N°120 – La folle histoire du ‘uru de la Bounty

 Service de la Culture et du Patrimoine (SCP) – Te Pū nō te Ta’ere ‘e nō te Faufa’a tumuArticle paru dans le National Geographic avec Nancy et le uru historique

Rencontre avec Vivienne Millet, Hina Kennedy et Piula Haupuni de la Maison James Norman Hall, Emmanuel Nauta et Rangitea Wohler du service du Tourisme, et Reiri Cauvin et Natea Montillier du service de la Culture et du Patrimoine. Texte : Elodie Largenton

 

Dans les jardins de la Maison James Norman Hall, à Arue, se trouve un arbre bien particulier : un tumu ‘uru qui symbolise un voyage long et compliqué mais à l’épilogue heureux. Cet arbre à pain est en quelque sorte l’un des descendants directs de l’un des plants envoyés aux Antilles par le capitaine Bligh à la fin du XVIIIe siècle.

« Je vous en prie, profitez de la visite de ma maison d’enfance. Remarquez l’arbre à pain, source de tous les ennuis de la Bounty. » Cette invitation est lancée par Nancy Hall-Rutgers, la fille du célèbre écrivain américain James Normal Hall. L’auteur y a vécu plus de trente ans à Arue, de 1920 à sa mort en 1951. C’est là qu’il a écrit ses œuvres les plus célèbres, dont Les Révoltés de la Bounty, avec Charles Nordhoff. Dans ses jardins, le visiteur prête une attention particulière au pied de ‘uru dont l’histoire fait voyager le curieux avec des marins anglais et des reporters américains de Tahiti à la Jamaïque en passant par les Tonga.

Un arbre à la destinée célèbre

Le périple commence en Angleterre en 1787. La Royal Society organise une expédition destinée à fournir une nourriture bon marché aux esclaves. La Bounty a alors pour mission de se rendre à Tahiti afin d’y collecter des plants d’arbre à pain, puis de les transporter vers les Indes occidentales britanniques. Le navire arrive à Tahiti et remplit la première partie de sa mission : plus d’un millier de pousses de ‘uru sont chargés à bord de la Bounty. Mais, comme le raconte Vivienne Millett, l’une des guides de la Maison de James Norman Hall, « après le départ de Tahiti, pas loin des Îles Tonga, a lieu la fameuse révolte. Le capitaine Bligh finit dans une chaloupe et Fletcher Christian prend les commandes du bateau. Les mutins jettent alors toutes les pousses d’arbre à pain dans la mer. » L’histoire ne s’arrête pas là : William Bligh parvient à rejoindre l’Angleterre et il repart quelques années plus tard avec la même mission, à bord cette fois du HMS Providence. « Il revient à Tahiti et complète sa mission : il collecte des pousses d’arbre à pain puis part aux Caraïbes », rapporte Vivienne Millett. « En 1799, Bligh débarque ses plantes aux Antilles », indique le panneau planté dans les jardins de la Maison James Norman Hall, à côté d’un tumuuru très spécial. « Cet arbre-là a une histoire », souligne Emmanuel Nauta, du service du Tourisme. En 1961, alors que Marlon Brando se prépare à interpréter le rôle de Christian Fletcher dans la deuxième adaptation cinématographique des Révoltés de la Bounty, un reporter du magazine National Geographic, Luis Marden, « arrive à Tahiti avec quelques pousses d’arbre à pain prélevées en Jamaïque », explique la guide de la Maison. L’un des « rejetons des ‘uru partis de Tahiti pour les Antilles est alors planté dans la cour de l’ancienne mairie de Arue, en face de l’école Ahutoru », précise de son côté Emmanuel Nauta. L’arbre va également se retrouver dans le film de 1962.

Ironie de l’histoire

Cet acte symbolique n’achève pas l’histoire de ce pied de ‘uru. En 2012, une cérémonie est organisée dans les jardins de la Maison James Norman Hall, en présence de nombreux descendants des révoltés de la Bounty de Pitcairn, de l’île de Norfolk et de Tahiti. À cette occasion, Nancy Hall-Rutgers plante un arbre à pain, qui « n’est pas la souche originale », d’après Vivienne Millett : « Nancy a expliqué que la vraie pousse du ‘uru partie puis revenue ne donne pas de fruits délicieux et comme elle aime bien ça, elle a choisi un pied qui donne de bons fruits. ». Cinquante ans plus tôt, Luis Marden concluait ainsi son reportage sur la Bounty : « L’ironie de tout cela, c’est que quand l’arbre à pain est enfin arrivé aux Antilles – après une mutinerie, des actes de piraterie, un naufrage, des meurtres, et des exils – les esclaves là-bas ont trouvé ça mauvais et ont refusé d’en manger. »

 

De grands changements dans les jardins

« Un site qui ne se renouvelle pas perd de sa valeur, comme dirait mon grand-père », explique en souriant Emmanuel Nauta, du service du Tourisme. Cela fait quinze ans que la Maison est ouverte au public, et après avoir prêté beaucoup d’attention à l’intérieur du site, il était temps de se consacrer à l’extérieur. Le Salon de thé « Mama Lala », surnom de l’épouse tahitienne de l’écrivain américain, Sarah Teraureia Winchester, va changer de visage. Il va s’agrandir et se transformer, en quelque sorte, en navire. L’ancre déjà présente dans les jardins sera mise en évidence aux côtés de canons mis à disposition par le service de la Culture et du Patrimoine, le tout sous des toiles suspendues à des bâtons de bois ressemblant à des mâts. « L’objectif est de mettre en valeur le thème principal du lieu, qui est La Bounty », précise Emmanuel Nauta. Il s’agit aussi de permettre à l’association qui gère le site d’augmenter sa capacité d’accueil et donc d’accroître sa capacité d’autofinancement. Même en saison des pluies, les touristes pourront profiter du Salon de thé. Les responsables du lieu veulent également « accueillir plus d’événements, héberger des réceptions de mariage… On va pouvoir faire plein de choses », se réjouit Vivienne Millett. Si l’évolution se fera par étapes, l’équipe en charge de rénover cet extérieur a déjà pensé aux visiteurs du soir : « La mise en scène fonctionnera aussi de nuit grâce aux lumières qu’on va installer sur les mâts et le long des murets », indique Rangitea Wohler du service du Tourisme.

Un nouvel éclat

L’autre grand chantier en cours est le réaménagement des jardins. « Il y a de grands arbres qui font beaucoup d’ombre et qui empêchent les autres plantes de pousser », explique Reiri Cauvin du service de la Culture et du Patrimoine. Certains vont ainsi être élagués ou coupés, comme les deux palmiers situés de part et d’autre de l’escalier d’entrée de la Maison. « Ils ont trop grandi, ne présentent pas d’intérêt historique et ne sont pas non plus une espèce endémique, donc ils vont disparaître. ». D’autres en revanche sont préservés, comme cette liane de pitate* qui a failli être sacrifiée mais que le service de la Culture et du Patrimoine a pu sauver. « C’est typique de l’époque coloniale, il y en avait une dans les cours de toutes les maisons », raconte Reiri Cauvin. La Maison étant classée monument historique, le code du patrimoine s’applique, les personnes en charge du projet doivent donc suivre les recommandations transmises. Le service a demandé l’avis de la Commission du Patrimoine historique, qui a validé le projet. Les travaux ont déjà commencé et doivent se terminer fin octobre. Leur coût estimé à 21 millions de Fcfp, est pris en charge par le Pays. De quoi donner un nouvel éclat à l’une des deux seules maisons d’écrivains ouvertes au public dans toute la région – avec celle de Robert Louis Stevenson à Apia, aux Samoa.

*pitate : jasmin

Pratique

La Maison James Norman Hall à Arue (PK 5,5) est ouverte du mardi au samedi, de 8h à 15h30. Elle restera ouverte pendant les travaux. Entrée : 800 Fcfp.

Renseignements : 40 50 01 60 ou sur la page Facebook et site internet www.jamesnormanhallhome.pf

 

 

 

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