N°124 – « Ce sera un nouveau musée à l’ambition Pacifique »
Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Te Fare Manaha
Pierre-Jean Picart, architecte mandataire du projet de rénovation du musée de Tahiti et des îles. Texte Elodie Largenton
L’architecte Pierre-Jean Picart a été chargé par le Pays de la reconstruction de la salle d’exposition permanente et de l’accueil du Musée de Tahiti et des îles, ainsi que de la rénovation de la salle de conférences. Avec le studio Adrien Gardère, il a imaginé une grande salle d’exposition où les œuvres pourront se répondre. Le chantier doit débuter en octobre 2018 pour s’achever dans le courant de l’année 2020.
Quelle est l’idée au cœur de votre projet et qui vous a permis de remporter le concours d’architecture, en 2016 ?
On a vraiment proposé quelque chose de différent. Beaucoup de musées, au départ, ont été structurés dans des châteaux, du coup les muséographes et les conservateurs faisaient par petites salles avec différents thèmes. Dans le cas du Musée de Tahiti et des îles, la proposition s’inscrivait dans la continuité de cette muséographie, c’est-à-dire une succession de salles et l’idée était de rajouter une autre salle. Je n’ai pas du tout apprécié ce programme, j’ai tout de suite pensé qu’il fallait s’affranchir des volumes existants, parce qu’ils étaient vétustes et qu’ils ne permettaient pas de protéger les collections des houles cycloniques ou des débordements de la Punaruu. J’ai donc préféré m’orienter vers une muséographie plus contemporaine en proposant un décloisonnement des pièces. J’avais été particulièrement séduit par la proposition faite pour le Louvre-Lens par le cabinet Sanaa et Adrien Gardère. Je suis donc allé le chercher pour qu’il travaille avec nous sur ce projet.
Quel est l’intérêt de casser les cloisons ?
Décloisonner les espaces permet une mise en relation des œuvres, qui se font écho. Quand on regarde un tambour des Marquises, on peut voir celui des îles Sous-le-Vent, on n’est pas cloisonné dans un univers, on peut avoir cet échange, on peut se retourner. Adrien Gardère dit qu’un musée, ce n’est pas un livre avec un début et une fin, on doit pouvoir se balader sans avoir un parcours fléché, on doit pouvoir revenir, repartir. Pour cela, on a regroupé toutes les salles en une. L’idée a été de créer des îlots sur la base des îles en Polynésie.
L’idée, c’est donc de suivre la tendance actuelle sans oublier le contexte polynésien ?
Il ne s’agit pas uniquement, en effet, de créer un bâtiment, mais de le faire dans un lieu avec le lieu. Là, on a un magnifique terrain bord de mer, chargé d’histoire et de symbolique. On l’interprète par une redistribution du paysager, c’est-à-dire qu’on va inclure le bâtiment dans le paysage en retravaillant la végétation et en faisant un parcours ethnobotanique extérieur, en distinguant trois phases : la végétation avant l’arrivée des premiers hommes, puis l’arrivée des Polynésiens et des plantes qu’ils apportent, et enfin, l’arrivée des Européens avec d’autres plantes. On va donc structurer le paysager et le bâtiment viendra s’intégrer dedans. Par ailleurs, dès l’entrée, on veut signifier qu’il s’agit d’un musée polynésien. On va donc recréer une zone s’apparentant à un paepae avec un grand mur basaltique pour donner une cohérence au projet et après d’y apporter une structure rappelant la construction vernaculaire avec les fare haupape et leurs trois rangées de poteaux encastrés dans le sol. Cela amène ensuite dans une salle, qui est un grand rectangle surélevé pour s’affranchir de tout problème d’inondation ou de tsunami. Cette grande salle, on veut la marquer comme un fare pote’e similaire à ceux du lac de Maeva à Huahine ?, surélevés avec des bois verticaux en périphérie qui donnent cette intimité au fare traditionnel. L’intérieur, lui, sera résolument contemporain.
Beaucoup de scolaires se rendent au musée. Cela a-t-il été un élément dans votre réflexion ?
Bien sûr, puisque c’est la grosse différence avec un musée en métropole ou ailleurs, le Musée de Tahiti et des îles est un musée pédagogique. Et c’est avec cette problématique en tête que nous avons décidé d’organiser le musée en créant des îles avec des petites mises à distance pour livrer des éléments plus pédagogiques, plus faciles d’accès à une classe de 40 élèves.
Que mettez-vous en place pour répondre aux normes de conservation des œuvres ?
Il faut rappeler que le musée a 40 ans quand même, on fait un saut de deux générations ! Avec ce projet, on a une enveloppe, donc une résistance aux aléas climatiques, mais aussi une étanchéité à l’air pour avoir de meilleures conditions d’hygrométrie, de température au niveau du bâtiment. On est donc isolé, on a des sas, on passe dans une autre génération de bâtiment, tout est pris en compte pour le maintien et la conservation des œuvres. Dans ce cadre, on travaille aussi sur l’éclairage avec Adrien Gardère, c’est un domaine qui demande énormément de précision.
Y a-t-il un saut aussi en matière d’impact énergétique du bâtiment ?
Des panneaux photovoltaïques ont déjà été installés et grâce aux travaux d’isolation et d’étanchéité, on va réduire considérablement la consommation d’énergie, on sera quatre fois plus performant qu’avant.
En concevant votre projet, avez-vous essayé d’anticiper les besoins futurs ?
On agrandit les espaces et on a une trame très simple, donc si, dans 10 ou 15 ans, on veut agrandir le musée, ce sera très facile. Quant aux normes, ce sont celles des musées de France. Un des gros problèmes des musées, c’est la sûreté. Ici, on est quand même très protégé, mais on a déjà des sécurités dans le musée actuel et on va les accroître.
Le numérique est-il pris en compte ?
Tout ce qui est multimédia est en discussion. Le problème qu’on a est que ce qui est vrai aujourd’hui sera faux demain. Quand je dis demain, c’est dans six mois, dans un an… Les audiophones, par exemple, sont petit à petit remplacés par les tablettes, les téléphones portables. C’est donc en cours de réflexion, mais on garde ça pour plus tard, pour être à jour à la fin du chantier, mais les équipes du Musée intègre déjà ces réflexions dans leur approche du parcours de médiation.
Les travaux vont s’étaler sur deux ans. Ce n’était pas possible de faire plus court ?
On prend toujours des marges de sécurité parce qu’on a parfois des surprises. On a un bâtiment ancien à démolir, et comme dans tous les bâtiments en Polynésie, il y a un peu d’amiante donc ça prend du temps. Mais la construction en elle-même ne prendra pas deux ans.
En 2020, verra-t-on un nouveau musée ou un musée rénové ?
C’est vraiment un nouveau musée, qui a une ambition Pacifique et une volonté de rayonnement au-delà du triangle polynésien. On se confronte à d’autres musées dans toute la région, à Hawai’i et en Nouvelle-Zélande notamment. On devrait être dans une présentation qualitative largement supérieure.