N°117 – Hōkūle’a, un retour selon la tradition
Service de la Culture et du Patrimoine – (SCP) – Te pu no te ta’ere e no te faufa’a tumu
Rencontre avec Hiriata Millaud, chef du service de la Culture et du Patrimoine par intérim, et Francis Stein son adjoint et chef de l’équipe projet « Taputapuātea, Paysage culturel candidat au patrimoine mondial de l’UNESCO ».
Taputapuātea est la porte d’entrée et de sortie des navigateurs polynésiens. Après être partie de ce lieu mythique en 2014 pour commencer son tour du monde, Hōkūle’a est donc revenue à Taputapuātea pour clore son voyage. Un retour aux origines de la civilisation polynésienne pour les Hawaïens qui s’est fait dans le respect de la tradition et des rites culturels anciens.
En 2014, les navigateurs hawaïens ont rejoint Taputapuātea. Pour donner tout son sens à leur périple, ils devaient nécessairement commencer leur tour du monde en pirogue double et en naviguant grâce aux étoiles, à partir de ce site. L’histoire mythique polynésienne indique que c’est ici que tout a commencé, c’est donc ici que tout doit partir et c’est encore ici que tout se termine. C’est sur ce sol que le Grand Esprit créateur de Ta’aroa posa son pied droit pour créer Hāvāi’ī la terre première, depuis laquelle il envoya Nā-Papa-e-Va’u, les huit Hīvā ou Dieux-Titans fondateurs conquérir les espaces premiers du Grand Océan de Te-Mōana-Nui-ō-Hīvā. Les navigateurs de Hōkūle’a et de Hikianalia sont donc venus pour se présenter et demander aux anciens, détenteurs de la tradition, l’autorisation de voyager au-delà de l’horizon océanien. Ils sont aussi venus chercher le soutien, la protection, la force et l’énergie nécessaires pour que leur voyage en pirogue double se déroule à merveille, forts du mana séculaire obtenu sur place. À l’époque, deux officiants d’Ōpōa avaient été envoyés par les Anciens chercher deux pierres dans la vallée d’Arata’o-Te-Fa’a-ō-Hīvā. Garants des lieux et de son pouvoir, les Anciens ont ainsi perpétré le rite qui donne le mana aux pierres, lesquelles devaient accompagner les équipages tout autour du monde. Après trois ans de périple pour transmettre leur message « Malama Honua », le mardi 25 avril 2017, les pirogues doubles Hōkūle’a et Hikianalia ont bouclé leur voyage en revenant à Taputapuātea ; ils ont rapporté les pierres qu’ils ont rendu aux Anciens. Ces derniers ont perpétré le rituel du Taura’a-tapu, comme le leur avaient transmis leurs aînés, par lequel ils ont levé le tapu qui avait investi les pierres trois ans durant, puis ils les ont restituées à la terre originelle de Hāvāi’ī.
Le cadet retrouve son aîné
En collaboration avec la commune de Taputapuātea, les associations culturelles en place et la communauté d’Ōpōa-Hotopu’u, le service de la culture a apporté son soutien technique à l’organisation du retour des pirogues doubles Hōkūle’a et Hikianalia, notamment à la préparation des cérémonies culturelles en liaison constante avec la délégation hawaïenne de Kamehameha School. Cette école hawaïenne qui les rejoint aux escales les plus emblématiques du Triangle polynésien parle au nom des navigateurs, elle est leur représentant. Elle a ainsi précédé les escales importantes pour y préparer le terrain, en termes de cérémonies culturelles et d’intendance. « Nous avons tous commencé à travailler sur le retour de Hōkūle’a et Hikianalia en janvier 2017. Monsieur Randie Fong, représentant de Kamehameha School s’est déplacé sur Ōpōa pour y rencontrer les Anciens, s’imprégner de l’esprit des lieux de Taputapuātea, organiser toute l’intendance. Ils ont par exemple demandé conseil sur l’opportunité de certaines prestations, ou sur ce qui était convenable ou pas de faire, de dire, de danser, de chanter, etc. Le fait est qu’aujourd’hui les Cadets demandent de nouveau conseil aux Aînés », souligne Hiriata Millaud. Dès son arrivée, la délégation hawaïenne, a rejoint le site de Fa’arepa, situé à environ 5 km de Taputapuātea. Toponyme méconnu mais ô combien important, puisque Tāmehameha, l’ancêtre des Hawaïens, était originaire de Fa’arepa, et il partit de Ra’iatea pour Hawai’i où il devint le grand chef Kamehameha. « Les Anciens ont voulu célébrer ce fait en organisant une cérémonie à cet endroit précis. C’est la première fois que ça se fait. Cela a permis de donner beaucoup de sens à la démarche de Kamehameha School, en leur donnant une légitimité et une crédibilité dont ils avaient besoin. La cérémonie de Fa’arepa a été voulue pour authentifier la filiation avec les aînés de Ra’iātea et les aider à se réapproprier leur histoire ». À travers le périple de Hōkūle’a et Hikianalia, les Hawaïens ont ainsi fait vivre de nouveau cette tradition : le cadet voyage, l’aîné reste sur la terre d’origine pour garder le mana et les connaissances et les transmettre. « Ce principe est rétabli avec Kamehameha School et la Polynésian Voyaging Society. Aujourd’hui, ils se rendent compte qu’il existe un code et qu’il faut le respecter ».
Un code respecté
Ce code a bien été appliqué lors du retour de Hōkūle’a et Hikianalia, en avril dernier. Les cadets sont revenus pour ramener le tapu et clore ainsi leur périple sur le grand marae Taputapuātea. Mais, avant d’arriver sur le site, des portes sont à franchir. La première est la passe Te-Ava-Mo’a. Hōkūle’a et Hikianalia ont dû attendre que deux officiants, autrefois des gardiens de l’entrée, demandent à ceux restés à terre s’ils pouvaient ou non entrer. Un premier pū résonne, il informe que les intentions des visiteurs sont bonnes. Si, à terre, le pū résonne aussi, c’est que l’autorisation d’entrer leur est donnée. Alors, les deux officiants-gardiens lèvent leur pagaye vers le ciel. Les visiteurs en font de même et entame leur entrée dans la passe. Ce geste de respect participe du rite du Tai-Rapa-Ti’a. Une fois entrées, les pirogues s’ancrent dans le lagon face au site cultuel de Taputapuātea. Les équipages embarquent alors à bord d’une pirogue spécialement préparée et se font déposer dans l’eau, près du rivage entre le marae des Cadets ‘Ōpū-Teina et celui des Aînés-Souverains Hauviri, lieu d’investiture des grands chefs. Là encore, ils ne peuvent fouler le sol sans en avoir reçu l’autorisation. Les pieds dans l’eau, tenant fermement dans leurs bras les deux pierres précieuses, les navigateurs attendent que les Anciens, positionnés sur le rivage, entament le rite du Taura’a-Tapu, en leur souhaitant la bienvenue et en déclinant leur filiation identitaire au travers des généalogies. Les pierres sont ensuite restituées aux Anciens qui leur rendent leur caractère profane en renvoyant à la terre première de Hāvāi’i le mana qui les investissait.
Les liens renoués
Le tapu étant désormais endormi, les aînés accompagnent les cadets jusqu’au grand marae Taputapuātea. C’est ici que se déroulera le rituel du Fa’atau – arōha, une cérémonie de salutations et de connexion humbles et respectueuses. Ils font alors ce qu’on appelle le fārēreira’a au cours duquel on se tient par la nuque et on se salue en se touchant du front, on se connecte, on se rencontre et on échange. « La rencontre sacrée se fait sur le marae. Seuls les navigateurs de Hōkūle’a et Hikianalia ainsi que les dignitaires sont autorisés à monter sur la plateforme du marae », explique Hiriata Millaud. Et comme une formule de salutation entre les Aînés et les Cadets, chacun se parle et se répond par des discours ou ‘orero, des chants, ou encore des gestes. Souvent, s’ensuit une cérémonie d’offrandes ; cette fois-ci, elle s’est déroulée le lendemain. « Ces rituels sont une manière de leur donner la légitimité. Les Hawaïens ont fait preuve d’une grande gratitude du fait qu’on ait justement respecté la tradition ». Pour Francis Stein, adjoint au chef de service, le retour des pierres et ces rituels sont aussi des éléments importants pour le dossier de candidature de Taputapuātea au Patrimoine mondial de l’Unesco. « Cela montre l’importance de Taputapuātea et de ces communautés qui ont une démarche de navigation aux étoiles. Cela montre que le site est vivant ». D’autant plus vivant qu’après cette cérémonie, les Hawaïens et quelques centaines d’habitants de Ra’iātea se sont retrouvés autour d’un bon tāmā‘ara’a , à échanger, danser, s’adonner à des joutes oratoires, et à partager des histoires. Et, ainsi, les liens entre Polynésiens se sont renoués…