N°127 – « Avis Harrell est une show-woman, elle a une énergie terrible »
Conservatoire Artistique de Polynésie française (CAPF) –Te Fare Upa Rau
10 questions à Frédéric Rossoni, responsable du département de jazz du Conservatoire Artistique de Polynésie française et chef de l’orchestre du Big band. Texte Elodie Largenton
Le premier festival international de jazz de Tahiti sera l’occasion pour le grand public de (re) découvrir le Big band, cet orchestre de jazz qui « déménage », comme le dit son maestro, Frédéric Rossoni. Pianiste, professeur de basse électrique et d’orgue, compositeur et arrangeur, il fait partie des chefs d’orchestre de cet événement.
Comment est venue l’idée d’organiser un festival international de jazz ?
Je propose souvent des projets et comme je m’occupe du Big band, j’ai soumis l’idée de faire quelque chose avec cet orchestre de jazz. Je connais bien une des anciennes choristes de Ray Charles, Avis Harrell, et je me suis dit que ce serait bien de la faire venir pour que ce soit plus événementiel. Quand j’en ai parlé à Fabien Dinard, le directeur du conservatoire, il m’a demandé de faire venir une autre pointure pour qu’on organise un festival. C’est parti comme ça !
D’où connaissez-vous Avis Harrell, l’une des invitées vedettes du festival ?
Elle avait été engagée avec son pianiste, il y a une vingtaine d’années, par l’ancien patron du Rétro pour faire une animation. Avec le Big band, on est venu jouer là-bas et elle a commencé à chanter avec nous. Ça a bien marché, on l’a prise pour enregistrer des morceaux du Big band et on est toujours resté en contact. Elle est dans la mouvance Stevie Wonder, de la variété teintée de jazz. C’est une show-woman, elle a une énergie terrible. Là, elle vient de passer deux-trois mois en Suisse. Elle se débrouille toute seule, elle est à fond dans ce qu’elle fait. Elle enregistre, elle fait ses compositions et même parfois ses arrangements toute seule avec son studio. Avis, pour moi, c’est surtout ça : son énergie et sa passion.
Ce festival, c’est le début de quelque chose ou l’aboutissement de ce que vous avez mis en place au conservatoire il y a trois ans ?
Ni l’un ni l’autre. Là, on met le projecteur sur notre formation. Après, c’est vrai que ça fait trois-quatre ans que le Big band existe, on a commencé à la Casa Mahina et là on finit au Grand Théâtre, donc c’est le signe d’un bon développement.
Qu’est-ce qui a permis cette progression ?
Lors de la master class qui aura lieu le mercredi 18 avril, je vais présenter notre cursus de jazz, créé il y a trois ans au sein du conservatoire. Cela a permis à des musiciens comme le pianiste Bruno Demougeot de passer leur diplôme. Je vais aussi en profiter pour présenter mes deux groupes, deux petites formations autour d’un guitariste pour l’une et d’un guitariste et un saxophoniste pour l’autre. Elles vont présenter un morceau chacun, ce sera un avant-goût de leur examen de fin d’année. Cela permet de faire un lien entre la pédagogie et le spectacle et de les intégrer au concert. Tout le monde est concerné, investi dans le projet, de manière pédagogique et pour le plaisir.
C’est donc un festival ouvert à tous et pas seulement aux professionnels ?
Il faut que cet événement profite aux élèves, parce que le Big band, c’est un atelier au départ, ce n’est pas juste un orchestre pour faire des concerts. Et c’est gratifiant d’avoir des gens de l’extérieur comme Otmaro Ruiz, qui est une pointure en matière de clavier, qui va venir les écouter et jouer un peu avec chacun. Les groupes qu’on a invité à se produire sur le paepae sont très motivés et impressionnésà la fois, parce qu’ils le connaissent, ils l’ont vu jouer. J’ai proposé qu’il vienne jouer un morceau avec chaque groupe donc ça leur met la pression, mais ça les motive aussi. J’espère également que des musiciens locaux viendront à sa master class, c’est vraiment quelqu’un de très doué.
Quelle est la place du jazz à Tahiti ?
Aussi bien au niveau du public que des musiciens, c’est limité. Ceci dit, quand on a commencé à la Casa Mahina, le gérant n’avait jamais eu autant de monde. L’année d’après, on s’est produit au cinéma Le Majestic. La salle fait 400 places, je me suis dit que ce serait à moitié vide et finalement c’était plein. L’année dernière, c’est pareil, on a fait deux salles pleines au Petit Théâtre. Il y a donc un public pour ce type de grande formation.
Que diriez-vous pour faire venir des gens qui n’y connaissent rien ?
Il y a des gens qui détestent le classique, d’autres qui détestent le jazz, on ne peut rien y faire, mais je ne pense pas qu’il y ait besoin de comprendre pour apprécier.C’est plus une histoire de goût. C’est sûr qu’on ne touche pas le public qui écoute de la variété à la radio, on voit rarement des ados aux concerts, mais je pense que c’est aussi une question d’accès. Entre écouter un disque ou écouter un concert à la télévision et voir un concert sur scène, il y a grande différence. Ce festival pourrait donc permettre de leur faire découvrir le jazz ainsi que certains instruments. Il y a des gens qui n’ont jamais vu de trombones, par exemple.
Comment êtes-vous venu au jazz ?
Je suis venu à la musique très tard, mais en réalité, j’ai été bercé par ça, mon père écoutait du jazz tout le temps. Ce n’est qu’à l’adolescence que j’ai commencé à jouer de la guitare, puis du piano et au conservatoire où j’étais, un Big band s’est formé et ça a commencé comme ça. Je n’écoutais pas forcément du jazz, c’était plutôt des morceaux teintés de jazz comme ceux d’Al Jarreau. Ensuite, j’ai été musicien au Moulin rouge, à Paris,où j’avais un chef d’orchestre qui était saxophoniste de jazz. Et quand je suis arrivé ici, j’ai eu de la chance, la seule et unique boîte de jazz qui ait existé sur le territoire, le New Orleans, a ouvert à ce moment-là. Pendant cinq ans, j’ai pu jouer avec des musiciens américains qu’ils faisaient venir, j’ai beaucoup appris.
Est-ce à ce moment-là que vous avez intégré le Big band ?
Oui, c’est mon frère qui l’avait remonté, il s’appelait le Tropical band, on a joué dans tous les hôtels de la région et on a fait un CD, des cassettes… Il y a une centaine de musiciens qui sont passés dans cet orchestre. À l’époque, il y avait le Rimap et ce sont les militaires qui fournissaient les cuivres. Quand ils sont partis, c’est devenu très lourd à gérer, donc mon frère a fini par lâcher. On l’a remonté une première fois, c’est retombé à l’eau, et là, ça fait quelques années qu’il est de nouveau en place. Ce type d’orchestre est compliqué à gérer, il faut beaucoup de musiciens, des élèves de très grand niveau.
Y a-t-il un concert qui vous a particulièrement marqué avec le Big band ?
Quand je suis arrivé ici en 1990, il y a eu la soirée de l’équivalent local des Victoires de la musique, orchestrées par les gens de la Maison de la Culture. Ils ont fait appel au Big band pour faire les jingles et là-dessus, on nous a demandé d’accompagner John Gabilou sur Just a Gigolo. J’ai donc fait un arrangement et ça a fait un tabac, Gabilou a emmené le public avec le Tropical band qui poussait derrière, ça a donné quelque chose de terrible. On lui a d’ailleurs demandé de venir l’enregistrer ensuite en studio. C’est vraiment un bon souvenir.
Pratique
Le festival aura lieu du lundi 16 au vendredi 20 avril inclus au Conservatoire et à la Maison de la Culture.