N°124 – Le Tapa, un art millénaire
Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Te Fare Manaha
Rencontre avec Michel Charleux, ethno-archéologue et qui a dirigé le livre « Tapa, de l’écorce à l’étoffe, art millénaire d’Océanie de l’Asie du Sud-Est à la Polynésie orientale ». Texte SF.
600 pages, 510 illustrations, un quinzaine d’archipels, des dizaines d’articles, des milliers de mots… Disponible en libraire, le beau livre « Tapa de l’écorce à l’étoffe, art millénaire d’Océanie de l’Asie du Sud-Est à la Polynésie orientale », des éditions Somogy, est une œuvre incontournable pour (re)découvrir et surtout comprendre l’histoire, la tradition et la culture du Tapa en Océanie.
Des photos, des cartes postales et des dessins de la fin du XIXième et début du XXième, des tapa de toutes sortes : maro rudimentaires, linceuls, tiputa, ahufara raffinés, ou recouvrant des figurines de Rapa Nui, des artisans et leurs outils, des écorces… Tapa est un voyage dans le temps mais aussi dans l’histoire de cet art qui remonte à des milliers d’années et qui s’est pratiqué à travers toute l’Océanie et même dans d’autres endroits du monde. En tournant les pages de ce beau livre, le lecteur découvre différents archipels : la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Papouasie occidentale, le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie, les Fidji, Wallis et Futuna, Hawai’i, Niue, les Samoa, Tonga, les Marquises, les îles Cook, Pitcairn, l’île de Pâques… « Le livre est découpé selon les archipels. À l’entrée de chaque archipel il y a une note succincte dans la langue de l’archipel, l’idée étant de mettre à l’honneur les archipels représentés », explique Michel Charleux, ethno-archéologue et directeur de ce livre, qui s’est intéressé au tapa dans les années 80 grâce à sa rencontre avec la dernière marquisienne, à l’époque, à confectionner du tapa, Madame Titi Peters.
Voyage dans l’Océanie
Après un film et des ateliers un peu partout en Polynésie française, ce passionné a largement contribué à l’organisation du festival du Tapa en Océanie, dont il était le Commissaire Général en 2014, à Tahiti. Il était également le co-commissaire avec Tara Hiquily de l’exposition « Tapa d’hier et d’aujourd’hui » au Musée de Tahiti et des Îles. De ces évènements, il en a découlé des rencontres et surtout des discussions avec des scientifiques, des experts, des artisans. Il en est né un livre, ce livre. « J’ai ainsi pu collecter les textes et les photographies de chacun, j’ai aussi rencontré d’autres auteurs du Pacifique permettant ainsi d’élargir le tapa notamment jusqu’à la Chine ». Michel Charleux s’est entouré d’archéologues chinois qui lui ont présenté des battoirs en pierre, cet outil indispensable pour confectionner un tapa. Des outils qui remontent à 8 000 ans pour certains. « C’est donc la preuve matérielle de l’existence du tapa à cette époque, souligne le spécialiste qui a aussi collaboré avec des équipes chiliennes ayant travaillé sur l’ADN des mûriers à papier, une des écorces emblématiques du tapa, Ils ont collecté à travers tout le Pacifique des feuilles de mûriers en prélevant l’ADN. Ils ont ainsi pu confirmer le cheminement du mûrier à papier depuis la Chine ». Preuve aussi de l’histoire de la migration des Océaniens. Parties de l’Asie du Sud-Est, ces populations ont voyagé avec leurs savoirs, leur maîtrise, leurs plantes, leurs outils. Elles ont ainsi dispersé cet art à travers toute l’Océanie jusqu’à l’île de Pâques et Hawai’i.
Un usage et une tradition ethnique
Dans le livre, grâce aux collections du musée de Tahiti et des îles, du Hawai’ien Mark Blackburn et de collections privées, le lecteur découvre des motifs qui ont évolué selon les îles et les groupes humains. Chaque groupe a développé ses décors, ses motifs propres à son ethnie et utilisé ses plantes pour les pigments. Servant de vêtement, un maro pour le bas peuple ou un tiputa, c’est-à-dire un poncho, pour les classes plus élevées, le tapa est habillé de différents motifs selon les archipels. Ces motifs déterminent une identité et sont respectés et reconnus par les populations. « Grâce à ces motifs, aujourd’hui, on arrive à déterminer l’origine du tapa ». Par le biais d’articles de scientifiques et des illustrations, on découvre aussi les nombreux usages du tapa : il servait d’ameublement, comme une couverture, un tapis ou parfois une cloison pour séparer un fare en deux. S’il n’était pas utilisé pour décorer une maison, il avait un rôle important dans les relations sociales : il était offert comme un cadeau pour un marin, pour honorer quelqu’un, mais aussi pour réparer une faute, un crime ou un accident. Si ces traditions se sont perdues au fil des décennies dans certaines îles, elles ont perduré dans d’autres, comme à Wallis, où on doit toujours avoir du tapa pour offrir. « Le tapa est vivant, et si dans certains archipels, on en a perdu la pratique, ce livre permet de le redécouvrir ». Michel Charleux a fait ce livre pour permettre aux Polynésiens et Océaniens de renouer avec cette pratique. « On se rend compte que le tapa est aussi une source potentielle de revenus non négligeable. C’est une opportunité pour la jeunesse, qui a parfois du mal à trouver du travail ». En plus d’apprendre l’histoire et les origines du tapa, ce livre rassemble tout ce qu’on peut et doit savoir sur cette étoffe : ses outils, ses écorces et jusqu’à la manière de le conserver dans les musées. Un beau livre de savoir, d’histoire, d’art et de découverte à mettre entre toutes les mains…
Encadré : Le battoir, un outil indispensable
Tapa met en exergue les outils pour confectionner le tapa. Si on y retrouve les différentes écorces utilisées selon les archipels, on découvre surtout l’outil indispensable : le battoir. Il est essentiel pour le battage de l’écorce et pour la qualité du tapa. « Si ses rainures ne sont pas bien faites, on ne peut pas faire du bon tapa, souligne Michel Charleux. Les rainures sont donc importantes, on commence toujours par les plus larges afin d’élargir le tapa et les fibres, et on finit par les plus fines pour faire les finitions. Le battoir sert également à coller les tapa entre eux ». À l’époque, les rainures du battoir étaient faites à l’aide d’éclats de pierres ou des dents de requin. « Il faut une finesse des rainures, ce qui est difficile à faire aujourd’hui encore avec des outils modernes. Cela montre le savoir-faire des Polynésiens et leur notion de la beauté ». Le battoir doit être dans une matière dure de manière à pouvoir taper bien et fort sur l’écorce. Selon les îles, les matières du battoir diffèrent : en pierre pour la Chine, en os de cachalot pour Pitcairn, ou en bois très dur comme le aito pour la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie.
Un battoir de Huahine du XIIIe siècle
Le plus ancien battoir que l’on peut découvrir dans le livre vient de Huahine : le I’e. Il date du XIIIe siècle et se trouve aujourd’hui au Musée de Tahiti des îles. Réalisé en bois dit apiri, un bois très dur, ce battoir de section circulaire long de 18cm, et pesant 429,5 grammes, a été retrouvé dans les années 70 sur un site noyé. « Le fait que le battoir était en milieu immergé cela a permis une bonne préservation, le bois n’a pas pourri car il n’a pas été à l’air libre. En revanche, le processus pour pouvoir le récupérer et le préserver est difficile et compliqué. Le battoir était gorgé d’eau, on a dû remplacer les molécules d’eau par celles d’un produit qui ne va pas s’évaporer. C’est ainsi que les fibres gardent leurs formes et l’objet sa rigidité », explique Michel Charleux. Ce battoir a été découvert lors de la construction de l’hôtel Bali Hai sur le site de Faahia par le feu professeur Sinoto, rattaché au Bishop Museum de Hawai’i. « Cette découverte est une preuve matérielle que le tapa existe en Polynésie depuis longtemps », précise l’ethno-archéologue qui rappelle que les battoirs polynésiens ont tous la même forme : section carrée avec des rainures assez larges et puis plus fines. Le battoir archéologique de Huahine fait exception avec sa section circulaire. Dans le livre, le lecteur peut ainsi découvrir tout un bataillon de battoirs polynésiens et océaniens des collections du Musée de Tahiti et des Îles.
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Tapa De l’écorce à l’étoffe, art millénaire d’Océanie, de l’Asie du Sud-Est à la Polynésie orientale, aux éditions Somogy, dans les libraires de Tahiti. Prix de vente : 16 000 Fcfp.