N°122 – Le premier hydravion Catalina fête ses 70 ans
Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel (SPAA)- te piha faufa’a tupuna
Rencontre avec Jean-Michel Garrigues, chef du Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel (SPAA). Texte SF
Le 30 octobre 1947, le premier Catalina se pose en rade de Papeete. Jusqu’aux années 70, plusieurs hydravions de ce modèle permettront aux Polynésiens de se déplacer et de transporter plus rapidement du fret et des courriers entre Tahiti et les îles, qui se faisaient jusqu’alors en goélette. Si son histoire est héroïque, elle est aussi jalonnée d’accidents. Récit.
5200 km, 22h de vol. C’est la distance et le temps qu’il aura fallu au premier Catalina pour se poser à Tahiti. Partis de Nouvelle-Calédonie, cet hydravion, qui servit lors de la seconde guerre mondiale, amerrit à Papeete après un périlleux voyage. Son pilote, Pierre Delaunay, ancien pilote de ligne et ingénieur de la Marine française, raconte cette aventure dans un ouvrage inconnu, où seule cette partie du récit a été numérisée et est disponible au Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel. A la fin de la guerre, le Catalina est racheté par une société du nom de Trapas (Transports Aériens du Pacifique Sud). Sitôt la paix retrouvée, un banquier décide en effet de se lancer dans un projet d’aviation reliant entre elles les possessions françaises du Pacifique Sud : Nouvelle-Calédonie, Nouvelles Hébrides, Tahiti et Wallis. Jusqu’alors ces îles éloignées sont reliées par des bateaux, seul moyen de transport mettant entre deux à trois mois pour arriver à destination. L’idée de cet entrepreneur est ainsi de proposer un moyen plus rapide afin de transporter des passagers, du fret, mais aussi et surtout les courriers.
Une aventure épique
« L’idée était juste, mais la tâche difficile, car là où il fallait aller, il n’y avait pas d’aérodrome, mais seulement des plans d’eau, parfois inhospitaliers et, autre difficulté, les distances étaient considérables », raconte Pierre Delaunay dans son récit. Ce banquier décide donc de se munir de deux hydravions Catalina amphibies. Jusqu’en 1951, ces hydravions sont le premier réseau aérien du Pacifique Sud, une révolution pour l’époque. Pierre Delaunay est le premier pilote en charge de cette mission. L’homme, ayant travaillé pour les forces navales libres de 1940 à 1945, connaît bien ce type d’avions et ses défauts : « (…) ce gros canard flanqué d’une aile en forme de planche à repasser qui remuait beaucoup dans le mauvais temps. Pour les passagers qui auraient à parcourir 5000 kilomètres, pour se rendre de Nouméa à Papeete, cela voulait dire au moins 20 heures de vol dans des conditions aujourd’hui qualifiées d’inhumaines ». Une aventure qui mènera la demi-douzaine de passagers et les pilotes à parcourir les îles Fidji, Samoa et Cook avant d’arriver à destination, Tahiti. Comme le veut la tradition polynésienne, à peine amarré, l’hydravion, à l’instar des paquebots, est accueilli par des « tahitiennes arrivées en pirogues à balancier. Elles prenaient le Catalina d’assaut à qui serait la première à déposer sur les épaules d’un voyageur ami le traditionnel collier de tiare ». Un moment inoubliable pour ces voyageurs courageux qui profiteront par la suite des bars de musique de Papeete puis des spectacles de danse. L’escale à Tahiti dure 5 jours, le courrier est déposé à la Grande Poste, prise alors d’assaut par les habitants. Durant cette escale, le Catalina poursuit sa mission vers les Îles de la Société : Raiatea et Bora Bora.
Des accidents en série
Après un départ déchirant, Pierre Delaunay repart à bord de son Catalina pour la Nouvelle-Calédonie, ayant ainsi réalisé la première desserte aérienne entre ces îles éloignées du Pacifique Sud. Plusieurs hydravions prendront la suite en Polynésie française. Si la société Trapas disparaît des radars dès 1950, d’autres sociétés prennent le relais. Le RAI (Réseau Aérien Interinsulaire) se pare de deux Catalina pour assurer les liaisons entre Tahiti et Bora Bora. La suite sera malheureusement une série d’accidents. Le premier survient le 19 février 1958. Lors d’un amerrissage dans le lagon de Raiatea, l’hydravion se crashe en touchant le plan d’eau de l’aile droite. Sur les 23 personnes à son bord, 15 décèdent dans l’accident. Anecdote pour le moins morbide, les mois suivant le drame, plus personne sur l’île ne souhaite manger de crustacés. La raison ? On craint qu’ils ne soient nourris avec les corps restés au fond de l’eau. Cet accident ne met pas pour autant fin aux dessertes aériennes. Deux ans plus tard, en octobre 1960, un autre Catalina est endommagé lors d’un amerrissage difficile, toujours à Raiatea. Si l’accident ne fait pas de victimes, l’hydravion est lui irréparable et inexploitable. Il est sabordé dans de le lagon de Faa’a en 1962. Aujourd’hui, il git à 25 mètres de fond, non loin des épaves d’un petit avion Cessna et d’une goélette. Et fait le bonheur des plongeurs…
Fin de la mission polynésienne
A la même époque, le Chili décide d’assurer les premières liaisons Chili-Île de Pâques-Tahiti. Après le crash du premier Catalina baptisé Manutara, le Chili persiste et envoie un second hydravion. Cette fois, la liaison est assurée sans incident, le Manutara II amerrit à Tahiti en septembre 1965. Au tour ensuite de la SLPAC (Section de Liaison du Pacifique) de prendre le relais avec trois nouveaux Catalina, pour le CEP, le Centre d’Expérimentation du Pacifique. L’objectif est alors de transporter du matériel pour la construction des bases aériennes de Hao, Moruroa et Fangataufa. Mais leur vie sera de courte durée. Le 3 septembre 1965, le premier Catalina heurte un récif et coule à Hikueru. Le lendemain, un autre Catalina venu à son secours rompt ses lignes de mouillages et s’abîme également sur le récif de Hikueru. Quelques mois plus tard, le 20 avril 1966, un autre hydravion du même type coule cette fois dans le lagon de Reao suite à un arrachage des trappes de train juste avant l’amerrissage. Le Catalina semble maudit mais poursuit ses missions jusqu’à la fin de l’année 1971. Ces hydravions seront finalement revendus au Chili pour servir de bombardier d’eau. La mission polynésienne de Catalina prend fin, la Polynésie française ne verra plus aucun Catalina dans ses beaux lagons mais garde à jamais à l’esprit cet hydravion, annonciateur de l’évolution des dessertes dans le Pacifique.
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