 

 

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