N°121 – Pina’ina’i sur la voie de l’amour
Maison de la Culture (TFTN) – Te Fare Tauhiti Nui
Rencontre avec Moana’ura Tehei’ura, chorégraphe et concepteur de Pina’ina’i, et Mareva Leu, auteure. Texte Elodie Largenton
L’amour va être dit, crié, murmuré lors de la septième édition de Pina’ina’i, le samedi 21 octobre, sur le paepae a Hiro de la Maison de la Culture. Ce thème promet une édition très différente des années précédentes mais l’objectif reste le même : donner une autre image de la littérature autochtone.
« Au cours de l’évolution de Pina’ina’i, le spectacle est devenu de plus en plus engagé, de plus en plus révolté, parce que notre écriture s’est construite dans ce sens, mais peut-être qu’on est arrivé l’année dernière à un summum, à un moment où on s’est dit c’est un peu trop, même si c’est complètement légitime », explique Mareva Leu, qui participe chaque année au spectacle. Les auteurs membres de l’association Littérama’ohi ont donc eu envie de se pencher sur un sujet très différent : l’amour. Un thème si riche que Moana’ura Tehei’ura, le concepteur et chorégraphe de Pina’ina’i, parle d’ « amours au pluriel » : « Ce qui m’a intéressé, c’est de révéler cet amour, de le dénoncer et de le revendiquer au sein d’une société autochtone qui a ses valeurs traditionnelles. On a tendance à idéaliser l’amour, à le vivre dans des mythes, dans des modèles de cinéma, et à oublier que les gens de la vie de tous les jours peuvent aussi vivre des histoires d’amour. Mais s’il y a de l’amour, il y a également de la tristesse, de la haine, de la peine, de la douleur, il y a l’amour-passion, il y a toutes les formes d’amour et tout le monde a le droit de vivre ces amours. » Moana’ura Tehei’ura veut que l’on entende ces cueilleuses de fleurs auxquelles on ne fait pas attention sur le bord de la route, des femmes que l’on « surprendra à être fétichistes dans l’amour ». Comme chaque année, le chorégraphe se lance le défi de nous faire changer de regard sur le monde qui nous entoure, et il cherche toujours à aller plus loin, à créer la surprise et à se surprendre lui-même.
Jouer avec sa culture
Pour cela, Moana’ura Tehei’ura a recours à une méthode redoutable : il prive les participants de tout contrôle sur leurs textes. Certains écrits sont déconstruits, d’autres sont mélangés pour créer une sorte de dialogue. « Ce qui est intéressant pour les auteurs, c’est de ne plus être maître de leurs mots ; à partir du moment où ils me livrent leurs textes, ils entrent en résonnance avec les autres textes, se transforment même, et deviennent d’autres textes, d’autres mots font sens autrement. Les textes font écho et les auteurs abandonnent leur égo », explique le chorégraphe. À tous points de vue, il éclate les codes, s’amuse à créer des décalages et profite pleinement de la liberté de pouvoir composer sans devoir respecter un règlement, comme lors du concours de danse par exemple. Il entend « montrer qu’on peut jouer avec notre culture, l’enrichir autrement sans toutefois écorcher des bases dites traditionnelles ». Cela se traduit par un spectacle unique. Ce n’est pas du théâtre au sens classique du terme, « parce qu’il n’y a rien de classique dans Pina’ina’i », souligne Mareva Leu. De plus en plus, les auteurs se font comédiens et orateurs. Fini les fiches des débuts, ils apprennent désormais leurs textes par cœur et « la plupart possèdent un réel jeu de scène », rapporte Moana’ura Tehei’ura. Les auteurs s’amusent aussi à créer des décalages en portant des chapeaux haut-de-forme avec un more, ou des costumes de Marie-Antoinette en lisant un texte en mangarévien.
L’attraction du spectacle reste la littérature. « Ce qui est essentiel, c’est que ça donne une autre image de la littérature autochtone, parce qu’on a tendance à l’ignorer et si on la connaît, ce n’est qu’à travers une littérature du passé ou une littérature qui relève du mythe », regrette le concepteur de Pina’ina’i. Le spectacle est né de la volonté de l’association Littérama’ohi de s’adresser à un public plus large. En 2010, « l’association avait une image très guindée, élitiste », raconte Mareva Leu, qui a rejoint Littérama’ohi cette année-là avec Moana’ura Tehei’ura et d’autres jeunes auteurs, sous l’impulsion de Chantal Spitz et de Flora Devatine. Si Pina’ina’i est l’événement phare de l’association, ses membres multiplient les occasions de mettre en avant les textes polynésiens : ils font des lectures publiques au marché de Papeete, organisent des salons du livre à Huahine et à Papara et participent aux autres salons du livre. « Toutes ces actions permettent de se rapprocher des gens pour qui la littérature paraît hors d’atteinte ou inaccessible. Maintenant, ils comprennent que pour écrire, il suffit de prendre un papier et un stylo, ou un écran et un clavier », raconte Mareva Leu. Ces rendez-vous permettent aussi de voir le chemin qu’il reste à parcourir, comme le souligne Moana’ura Tehei’ura : « La littérature autochtone n’est pas considérée à sa juste valeur, on a l’impression que c’est une sous-littérature. Parfois, on ne pense pas que ça puisse être un auteur d’ici qui puisse écrire certains textes, on s’en rend compte quand on fait des lectures publiques au marché. » Pour que les mentalités changent, il espère aussi qu’à l’avenir « plus d’auteurs passeront les grilles des établissements scolaires ».
Les mots dansent sur le paepae a Hiro
« Certains avaient peur que je m’en serve comme d’une excuse pour faire un spectacle de danse », raconte Moana’ura Tehei’ura. Mais le chorégraphe le prouve chaque année, la vedette, c’est bien la littérature ; la danse n’est que le support de l’écriture. Il s’entoure tout de même des meilleurs éléments: cette année, il y aura le meilleur danseur du Heiva, le meilleur danseur de l’an dernier, et des danseuses confirmées. Les lumières sont « travaillées à la seconde près pour aller avec le spectacle » et la musique est composée par Jeff Tanerii, qui mélange avec talent des sonorités synthétiques et des percussions traditionnelles. Cette année, Frédéric Rossoni, professeur au Conservatoire Artistique de Polynésie française et la chanteuse Taloo participent également à ce projet.
Pratique
Samedi 21 octobre à 19h, sur le paepae a Hiro de la Maison de la Culture.
Entrée libre
+ d’infos : 40 544 544, www.maisondelaculture.pf
Encadré interview Faire venir les gens à la littérature
Mareva Leu, membre de l’association Littérama’ohi, déléguée générale de l’AFIFO, présidente de l’association Matareva.
Le but affiché de Pina’ina’i est de mettre en avant la littérature autochtone. L’objectif est-il atteint ?
Oui, c’est indéniable. Déjà, depuis le premier Pina’ina’i, il y a eu une évolution presque physiquement palpable. Entre la première édition et aujourd’hui, ça n’a presque plus rien à voir, que ce soit au niveau de la mise en scène, de l’éclairage, des costumes, ou encore du maquillage… D’année en année, il y a de plus en plus de gens qui sont motivés, qui essaient d’écrire pour le spectacle, qui sont attirés, tirés vers la littérature. Et ça fait connaître un peu plus largement nos auteurs, ceux de Polynésie et ceux d’Océanie. Ça a aussi libéré la parole, les gens osent plus facilement dire, écrire ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils vivent. Je ne sais pas si c’est lié directement à Pina’ina’i, mais c’est l’impression que j’ai de manière générale. Parfois, cela a ses inconvénients, certaines personnes tirent à boulets rouges sur tout et n’importe quoi, il y a les répondeurs des radios qui vomissent à longueur de temps… Mais au milieu de tout ce fouillis, de temps en temps, on trouve des perles et ça, ça fait du bien. Ça me redonne confiance et c’est une preuve qu’on fait bien, qu’on n’a pas tort de faire ce qu’on fait, même si parfois ça peut être violent, douloureux.
Qu’est-ce que ça vous apporte personnellement d’y participer ?
Pour chaque spectacle, il y a deux mois de travail ; les danseurs commencent à répéter en août, les auteurs et les lecteurs suivent deux semaines plus tard. C’est un investissement personnel, mais on a envie de bien faire pour nous et pour les autres qui participent à Pina’ina’i. Et chaque année, on monte d’un cran, Moana’ura est un peu plus exigeant avec chacun. S’il nous maltraite, c’est parce qu’on le laisse faire, c’est totalement consenti, mais il en profite, il aime ça et il en joue ! De manière générale, je lis beaucoup, je suis à l’affût de tout ce qui sort, surtout des auteurs océaniens. Être active dans Littérama’ohi me permet d’échanger avec d’autres auteurs et artistes, des gens qui ont une compréhension affûtée et particulière de l’Océanie, de ses peuples et de ses cultures.
Est-ce un public de lecteurs qui vient vous voir ou arrivez-vous à toucher des publics différents ?
J’ai l’impression que c’est plus ouvert, ce n’est pas juste le public du salon du livre qui vient. On essaie d’attirer les gens par la danse, c’est un peu sournois, mais c’est pleinement assumé ! Pour faire venir les gens à la littérature, il faut trouver une porte d’entrée, une zone d’amarrage, ça passe par la danse, la mise en scène, le spectacle.
Extrait de « Odieuse autochtonie », texte de Mareva Leu publié dans la revue Littérama’ohi n°22 – 2015
« Apprendre, c’est pas facile. Surtout quand on a les neurones atomisés par un héritage souillé, servi à la sauce gauloise et son gratin de fe’i au lait de coco périmé fermenté irradié. Comprendre, c’est pas facile. Surtout si on a le spectacle-paradis-sur-terre sous nos yeux ébahis, offert à nos mains avides et nos cœurs arrogants. Si de surcroît cette comédie devient référence et que la fiction-malédiction devient réalité éprouvée, approuvée, partagée, encensée ».
Si on a encore de la place …
EFFECTIF PĪNA’INA’I 7.17
DANSEURS | |
1 | RA’INUI ATAPO |
2 | HIROARI’I CHONG |
3 | LOIC CHOUNIN |
4 | TA’ERO JAMET |
5 | TOANUI MAHINUI |
6 | MAHITI PEPEHAU |
7 | FRANCKY TEHIVA |
8 | NOARI’I TEIVA |
9 | KALEY TERIITAHI |
10 | TEHERE TETUAITEROI |
11 | TOMMY TIHONI |
12 | TUARI’I TRACQUI |
SP | PATOARII GARRIGUES |
DANSEUSES | |
1 | MAHEALANI AMARU |
2 | URARI’I BERSELLI |
3 | HITIHITI HIRO-TEHEI’URA |
4 | ALEXANDRA HOLMAN-MERVIN |
5 | MATEATA LE GAYIC |
6 | HINANUI MONGARDE |
7 | HEIFARA MORIENNE |
8 | AHU’URA POTELLE |
9 | HINAVAI RAVEINO |
10 | POERAVA TAEA |
11 | POEMOANA TERIINOHORAI |
12 | HERENUI TETUANUI |
ORATRICES / ORATEURS | |
1 | PATRICK AMARU |
2 | CLOTHILDE GRAND |
3 | MOEAVA GRAND |
4 | MAREVA LEU |
5 | TEIVA MANOI |
6 | ORAMA NIGOU |
7 | STEEVE REEA |
8 | JOELLE ROCKAS |
9 | LOVAINA ROCHETTE |
10 | CHANTAL SPITZ |
11 | KARINE TAEA |
12 | YLANA MAIHOTA |
AUTEURS | |
1 | PATRICK AMARU |
2 | HEINARII GRAND |
3 | MOEAVA GRAND |
4 | MAREVA LEU |
5 | GOENDA REEA |
6 | FLORA DEVATINE |
7 | HINANUI MONGARDE |
8 | LOVAINA ROCHETTE |
9 | CHANTAL SPITZ |
10 | HENRI HIRO |
11 | MARC RAVERA |
12 |
AUTRES | |
1 | MOANA’URA Tehei’ura chorégraphie / scénographie |
2 | Jeff TANERII Composition musicale |
3 | Vairea MEUEL Régie |
4 | Orama NOBLE Maquillage |
5 | Vanua TEMAHU Coiffure |
6 | H Design / Heiari’i TUIHANI Photographie / Infographie |
7 | MATAREVA / Kakemono |
8 | Avec le soutien de la Mairie de Pape’ete |